Des malades Covid, parfois non déclarés, se soignent à domicile et génèrent des déchets dangereux qui se retrouvent dans le circuit normal des déchets ménagers. La problématique de la gestion des déchets au Maroc a été au cœur des discussions lors d'un webinaire organisé par l'Institut CDG le mardi 17 novembre. Quatre experts ont été réunis à cette occasion afin d'échanger sur le thème « Interroger le modèle national de gestion des déchets à l'aune de l'urgence et des opportunités économiques ». Dans le tour de table, Kenza Sara Elazkem, porte-parole de l'Association ZeroZbel, Christian Ngô, ex-membre du Commissariat à l'énergie atomique et Directeur du cabinet Edmonium Conseil, Dr Badiâa Lyoussi, professeur à l'Université Sidi Mohammed Ben Abdallah de Fès, et Hassan Chouaouta, président de l'Association Marocaine des Experts en Gestion des Déchets et en Environnement. "Le focus a été mis principalement sur les déchets ménagers et industriels dangereux. Nous avons cependant évoqué également la problématique des déchets médicaux", nous confie Hassan Chouaouta. Des déchets « imprévus » Si le Maroc dispose d'un cadre juridique et de dispositifs pour la gestion des déchets médicaux, le nombre en croissance des malades Covid impose cependant d'interroger l'efficience des moyens mis en place pour une gestion efficace des déchets médicaux générés par les soins. « J'avais fait une estimation sur la base des chiffres déclarés par le ministère de la Santé pour estimer la quantité de masques utilisés uniquement par des personnes infectées par la Covid-19. Les calculs ont démontré que, chaque jour, au moins 4 tonnes de masques contaminés sont générés », souligne Hassan Chouaouta. Si les hôpitaux du Royaume assurent une gestion et une élimination dans les règles des masques et des consommables utilisés pour les malades Covid hospitalisés, il existe un cas de figure où ces déchets finissent dans un circuit où il ne devrait pas se retrouver théoriquement. Les malades à domicile « Le nombre de nouvelles infections par la Covid déclarées chaque jour par le ministère de la Santé concernent les personnes qui ont fait des tests de dépistage. En plus de ces chiffres, il y a malheureusement des personnes qui, chaque jour, ressentent les symptômes de la maladie, mais ne sont pas dépistées parce qu'elles n'ont pas les moyens de faire un test et préfèrent se soigner chez elles. Il y a également des personnes qui ne veulent pas faire savoir qu'elles sont infectées et continuent à vivre « normalement » par crainte d'être rejetées socialement », alerte l'expert en gestion des déchets. Si parmi ces malades, qui passent sous le radar, un certain nombre est conscient de la dangerosité des déchets qu'il génère et donc prend un minimum de précaution, beaucoup se débarrassent de leurs déchets comme ils le feraient pour des déchets ménagers ordinaires. Risques de contamination « Les déchets contaminés d'un malade Covid qui se retrouvent dans le circuit des déchets ménagers constituent un véritable danger, principalement pour les récupérateurs et les éboueurs », confirme pour sa part Dr Jamal Bakhat, président de la Société Marocaine des Médecins d'Hygiène et de Salubrité Publique. Yassine Mazot, président de la coopérative Attaouafouk, qui est chargée depuis 2011 du tri des déchets dans la décharge d'Oum Azza à Rabat, confirme : « Tous nos ouvriers sont conscients de l'importance de travailler avec vigilance pendant le tri. Si les centres de collecte et de transfert veillent à ne pas nous transférer des déchets médicaux qui sont parfois jetés dans le circuit des déchets ménagers par certains établissements de santé, il nous arrive cependant d'en trouver de temps en temps dans notre chaîne de tri. Nous essayons d'éviter de les manipuler et nos ouvriers sont d'ailleurs toujours équipés de gants et de masques de protection », explique-t-il. « Je pense qu'il est actuellement très important de sensibiliser le public à grande échelle sur les précautions à prendre pour l'élimination des déchets potentiellement infectés par des particuliers. Le minimum est d'asperger ces déchets avec de l'eau de javel (diluée à raison d'un litre pour 6 litres d'eau) puis de bien fermer le sac avant de le jeter », préconise Dr Jamal Bakhat. Oussama ABAOUSS 3 questions à Hassan Chouaouta, expert en gestion des déchets « Les cliniques devraient faire l'objet de contrôles inopinés » Expert et président de l'Association Marocaine des Experts en Gestion des Déchets et en Environnement, Hassan Chouaouta a répondu à nos questions sur les déchets médicaux. - Quel est aujourd'hui le cadre juridique qui encadre la gestion des déchets médicaux ? - Le décret sur les déchets dangereux a été adopté il y a quelques années déjà. Il s'agit d'un décret en application de la loi 28.00 sur la gestion des déchets et leur élimination qui spécifie les prescriptions techniques et les modalités de gestion des déchets dangereux, notamment en termes de responsabilité. Aujourd'hui, un producteur de déchets dangereux (qu'il s'agisse de déchets médicaux, industriels, ou encore agricoles) a légalement l'obligation de gérer le traitement et l'élimination de ses déchets en garantissant une traçabilité tout au long de la chaîne. - Est-ce que cette procédure de traçabilité est respectée par les « producteurs » de déchets Covid ? - Aujourd'hui, dans les principaux hôpitaux au niveau des principales villes, les déchets médicaux sont confiés à travers des appels d'offres à des opérateurs privés spécialisés. Ces déchets sont triés par les établissements de soins, ils sont remis aux sociétés privées qui assurent la collecte puis le traitement. Pour les cliniques privées et les laboratoires, il existe malheureusement des cas où les déchets médicaux sont encore éliminés comme de simples déchets ménagers. - Comment éviter ce genre de pratique ? - Je pense qu'il est actuellement nécessaire de revoir les cahiers de charges d'ouverture et d'autorisation des cliniques afin que la gestion des déchets médicaux y soit intégrée. Les cliniques devaient en outre faire l'objet de contrôles inopinés par les services concernés. Recueillis par O. A. Encadré Logistique : Les capacités des sociétés de gestion de déchets médicaux mises à rude épreuve Les déchets médicaux sont gérés au Maroc par des entreprises spécialisées autorisées moyennant des contrats qui les lient avec les hôpitaux. En octobre dernier, les autorités judiciaires ont ouvert une enquête concernant deux entreprises basées à Aïn Atik et Bouskoura. Le quotidien « Assabah », qui a été le premier à révéler cette information, a précisé que les entreprises en question n'avaient pas respecté la procédure d'élimination de déchets médicaux qui ont été découpés, sans passer par les phases de désinfection. Face à une quantité de déchets qui dépasse ses capacités de gestion, une des deux entreprises a été contrainte d'utiliser des dépôts anarchiques qui avaient fait l'objet d'une perquisition et d'une saisie par la Gendarmerie Royale.« Il existe une douzaine de sociétés qui sont autorisées à gérer les déchets médicaux. Leurs capacités de gestion ne sont pas les mêmes. Cela dit, il est vrai que l'évolution de la pandémie ces derniers mois a mis certaines de ces entreprises à rude épreuve parce que la quantité des déchets dépassait leurs capacités », contextualise Hassan Chouaouta, président de l'Association Marocaine des Experts en Gestion des Déchets et en Environnement. « En principe, chaque délégation de la Santé devrait demander aux entreprises spécialisées qui sont basées sur son territoire d'indiquer leurs capacités de gestion afin de veiller qu'une société ne monopolise une région alors qu'elle n'a pas la capacité nécessaire. Quand c'est le cas, la société est obligée de stocker les déchets alors que cette pratique est interdite pour ce genre de déchets », recommande Hassan Chouaouta.
Repères Les recommandations du ministère de la Santé Une circulaire du ministère de la Santé datée du 5 août 2020 souligne que les déchets individuels pour les cas Covid-19 en traitement à domicile doivent être mis dans un sac en plastique fourni par les services de la délégation de la Santé. Une pulvérisation par une solution désinfectante à base d'eau de Javel diluée au 1/6ème doit être appliquée au fur et à mesure de la mise en plastique. Une fois le sac rempli, il doit être fermé et désinfecté de l'extérieur par la même solution, avant d'être éliminé. Les catégories de déchets dangereux Au Maroc, la collecte des déchets médicaux et pharmaceutiques est régie par une réglementation qui prévoit 4 catégories de déchets. Chaque catégorie doit faire l'objet de mesures spécifiques d'élimination. Les déchets du Covid-19 s'inscrivent dans la catégorie I, soit les déchets à risque infectieux, « qui contiennent des micro-organismes viables ou des toxines susceptibles de causer la maladie chez l'homme ou chez d'autres organismes vivants » ainsi que « les organes et tissus humains ou animaux non-identifiables».