Surcharge des services d'accueil des Urgences, pénurie flagrante en ressources humaines qualifiées, accès non équitable à des soins de qualité, et désert professionnel en secteur privé. Telles sont les principales lacunes auxquelles la Médecine d'Urgence (MU) au Maroc est confrontée. « Malgré les efforts mis en œuvre pour améliorer la qualité des services rendus par la Médecine d'Urgence, de nombreuses faiblesses persistent encore et exigent une approche globale et intégrée de la problématique des urgences hospitalières et préhospitalières », souligne la Société Marocaine de Médecine d'Urgence (SMMU) dans son Livre blanc sur la Médecine d'Urgence, fraîchement publié. La première lacune ainsi soulevée a trait à la surcharge des Services d'Accueil des Urgences (SAU). En effet, selon la SMMU, plus de 6 millions de patients fréquentent annuellement les urgences hospitalières, avec un accroissement annuel moyen d'environ 10%. Ce qui représente plus de 50% des consultations ambulatoires des hôpitaux publics, dont 10% se soldent par une hospitalisation. 35,5% des interventions chirurgicales majeures sont réalisées en urgence, ce qui justifie la nécessité de restructurer ces services, d'en assurer la mise à niveau et d'actualiser leurs fonctions et attributions, tient à noter la même source. 118 services d'urgences au Maroc La SMMU fait observer également, concernant toujours la question de la surcharge des services d'accueil des urgences, qu'il n'y a pas une bonne coordination entre les intervenants, tant en intrasectoriel (prise en charge pluridisciplinaire) qu'en intersectoriel dans un souci de gestion des délais d'intervention (Protection Civile, SAMU, secteur privé, ...etc.). La SMMU souligne, à ce titre, une nécessité de la qualification professionnelle des intervenants. « La prise en charge urgente exige un personnel médical et paramédical ayant des compétences spécifiques leur permettant d'agir rapidementet très souvent dans des situations d'incertitude. Sur les 118 services d'urgences au Maroc (soit 85% des hôpitaux publics) fonctionnels 24 h/24 et 7 j/7 durant toute l'année, le travail est assuré, dans la plupart des cas, par des médecins généralistes appuyés, dans certains hôpitaux, par des médecins spécialistes. Au moment où l'évolution rapide des sciences médicales font de plus en plus appel à des techniques de diagnostic, d'organisation et de traitement de plus en plus sophistiquées qui exigent une réponse adaptée aux différentes situations d'urgences », estime la même source. La SMMU fait observer, en outre, que l'accès à des soins de qualité n'est pas équitable.« Les Marocains fréquentant les SAU exigent d'avoir un accès équitable et effectif à des soins de qualité avec respect des droits humains, délivrés par un personnel médical et paramédical qualifié et d'un professionnalisme exemplaire », est-il indiqué. Pénurie flagrante en ressources humaines qualifiées Autre élément soulevé dans ledit livre blanc : il existe une pénurie flagrante en ressources humaines, notamment qualifiées, que ce soit pour le personnel médical ou paramédical dans les deux secteurs de Santé (public et privé). Par ailleurs, les Unités Pédagogiques et de Recherche (UPR) assurant la formation de ces personnels n'existent que dans deux universités, dont celle de Casablanca qui n'est plus active. Aussi, l'inexistence de postes d'enseignement universitaire constitue un pronostic « sombre » dans la transmission des connaissances, des compétences et des valeurs. Désert professionnel Le secteur de la Médecine d'Urgence au Maroc souffre aussi d'un autre problème non négligeable, à savoir le désert professionnel en secteur privé. En effet, poursuit la même source, aucun spécialiste en MU ou ISSISU (Infirmiers Spécialistes en Soins Intensifs et Soins d'Urgences) n'exerce en secteur privé où les Urgences sont gérées par des généralistes et infirmiers polyvalents, souvent non qualifiés et/ou des médecins en formation, surtout en vacation de nuit. Sachant que le nombre des cliniques privées est de 332 avec une capacité d'environ 8.400 lits, soit 23% de la capacité litière nationale totale. Restructurer la formation médicale au sein des UPR Face à ces contraintes, la SMMU suggère une série de mesures susceptibles d'améliorer l'exercice de la MU au Maroc. Elle recommande, en premier lieu, de changer la terminologie actuelle de Médecine d'Urgences et de Catastrophe, en Médecine d'Urgence tout court, comme c'est le cas en France, aux USA, en Belgique, en Suisse, en Espagne et au Royaume Uni, ...etc., ou en Urgentologie, comme le cas au Canada. Par ailleurs, en vue de qualifier les ressources humaines, la SMMU estime que le personnel ambulancier assurant le transport de malades/ victimes doit avoir la certification académique agréée par le ministère de la Santé pour exercer dans le domaine du transport sanitaire. Etant donné que la MU constitue un des piliers fondamentaux de la prise en charge des polytraumatisés, les spécialistes en cette discipline doivent faire partie de l'équipe multidisciplinaire opérant pour préserver la vie des victimes, et ce, depuis le ramassage à la phase pré-hospitalière jusqu'à l'admission du patient au bloc opératoire, aux plateaux de l'embolisation radiologique ou en réanimation. Il est recommandé, également, la restructuration de la formation médicale en MU au sein des Unités Pédagogiques et de Recherche (UPR), au niveau de toutes les Facultés de médecine. Limiter la durée de formation académique à 4 ans Elle suggère aussi la révision de la formation académique en MU et surtout la durée qui doit être limitée à 4 ans (au lieu de 5 ans actuellement)... A défaut de la disponibilité d'un Urgentologue, ajoute la même source, les acteurs des urgences au niveau des hôpitaux périphériques (CHL, CHP, CHR) doivent disposer d'au moins un diplôme de médecine générale et un DIU en « Secours, Soins de réanimations et Evacuations sanitaires en situations d'urgence ». Autres mesures suggérées : avoir une stratégie nationale, régionale et pour chaque structure intégrée dans le système de santé, et reconnaître juridiquement la pénibilité de l'exercice de la Médecine d'Urgence... La SMMU, une organisation à but non lucratif, se fixe pour missions la promotion et le développement des connaissances scientifiques et professionnelles dans tous les domaines d'exercice de la médecine d'urgence. A. CHANNAJE Repères Risques liés à l'exercice de la MU D'après la SMMU, le personnel des Urgences est exposé en permanence à de multiples risques professionnels qui, des fois, peuvent être fatals. Il s'agit, entre autres, des risques infectieux et des risques radiologiques. Pour les premiers risques, la SMMU souligne que les services des Urgences sont des lieux très souillés, où l'observance des règles d'hygiène est difficile à contrôler vu le flux des passages et la multiplicité des intervenants. Concernant les risques radiologiques, la même source indique que « L'utilisation des rayonnements ionisants lors des radiographies standards et le transfert des patients aux salles de Scanner exposent les équipes des Urgences (médicale et paramédicale) à des irradiations accidentelles ». Terminologie En 1980, l'American College of Emergency Physicians a défini la Médecine d'Urgence comme étant la spécialité qui intervient auprès des malades nécessitant des soins immédiats pour l'un des motifs suivants : menace de leur vie ou leur intégrité physique et/ou fonctionnelle, inconfort physique, social, ou psychologique important, et implications médico-légales (viols, violences envers un enfant ou une femme ou une personne infirme, ...etc.). C'est pourquoi la pratique de la Médecine d'Urgence regroupe le tri pré-hospitalier et intra-hospitalier, l'évaluation initiale et la prise en charge en urgence des situations pathologiques, que ce soit en Unités de Soins Intensifs (USI) ou Unités d'hospitalisations, jusqu'à la sortie ou le transfert vers un autre service de soins. La prise en charge des patients aux Urgences est le plus souvent multidisciplinaire. La coordination et la hiérarchisation de leurs interventions est l'une des missions du spécialiste en médecine d'urgence, qui joue le rôle de chef d'orchestre.