Après l'interdiction par l'Allemagne de l'importation des poivrons produits au Maroc à cause d'un échantillon contenant un taux explosif d'un pesticide interdit, serait-il temps d'orienter l'agriculture marocaine vers le bio ? Les poivrons produits au Maroc sont désormais interdits en Allemagne. Les autorités sanitaires allemandes viennent d'acter cette mesure après la découverte de l'équivalent de 0,4 mg/kg de méthiocarbe dans les échantillons de poivrons en provenance du Maroc, alors que la nouvelle limite maximale approuvée en Europe pour cette substance est de 0,03 mg/kg. La concentration de cette matière active, utilisée pour lutter contre les insectes et les acariens, s'est donc avérée 1 233% plus élevée que la limite tolérée. Le méthiocarbe est par ailleurs classé comme hautement dangereux par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ce qui a justifié son retrait de la liste des matières phytosanitaires en 2019 par l'Union Européenne afin d'éviter les risques de préjudices potentiels sur la biodiversité et la santé des ouvriers agricoles. Cette interdiction en Allemagne des poivrons marocains remet ainsi à l'ordre du jour le sujet des risques potentiels des pesticides sur les consommateurs et la viabilité de l'accès aux marchés européens de certains produits agricoles marocains. Les éclairages de l'ONSSA Cité par Yabiladi.com, l'Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires (ONSSA) évoque cependant un « cas isolé » en précisant que « la société exportatrice dudit lot a procédé à un prélèvement dont le résultat a été reconnu non conforme et a immédiatement averti son client avant l'arrivée de la marchandise en Allemagne. Une fois notifié par son fournisseur au Maroc, le client allemand a procédé dès l'arrivée du produit à un prélèvement d'échantillon, dont le résultat a été reconnu non conforme aussi et il a procédé à sa notification à l'autorité sanitaire et à sa destruction ». Abderrahim Ksiri, coordinateur national de l'Alliance Marocaine pour le Climat et le Développement Durable (AMCDD), inscrit pour sa part cette interdiction dans un contexte plus large dans lequel l'Union Européenne, qui est notre premier partenaire commercial, a amorcé une transition environnementale depuis plusieurs années. « Or, nous voyons que certaines autorités et parties prenantes marocaines tardent à suivre cette transition », explique-t-il. Passer au bio est-il la solution ? Abderrahim Ksiri estime qu'il est, plus jamais, question de revoir le modèle agricole national dans son ensemble. « Les troisquarts des agriculteurs marocains ont moins de 3 hectares, ce qui veut dire qu'ils ont ce qu'il faut pour passer à une agriculture biologique. Notez que l'Union Européenne vit actuellement un développement extraordinaire de la permaculture et l'émergence d'une demande croissante sur les aliments bio », souligne le président de l'AMCDD qui pointe une « formidable opportunité » à saisir pour les petits agriculteurs marocains. « Le ministère de l'Agriculture devrait recadrer sa stratégie « Green Generation » pour ne pas revenir vers le modèle Maroc Vert qui était plutôt orienté vers un modèle intensif adapté aux grandes superficies », recommande Abderrahim Ksiri. Si la culture biologique n'utilise pas (ou très peu) de produits chimiques, le rendement inférieur à celui de l'agriculture intensive et la capacité des petits agriculteurs marocains à accéder aux marchés européens demeurent les principaux défis à relever. Appui à la commercialisation Pour Abderrahim Ksiri, ces défis ne constituent manifestement pas d'obstacles insurmontables : « Orienter notre agriculture vers le bio ne se fera pas du jour au demain. En attendant, il faut tenir compte que c'est un chantier qui donnera une valeur ajoutée aux petits agriculteurs qui sont les plus vulnérables, surtout si les produits sont labellisés ». L'expert confie par ailleurs qu'une étude est actuellement en cours d'élaboration par le Conseil Economique, Social et Environnemental sur la thématique de la commercialisation des produits agricoles. « Ce travail sera dévoilé dans quelques mois. Il est d'autant plus important que la valeur ajoutée de tout le travail agricole d'une année peut se perdre pendant la phase de la commercialisation », explique Abderrahim Ksiri qui collabore en tant que rapporteur à cette étude. « Je crois qu'il y a d'autres façons de valoriser un produit agricole à part la productivité, car, à travers l'agriculture intensive, c'est plus notre eau et nos sols qu'on vend au final avec souvent des risques sanitaires et environnementaux non-négligeables », conclut-il. Oussama ABAOUSS 3 questions à Ouadie Madih, président de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur « Il est nécessaire de réorganiser le marché national phytosanitaire de bout en bout » Président de la Fédération Nationale des Associations du Consommateur, M. Ouadie Madih a répondu à nos questions sur les risques liés à une utilisation inadéquate des pesticides. - L'usage des pesticides au Maroc est-il pour vous une source d'inquiétude ? - C'est évident, d'autant plus que ce n'est pas la première fois que l'on découvre des denrées alimentaires produites au Maroc qui sont potentiellement dangereuses à cause d'une utilisation excessive ou non conforme de pesticides. - Quels sont les problèmes majeurs que vous relevez par rapport à la question des pesticides ? - Le problème majeur, c'est que la quasi-totalité des produits phytosanitaires se vend au Maroc dans des endroits qui ne sont pas conformes. Or, ces produits sont équivalents à des médicaments qui doivent être vendus d'une manière très encadrée pour garantir une utilisation qui n'est pas dangereuse. Il y a également le problème de la contrebande et du grand nombre de produits phytosanitaires qui arrivent illégalement dans les marchés alors que leur conformité et leur qualité échappent à tout contrôle. - Selon vous, quelles mesures fautil prendre pour remédier à cette situation ? - Il est nécessaire de réorganiser le marché national phytosanitaire de bout en bout et n'autoriser la vente des produits que chez des gens qui sont qualifiés sinon tôt ou tard, nous devrons payer doublement la facture. Si nous laissons produire et consommer un produit alimentaire qui n'est pas conforme aux meilleures normes sanitaires, ça nuira à la santé des consommateurs, ce qui ne manquera pas de constituer un coût sanitaire qui se répercutera sur le système de santé. Sur le plan commercial, c'est la compétitivité des produits marocains destinés à l'export qui risque d'être pénalisée, à l'instar des poivrons qui viennent d'être interdits en Allemagne. Recueillis par O. A. Encadré Réglementation : Les entreprises de phytosanitaires réagissent au gel des homologations de matières actives Le 28 décembre dernier, l'ONSSA a publié sur son site un avis sur le programme de réexamen des pesticides à usage agricole au titre de l'année 2021 qui liste 31 matières actives dont l'homologation est gelée jusqu'en juin, septembre et décembre 2021, dates auxquelles seront respectivement fixés les nouveaux statuts après avis de la commission interministérielle. Citée par Leseco.ma, l'association CropLife Maroc, qui représente l'industrie phytopharmaceutique avec plus de 23 sociétés commercialisant environ 90% des produits utilisés par le secteur agricole, a désapprouvé le contenu de la dernière note de la Direction des intrants et laboratoires relevant de l'ONSSA. Selon CropLife Maroc, les 31 matières actives concernent directement près de 301 produits phytosanitaires commerciaux qui seront révisés en 2021, en plus des autres produits qui ont fait l'objet de nouveaux examens en 2018, 2019 et 2020, ce qui fait un total de 60 matières actives correspondant à 458 produits commerciaux qui risqueraient d'être retirés du marché phytosanitaire marocain. « Ces différents retraits, et notamment ceux programmés en 2021, vont contracter le marché des phytosanitaires de 45% en moins de 4 ans, sans que ni les sociétés importatrices, ni le réseau de distribution, ni les agriculteurs eux-mêmes n'y soient préparés », s'indigne CropLife Maroc dans sa lettre de réclamation. CropLife Maroc a par ailleurs demandé à la Direction de l'ONSSA de reconsidérer cette décision en révisant le planning du retrait de ces produits et de leur remplacement. Repères Les tomates marocaines interdites en Russie Depuis le 30 octobre dernier, la Russie a interdit la réexportation des tomates marocaines depuis les Pays-Bas, la Belgique et la France. Cette mesure a été imposée après la détection de dix cas du virus de la mosaïque du Pépino dans des tomates cultivées au Maroc. Lors d'une visioconférence tenue le 29 décembre 2020, l'autorité phytosanitaire russe a averti l'ONSSA que l'interdiction restera en vigueur jusqu'à ce que les autorités marocaines puissent mettre en œuvre des mesures pour contenir la propagation de l'infection. L'ONSSA bientôt affiliée au ministère de l'Industrie ? Selon nos sources, des pourparlers sont actuellement en cours pour étudier la possibilité de rattacher l'Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires (ONSSA) au ministère de l'Industrie. Bien que nous n'ayons pas pu confirmer cette information, un changement éventuel de l'affiliation de l'Office serait conforme aux recommandations de la Cours des Comptes qui suggérait en 2020 de revoir la gouvernance de l'ONSSA à travers une plus grande indépendance vis-à-vis de l'autorité politique.