Tanger est un rêve de voyageur. Sindbad des 1001 nuits n'y a pas fait escale et commerce mais des voyageurs illustrent y ont pris pied et parfois racine. La Beat Generation est passée par Tanger et Paul Bowles y a vécu humainement et littérairement. Une ville, des écrivains, des cinéastes... Tanger, ville internationale ou plus simplement cosmopolite a vécu une sorte d'âge d'or culturel et plus spécifiquement littéraire avec les apôtres de la Beat Generation William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac à qui l'on doit l'expression à l'origine de la révolution culturelle des années 60, avait ébranlé les Etats-Unis d'abord, la jeunesse du monde ensuite. On the road de Kerouac reste l'expression d'un double voyage intérieur et réel pour célébrer la liberté des grands espaces que seule la route terrestre, maritime et aérienne, avec le développement des moyens de transport, permettent d'explorer. « Le Festin nu » de Burroughs est ainsi une sorte de manifeste de la transgression, métaphorique, certes, mais également littéraire, culturelle et sociale. Vivre dans la marge, en assumer la marginalité avec une certaine exubérance, l'assumer en fait comme un mode de vie, a fait de son auteur une sorte de précurseur littéraire et de libérateur des mœurs dans une société américaine puritaine et fermée sur elle-même. « Howl » de Ginsberg et « Le Festin nu » firent même face à des procès en obscénité et Howl, un long poème en prose, fut même frappé d'interdiction et retiré de la vente ! Tanger qui sied aux aventuriers ou de façon plus prosaïque aux voyageurs (Ibn Batouta, Léon l'Africain, Ulysse dit-on) à donner à la Beat Generation le lieu idéal de ses retrouvailles et de sa perdition par rapport aux normes sociales et culturelles de l'époque : la liberté de s'évader et le rêve psychédélique. C'est à l'ombre de ce trio d'enfer que seraient nés le mouvement des étudiants en France, connu sous le nom de Mai 68, l'opposition à la guerre du Vietnam sur les campus américains et le mouvement Hippie qui prendra son envol de Berkeley et atteindra une sorte d'apothéose avec le Festival de Woodstock (où Canned Heat chantait « On the road again »), chamarré de sons psychédéliques et fleuri, naturellement et vestimentairement. C'était, bien entendu, l'époque des cheveux longs (sans idées courtes !), des pantalons « patte d'éléphant » et des chemises à fleurs... bref, la génération beatnik dans toute sa splendeur vagabonde sur les routes, avec des points de rendez-vous à travers le globe dont Tanger fut une sorte de lieu de passage –ou de fixation- obligé.
Paul Bowles, le plus marocain des américains La Beat Generation s'inscrit dans une logique de groupe de rupture littéraire comme a pu l'être des mouvements littéraires en France, par exemple, avec le Surréalisme qui vint comme point de démarcation et de rupture par rapport à ce qui avait court dans la création poétique, picturale et littéraire, d'une façon générale. La révolution littéraire est rarement - sinon jamais –individuelle. Elle est de groupe. Un auteur, comme une hirondelle, en somme, qui ne fait pas le printemps, ne fait jamais à lui tout seul une révolution... Que serait en effet le Nouveau Roman s'il avait été porté uniquement par Robbe-Grillet, sans l'appoint fondamental d'enrichissement et décisif de Michel Butor et Claude Simon pour n'en citer que ceux-là ? Comment parler des américains de Tanger sans évoquer le nom de Paul Bowles, celui qui non seulement à précéder les Kerouac, Burroughs et Ginsberg, contribué à faire naitre le roman picaresque marocain. Outre qu'il reste un auteur majeur de cette époque, un témoin et acteur incontournable de la vie littéraire tangéroise de cette époque, Paul Bowles a fait surgir d'improbables écrivains comme Mohamed Choukri, Mohamed Mrabet, avec des histoires simples et fortes car souvent construites sur un matériau qui n'est autre que le vécu. « Le Pain nu » tire sa force littéraire de son autobiographie romancée... aussi réelle que la réalité du vécu de Mohamed Choukri. La particularité de Paul Bowles est d'avoir vécu le Maroc de Tanger avec des marocains, au contraire des fondateurs de la Beat Generation qui se fréquentaient dans le cercle fermé des expatriés nord-américains, l'œil rivé sur les amarres des bateaux en partance, hantés par le départ vers d'autres cieux, d'autres destinations.