La rentrée politique de cette année annonce une profonde reconfiguration de la scène politique nationale. Les alliances d'hier laissent place à de nouvelles ententes. Et le PJD, actuellement en tête du gouvernement, se voit de plus en plus esseulé. Ceux qui avaient qualifié, après le 5 avril 2017, le gouvernement Othmani d'alliance contre-nature semblent ne pas s'y être trompés. Le gouvernement Othmani I s'est fait recaler pour manque d'efficacité, le 9 octobre 2019, après s'être fait éjecter quatre ministres dehors, le 24 octobre 2017, puis un cinquième, le 1er août 2018. Outre un remaniement qui a porté sur cinq départements, le 22 janvier 2018, et un autre, le 20 août, qui n'a concerné qu'un seul maroquin, mais de non moindre importance, puisqu'il s'agit de celui des Finances. Les tribulations des gouvernements Othmani Le gouvernement Othmani II a surtout brillé par son inexistence en tant qu'expression de l'entente politique entre les cinq partis qui le composent. La décence veut qu'on ne tire pas sur une ambulance, encore moins en ces temps de pandémie qui a servi de camouflage pour une équipe de ministres qui ne constitue pas pour autant un gouvernement. Quant au « leader » de l'équipe, celui qui est censé encadrer et motiver ses troupes pour servir au mieux les intérêts des Marocains, comme ça leur a été promis lors de la campagne électorale, à chacune de ses rares interventions, on ne savait plus s'il fallait en rire ou en pleurer de dépit. On aurait pu escompter du médecin psychiatre qu'il profite de la crise sanitaire pour faire étalage de son savoir-faire et de sa maîtrise de la situation. Il n'en a rien été, avec des rendements inégaux des différents départements ministériels. Le « fqih » qui a pris le dessus a psalmodié en secret, dans l'attente d'une fin pas trop catastrophique de son mandat. Constat des dégâts Lors d'une intervention par visioconférence dans la cadre d'une réunion du Comité central du Parti de l'Istiqlal, le Secrétaire Général, Nizar Baraka, n'y est pas allé par quatre chemins pour qualifier la gestion désastreuse du gouvernement Othmani, aussi bien de la pandémie que de la relance de l'économie. « Cette récession va nous mener droit dans le mur, voire même faire régresser le Maroc au niveau des indicateurs économiques et sociaux que connaissait notre pays dans les années 90 », a martelé Baraka. Selon les récents chiffres annoncés par le Wali de Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri, l'économie marocaine devrait se contracter de 6,3% cette année, alors qu'au mois de juin, l'estimation était de 5,2%. La reprise espérée en juin n'a pas eu lieu. Selon les chiffres du Haut Commissariat au Plan (HCP), 589.000 personnes ont perdu leur emploi au cours du 2ème trimestre 2020 et le taux de chômage est ainsi passé de 8,1 à 12,3% de la population active. Ceci, sachant que le nombre d'actifs à été réduit de 93.000 personnes, faisant passer le taux d'activité de 45,8 à 44,8%. Et ce n'est pas fini. Comme l'explique le rapport sur la politique monétaire de Bank Al Maghrib : « Près des deux tiers des personnes ayant préservé leurs emplois ont travaillé moins que d'habitude et le volume horaire hebdomadaire par personne a reculé de 45 à 22 heures, une baisse ayant concerné essentiellement les secteurs non agricoles ». Bref, la situation est encore plus grave qu'on ne le croyait. Faillites retentissantes Le système de santé a montré ses limites, malgré le dévouement dont a fait preuve le corps médical lors de cette crise sanitaire. Quant au secteur de l'Enseignement, la pandémie du Covid-19 n'a fait que rendre encore plus flagrantes les disparités sociales qui en font un système à plusieurs vitesses, producteur d'inégalités. Les parents d'enfants scolarisés se sont retrouvés, du jour au lendemain, confrontés au passage brutal de l'enseignement présentiel à l'ère du digital, sans que nombre d'entre eux ne disposent des équipements nécessaires pour assurer l'instruction de leurs progénitures, ni les moyens financiers pour engager un tel investissement. La colère des parents d'élèves est surtout directement subie par les directions des établissements scolaires, mais les réseaux sociaux grondent aussi de désapprobation envers le ministre de tutelle. Il faut reconnaître au Secrétaire Général du Parti Authenticité et Modernité (PAM) la franchise de cette déclaration, faite lors d'un entretien, à propos de sa propre formation politique et de celle du PJD : « Les deux partis se doivent de faire leur autocritique et de s'excuser auprès du peuple marocain pour avoir mené le Maroc dans des banalités indignes d'eux, en tant que partis nationaux ». Calculs d'épicier Ce n'est ni le Secrétaire Général du PJD et actuel chef du gouvernement, Saâd Dine El Othmani, ni le courant interne renaissant et opposé mené par son prédécesseur aux deux postes, Abdelillah Benkirane, que l'on entendrait avouer ces quatre vérités et faire repentance. Les Pjdistes ne pensent qu'à s'accrocher au pouvoir, même après avoir échoué à l'exercer convenablement, au bénéfice de leurs concitoyens, comme le prouve leur attachement au seuil électoral. Alors que la majorité des formations politiques conviennent soit d'unifier le seuil électoral à 3% comme le propose l'Istiqlal et le PPS, soit de le supprimer, après adoption d'un coefficient électoral basé sur les inscrits sur les listes de vote, le PJD a catégoriquement rejeté cette proposition de réforme, nullement gêné de se retrouver esseulé dans cette position. Les Pjdistes ne brillent peut-être pas par leurs compétences de gestionnaires des affaires publiques, mais s'avèrent des lumières quand il s'agit de calculs électoraux. Si le passage au quotient électoral basé sur le nombre de votes valides exprimés divisé par le nombre de sièges à pourvoir va permettre une meilleure représentativité au parlement des différents courants politiques qui animent la société, les penchants hégémoniques du PJD l'amènent à privilégier la situation actuelle, où seuls sont pris en compte les votes valides exprimés.
Insoutenable légèreté de la foi Le confrère « La Vie Economique » a bien mis en évidence la stratégie pjdiste dans un récent article consacré à ce sujet, des propos déjà entendus chez Enaâm Myara, Secrétaire Général du syndicat UGTM, lors d'un entretien accordé à « L'Opinion » le 17 décembre 2018. S'appuyant sur un réservoir électoral de quelque 1,5 million de fidèles et faisant tout pour dégoûter les Marocains de la politique pour les dissuader de se rendre aux urnes, le PJD escompte ainsi se maintenir en pôle position sur la scène politique et continuer à profiter des « délices » ministériels. Miné de dissensions internes et esseulé sur la scène politique, le PJD révèle par son « un contre tous » la dimension pseudo-messianique de son idéologie. Ahmed NAJI Repères Illusions Quand le gouvernement fait le bilan des trois dernières années, on est en droit de se demander de qui se moque-t-il. 90% des 581 mesures annoncées au programme gouvernemental, en 2017, auraient été réalisées, peut-on lire dans un rapport à ce sujet, diffusé à quelques mois des élections. Pour se contredire un peu plus loin. En fait, 56% seulement des engagements auraient été réalisés, selon le même document, 35% ne le seraient que partiellement, 4% ne font que démarrer et pour le reste, rien. La meilleure, c'est quand Othmani parle de « méthodologie collective », alors que les dissensions au sein de son gouvernement sont de notoriété publique. Incertitudes Aucune prévision ne semble tenir face à la crise du Covid-19. Bank Al-Maghrib a dû réviser les siennes. « Pour l'ensemble de l'année 2020, la prévision annoncée en juin a été ajustée à la baisse au regard du redémarrage plus lent que prévu de l'activité, de la mise en place de certaines restrictions locales ou sectorielles suite à la recrudescence des infections, ainsi que de la poursuite de la fermeture quasi-totale des frontières pour les voyageurs ». Après avoir corrigé à 6,3% la contraction du PIB en 2020, la banque centrale a estimé à 4,7% la croissance en 2021. Mais... « ces perspectives restent entourées d'un niveau exceptionnellement élevé d'incertitudes liées notamment à l'évolution de la pandémie, à l'ampleur de ses retombées ainsi qu'au rythme de la reprise ».