Le Maroc produit 6300 tonnes de déchets médicaux dangereux par an. Dans quelles conditions sont traités ces matériaux à risque ? Enquête. Le déphasage entre la pratique et la théorie est monnaie courante au Maroc. Sauf que dans certains cas, ce décalage peut mener à un scandale sanitaire aux conséquences dangereuses sur la santé de la communauté. Attention danger ! La pratique : des gouttes de sang dégoulinent jusqu'à la porte d'entrée, des sacs éventrés remplis de seringues usagées jonchent le sol. D'autres sacs remplis de placenta dégagent une odeur infecte. Il ne s'agit pas d'une bande d'annonce d'un film d'horreur mais bien d'une unité de traitement des déchets médicaux et pharmaceutiques (DMP) située à la périphérie de Rabat. La théorie : ce secteur sensible est soumis à une réglementation sévère. Un extrait de la loi n° 28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination, article 38 stipule que : « Les DMP doivent faire l'objet d'une gestion spécifique visant à éviter tout atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement». A ce texte général s'ajoute des textes spécifiques comme le décret n° 2-09-139 relatif à la gestion des DMP, publié par le Ministère de la santé fixant avec force du détail les modalités de tri, d'emballage, de collecte, de stockage, de transport, de traitement et d'élimination de ce type de déchets ainsi que les modalités de délivrance de l'autorisation de collecte et de transport de ces déchets. Malheureusement, cet effort législatif ne trouve pas d'échos sur le terrain. Retour à cette fameuse «unité». À l'entrée, un conteneur rempli de déchets traités est à l'air libre, les risques de putréfaction se multiplient. La porte du hangar n'est pas fermée, facilitant l'entrée de chiens, de chats ou de rongeurs. Sur place, un opérateur en sueur se débat seul pour traiter les déchets divers. Malgré qu'il baigne dans une odeur écoeurante, il ne porte pas de masque au visage pour se protéger. La protection de cet ouvrier se résume à des bottes et des gants de plastiques à l'étanchéité peu fiable. Nous avons contacté la responsable de cette unité pour avoir des explications sur la situation sur place, elle a refusé de répondre à nos questions et s'est contentée de lancer : «il est normal que notre unité dégage de telles odeurs, nous ne sommes pas une parfumerie» ! Le Maroc revient de loin A partir de 2010, le ministère de la Santé se résout à recourir à l'externalisation pour la gestion de ces déchets. Trois opérateurs recevront le précieux sésame délivré par les Ministères de la santé et de l'environnement, selon les dispositions de la loi 28-00 et le décret 2-09-139. Ces trois entreprises répondent aux appels d'offres du public et du privé. Une quatrième entreprise existe sur le marché mais sans avoir l'autorisation d'exercer ! (voir encadré). En chiffres, le bilan parait positif surtout que le Maroc revient de loin dans ce domaine. En 2009, seuls 45 parmi les 142 hôpitaux publics que compte le pays traitent leurs déchets. «À l'époque, l'assise juridique était encore récente au Maroc et on n'accordait pas beaucoup d'importance aux questions liées à ce sujet», rappelle Dr Laila Bouhamidi, de la Direction des hôpitaux et soins ambulatoires, département chargé de ce dossier au sein du Ministère de la santé. Depuis, un long chemin a été parcouru. En 2013, 105 hôpitaux traitent leurs déchets et 26 disposent de broyeurs stérilisateurs. Ces derniers ont recours également à l'externalisation pour la maintenance de ces machines. Le hic, c'est la nature de ces équipements. «Ces broyeurs stérilisateurs sont en réalité des désinfecteurs. Ils ne répondent pas aux critères de stérilisation», alerte un praticien actif sur ce dossier. Ils restent 11 hôpitaux provinciaux ou locaux qui ne traitent pas leurs déchets. «Malgré nos appels d'offres concernant ces structures, les sous-traitants n'ont pas réagi favorablement. Ils estiment que ces hôpitaux sont trop éloignés et leur production est trop faible, donc peu rentable. Les équipes de broyeurs coûteraient trop cher. Actuellement, nous étudions d'autres pistes pour couvrir toutes structures du public», annonce Dr. Bouhamidi. Les efforts du Ministère se concentrent sur les déchets solides alors que la gestion des rejets liquides n'est pas encore à l'ordre du jour. Quel contrôle de la sous-traitance ? Pour l'heure, la sous-traitance du privé gère 65% des DMP. Sauf que ce secteur jeune connait un accouchement difficile. selon La Vie Eco, l'entreprise espagnole Athisa opérant au Maroc traite entre 80 000 et 100 000 tonnes de déchets hospitaliers par mois. Elle dispose d'un portefeuille de près de 150 clients privés (cliniques, laboratoires, centres d'hémodialyse) et une quarantaine d'hôpitaux publics de Tétouan à Tiznit, et de 3 CHU, ceux de Rabat, Casablanca et Marrakech. En plus de l'unité de traitement de Tétouan, cette entreprise devrait renforcer sa capacité de traitement avec une unité à Casablanca. Son principal concurrent est Saiss Environnement. Cette entreprise domiciliée à Meknès traite les déchets du CHU de Fès et 80% des clients privés de la même ville ainsi que de Meknès et Salé. Elle détient 50% de part de marché sur Rabat et 20% sur Casablanca. A elle seule, cette entreprise traite entre 3 et 4 tonnes de déchets. Avec le recours massif à l'externalisation, les prestations des opérateurs privés laissent à désirer. Les sous-traitants font face à de nombreuses réclamations de la part de leurs clients. «Toutes ces entreprises ne sont pas conformes aux exigences de lois qui fixent des standards élevés, mais j'ose dire que c'est mieux que rien. Maintenant, il faudrait que le ministère joue son rôle de contrôle sur le terrain pour que les choses s'améliorent. Il faut éviter une catastrophe à l'avenir », prévient notre expert. Le ministère insiste sur les gains réalisés grâce à cette opération. «Ces entreprises investissent dans les appareils et leur maintenance. Ceci nous permet de nous concentrer sur notre mission principale : l'offre de soins», précise le cadre de la direction des hôpitaux. Quid du contrôle ? Les sous traitants disposent d'une autorisation de 5 ans, délivrée par les deux départements de tutelle qui s'assurent de la qualité du travail de ces entreprises. Dans les faits, le contrôle n'est pas toujours au rendez- vous. Confrontés à la situation de l'unité que nous avons visitée, la responsable du ministère réplique : «nous allons mener notre enquête pour vérifier ces informations. Lors de nos visites, nous ne constatons rien d'anormal ». Le ministère prépare un nouveau décret pour préciser les clauses du contrat avec les sous-traitants ainsi que sa durée. Il est prévu de passer d'un contrat d'une année à un marché cadre de trois ans. Si le public tente de faire figure de bon élève, le secteur privé demeure hors de contrôle. «La situation du secteur privé pose problème. Hormis, les missions de l'Inspection générale du ministère, aucun rapport n'est remis à notre département sur cette question par les structures privées de santé», regrette Dr. Bouhamidi. Dans le lot, on retrouve les cliniques, les labos d'analyses et les vétérinaires privés. Voyons de près comment une de ses structures traitent ses déchets. Une clinique «modèle» Nous avons visité les installations d'une clinique privée de Casablanca. Cet établissement se présente comme «modèle» en matière de gestion des déchets médicaux. «Des processus sont suivis à la lettre par l'ensemble du personnel de la clinique. Tout un travail de formation a été effectué afin de les sensibiliser», explique Dr. Chrouki, responsable de ce dossier au sein de cette clinique. Depuis deux ans, cette structure fait appel à un sous-traitant pour la gestion de ces déchets. «Avant, nous avions recours à l'incinération. Désormais, c'est interdit par la loi. L'externalisation nous a permis de résoudre ce problème», rappelle Dr. Chrouki. Selon ce dernier, les processus ne sont qu'à leur début, «ils nous fraudaient fournir beaucoup d'efforts pour former le personnel médical et paramédical pour assurer le tri au niveau des cliniques», recommande-t-il. CHIFFRES: Les grands inconnus Le ministère de la santé ne dispose pas de chiffres sur la quantité de DMP produit au Maroc. «Le premier chantier de l'administration doit être celui de récolter des données exactes sur la situation du terrain», préconise un spécialiste de ces questions. En attendant, le Maroc se contente d'estimations basées sur les indicateurs de l'Organisation mondiale de la santé. Chaque lit d'hôpital produit 3 kg de déchets et la norme internationale estime les déchets à risques à 20%. Restent alors les déchets ménagers ou non contaminés. Avec 13 000 lits au Maroc (public et privé), le Maroc produit 21 000 tonnes et donc à 6300 tonnes de déchets à risque. Sans surprise, les régions de Rabat-Salé et du Grand Casablanca sont les deux zones de production les plus importantes. Cette clinique produit environ 200 kg/mois de déchets pour une facture mensuelle de 2000 DH. Sur le marché, les prix du traitement varient entre 5 et 11 DH/kg. Pour d'autres professionnels de la santé travaillant dans le privé, le traitement des DMP n'est qu'à ses débuts et pose toujours problème. «Le tri et le traitement des déchets s'effectuent sans avoir recours à aucun guide. Tout est laissé à la bonne conscience du personnel. Cela ouvre la porte aux dérapages», prévient un chirurgien casablancais. Sans un Plan national de gestion des DPM, les acteurs de secteur de la santé, public comme privé, agissent sans boussole. Les risques de contamination, de pollution et de maladies planent sur les citoyens. Les établissements de soins ainsi que les unités de traitements peuvent se transformer en tout moment en foyers émetteurs de maladie…