Les échanges commerciaux dans le cadre de la ZLECAF ont été lancés vendredi 1er janvier 2021, lors d'une cérémonie virtuelle initiée par le secrétariat de la Zone Continentale, basé à Accra. Hassan Sentissi El Idrissi, président de l'ASMEX, nous explique ce que ce marché commun va changer pour le Royaume. - L'année 2021 débute avec le lancement des échanges commerciaux entre les pays du continent dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Dans quelles mesures changera-t-elle la donne pour les Etats africains ? - Tout d'abord, il importe de noter que ce projet s'inscrit en droite ligne avec la vision Royale pour une Afrique intégrée et prospère. Le Souverain a montré la voie avec sa ferme volonté de développer la coopération Sud-Sud, du fait que l'intégration commerciale peut contribuer à faire décoller le développement. D'ailleurs, l'intégration commerciale a été à l'origine de réussites spectaculaires sur d'autres continents, notamment l'Europe. La création d'une grande zone de libre-échange en Afrique amplifiera le potentiel de transformation économique de la région. Cela aura pour double effet de stimuler le commerce intra-régional et d'attirer plus d'investissements directs étrangers et de faciliter la création de chaînes d'approvisionnement régionales, qui ont été des moteurs importants de la transformation économique dans d'autres régions. La ZLECAF pourrait ainsi stimuler considérablement les échanges commerciaux interrégionaux en Afrique, à condition d'actionner à la fois les leviers tarifaires et non tarifaires. Il faudrait, donc, une baisse globale des droits de douane pour obtenir des effets notables sur les flux commerciaux dans la région. L'objectif le plus ambitieux visé par la ZLECAF est d'éliminer des droits sur 90 % des flux existants, à terme ceci entraînerait une augmentation d'environ 16 % du commerce régional. Ces réductions devraient être complétées par des politiques ciblant les obstacles non tarifaires. Celles-ci accentueraient l'effet stimulant des baisses de droits de douane sur le commerce, surtout dans les pays enclavés et à faible revenu. Il serait donc souhaitable que l'effort d'approfondissement de l'intégration commerciale en Afrique consiste au premier chef à lever une partie des obstacles non tarifaires, en particulier la médiocrité de la logistique commerciale et des infrastructures. On comprend donc que l'Afrique a tout à gagner avec cette Zone de libre-échange. S'il est pleinement mis en œuvre, cet accord commercial pourrait accroître le revenu régional de 7%, à 450 milliards de dollars d'ici 2035. - Que gagerait le Maroc de cette zone de libre d'échange ? - Avec un déficit commercial qui dépasse les 200 milliards de dirhams et suite à une pandémie qui a complètement sinistré l'économie nationale, le Maroc a également tout à gagner de la ZLECAF, du fait qu'elle permettra aux exportateurs marocains d'exporter leurs produits vers des régions qui, jusque-là, étaient inaccessibles. Nos échanges avec les pays d'Afrique subsaharienne se font en grande partie avec difficulté, particulièrement suite aux droits de douane élevés, aux barrières non tarifaires et surtout suite à la concurrence féroce d'autres pays plus avancés, comme la Chine ou la Turquie. La ZLECAF ouvrira donc un vaste marché pour notre pays sans droits de douane, et qui compte quelque 1,2 milliard de personnes, représentant un PIB total de 2.500 milliards de dollars. Ceci nous permettra d'entamer des partenariats gagnant-gagnant avec les autres pays En termes de revenu, le Maroc serait dans le Top 10 des pays bénéficiaires de ce projet, avec une hausse prévue de 8% de ses revenus, et les mesures de réduction des freins bureaucratiques et de simplification des procédures douanières au sein de la ZLECAF devraient être à l'origine de la plus grande part de la hausse de ces revenus. La libéralisation des tarifs douaniers de même que la réduction des barrières non tarifaires, comme les quotas et les règles d'origine, permettraient d'augmenter les revenus de près de 2,4%, soit environ 153 milliards de dollars, le potentiel est donc énorme. - Un projet d'envergure comme celui-ci est sûrement plein de défis, les exportateurs doivent donc mettre en place des stratégies bien ficelées pour en tirer le meilleur. Quelle est donc la clé de la réussite ? - Premièrement, il faut bien connaître le marché ciblé, ses spécificités, ses normes et ses besoins. De grands groupes marocains sont déjà installés en Afrique de l'Ouest, le Maroc est même le premier investisseur dans cette région. Mais en Afrique de l'Est et en Afrique australe, notre pays est faiblement présent. Il faut donc réfléchir sur la méthode optimale pour gagner ces marchés à fort potentiel et la ZLECAF sera notre porte d'entrée par excellence. Par ailleurs, l'image du Maroc sur la scène internationale va également aider les opérateurs à se faire une place plus aisément dans ces nouvelles régions. Une image que le Maroc a acquise car il a fait du développement socio-économique de l'Afrique l'une de ses priorités. Cela dit, même si, globalement, les exportations marocaines vers les autres pays africains s'améliorent, elles restent en-deçà du potentiel de notre pays, ceci est dû au fait que nos industries ne tournent pas encore à plein régime. La ZLECAF est donc l'occasion de faire démarrer véritablement la machine. Concernant les défis, en tête de liste figure l'impact de la crise sur les opérateurs économiques. Les exportateurs ont vu leurs trésoreries sinistrées par la crise, du fait que nos exportations aient chuté de plus de 17%. Selon les derniers chiffres en notre possession, l'Automobile a diminué de 28,7%, le Textile et cuir (29,5%), l'Aéronautique (21,2%), l'Agriculture et agroalimentaire (4,7%), les Phosphates et dérivés (4,2%), l'Electronique et électricité (5,6%). Pour tirer profit de la ZLECAF, le Maroc doit, entre autres, soutenir fiscalement les entreprises exportatrices, dont aujourd'hui une grande partie est à bout de souffle. - Les échanges internationaux ont connu de profondes mutations en ces temps de crise, quelles sont donc les tendances de l'intégration commerciale régionale en Afrique, dont le Maroc pourrait en profiter ? - Tout d'abord, il est important de souligner qu'au cours des deux dernières décennies, les flux d'échanges intra-régionaux se sont développés à un rythme élevé, parallèlement à l'intégration rapide de l'Afrique dans le système commercial international. Les économies africaines présentent des particularités en raison desquelles le niveau de l'activité commerciale est plus faible que dans d'autres régions. Ces particularités sont, entre autres, des facteurs structurels propres aux économies africaines et des facteurs liés aux politiques conduites, comme ceux que j'ai cités au début : droits de douane, médiocrité de la logistique, faible infrastructure, etc. Les analyses empiriques, faites dans ce sens, estiment que certaines sous-régions africaines et certains secteurs peuvent encore considérablement approfondir l'intégration commerciale. Ainsi, le commerce intra-régional des marchandises, tels que les produits alimentaires, les produits sylvicoles et autres produits primaires ainsi que les produits manufacturés, est moins important que ne le prévoit le modèle de gravité, les échanges dans ces secteurs pourraient donc être davantage développés. C'est là où le Maroc pourrait fortement intervenir. Prenons l'exemple de l'Afrique de l'Ouest, qui a elle seule constitue un vivier de croissance, du fait qu'elle est caractérisée par une forte demande pour les produits finis, tels que le poulet de chair, la charcuterie et tout ce qui va avec. Ainsi, les opportunités d'investissements et d'export dans les pays de cette région sont énormes. Pour les produits halieutiques et les énergies renouvelables, les choses sont à l'identique. Donc, l'idée, à mon sens, c'est de tirer meilleur profit de nouvelles opportunités, avec une politique industrielle restructurée autour de la mise en valeur des ressources naturelles. - Quel rôle pourrait jouer l'Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX) dans la mise en œuvre de cet accord ? - Les exportations du Maroc vers les pays africains, sont très timides, elles ne représentent que 3,2% du total de ses exportations vers le reste du monde. Même chose pour les importations, où la part des achats venant d'Afrique est à peine de 2,5%. L'ASEMEX compte consolider les efforts pour, au minimum, doubler ces chiffres. Elle va également jouer un rôle primordial dans la mise en œuvre et l'application de cet accord, et ce, à travers sa commission Afrique et ses multiples actions dans le cadre des relations bilatérales, notamment les conventions signées avec les Chambres de commerce africaines et les institutions patronales. L'Association va aussi continuer de mener des actions pour la dynamisation du secteur logistique et plates-formes associées pour l'accroissement des flux et désenclaver les régions démunies. Avec le démarrage de la ZLECAF, l'ASMEX continuera son engagement dans la recherche des financements pour l'investissement et le développement des industries exportatrices marocaines, du fait qu'elles sont la pièce maîtresse du développement de l'économie, surtout en ces temps de crise. Ainsi, l'ASMEX ambitionne d'agir pleinement dans le cadre de la volonté royale d'un développement multidimensionnel économique et social centré sur l'humain et l'esprit «win-win». Recueillis par Saâd JAFRI ZLECAF Un outil de l'intégration économique africaine L'entrée en vigueur de ce projet continental, lancé le 21 mars 2018 dans la capitale rwandaise lors du Sommet extraordinaire de l'Union Africaine (UA) sur la ZLECAF, a été officialisée vendredi dernier au cours d'une cérémonie virtuelle initiée par le secrétariat de la Zone continentale, basée à Accra. Ce lancement des échanges commerciaux sous la ZLECAF a été décidé en décembre dernier par les Chefs d'Etat et de gouvernement des 54 pays membres de l'Union Africaine, à l'occasion du Sommet extraordinaire sur la Zone Continentale. Cette entrée en vigueur constitue une étape importante dans l'intégration économique dans un espace commercial des plus importants au monde avec environ 1,2 milliard de consommateurs. Dans ses objectifs généraux, la ZLECAF vise premièrement à créer un marché unique pour les marchandises et les services facilité par la circulation des personnes afin d'approfondir l'intégration économique du continent africain et conformément à la vision panafricaine d'une « Afrique intégrée, prospère et pacifique » telle qu'énoncée dans l'Agenda 2063. Il s'agit également de créer un marché libéralisé pour les marchandises et services à travers des cycles successifs de négociations et les contribuer à la circulation des capitaux et des personnes physiques et faciliter les investissements en s'appuyant sur les initiatives et les développements dans les Etats parties et les CER. La ZLECAF veut également poser les bases de la création d'une union douanière continentale à un stade ultérieur et promouvoir le développement socio-économique inclusif et durable, l'égalité de genres et la transformation structurelle des Etats parties. A cela s'ajoutent le renforcement de la compétitivité des économies des Etats parties aux niveaux continental et mondial, la promotion du développement industriel à travers la diversification et le développement des chaînes de valeurs régionales, le développement de l'agriculture et la sécurité alimentaire et finalement la résolution des défis de l'appartenance à une multitude d'organisations qui se chevauchent, sans oublier l'accélération des processus d'intégration régionale et continentale. S. J. Repères Gazoduc Nigeria-Maroc En décembre, les pays de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont recommandé, le déploiement du projet d'extension du gazoduc de l'Afrique de l'Ouest. Ces derniers ont affirmé, dans un communiqué final, la nécessité de poursuivre les discussions avec les promoteurs du projet du Gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP) en vue de la conclusion d'un Mémorandum d'entente devant permettre d'aboutir à l'étude détaillée d'un projet unique de gazoduc en Afrique de l'Ouest. Un choix qui relève de l'évidence, du fait que les pays concernés par cette décision se sont fixé pour objectif la promotion du commerce et le développement infrastructurel dans l'intérêt mutuel des pays. La plaque tournante des investisseurs Après la décision historique des Etats-Unis de reconnaître la pleine souveraineté du Maroc sur le Sahara, un Mémorandum d'Entente entre les deux parties a été signé prévoyant de fournir un soutien financier et technique à des projets d'investissement privés, d'un montant de 3 milliards de dollars, au Royaume et dans les pays d'Afrique subsaharienne, en coordination avec des partenaires marocains. La «United States International Development Finance Corporation» (DFC) vise également à mobiliser une enveloppe de 5 milliards de dollars d'investissements au Maroc et dans la région.