Planer, «se défoncer» rien qu'en écoutant seul, dans le noir, un fichier mp3. C'est la promesse des drogues numériques prisées par les adeptes déjà accros. Par Hayat Kamal Idrissi
Une drogue qui ne s'injecte pas dans le sang, ne se fume pas, ne se sniffe pas non plus... Pour planer, un casque de bonne qualité, un bandeau sur les yeux, un coin tranquille et un fichier mp3 de I-doser suffiront. C'est le principe de base de cette nouvelle génération de drogues. Pendant le confinement, les conditions étaient propices au développement d'une addiction assez particulière... et surtout à la portée de main. Pour les novices, la dose des drogues digitales est en fait un mélange de fréquences sonores d'une durée comprise entre 15 et 30 minutes. Sa particularité ? Cette drogue est constituée de battements binauraux, un concept découvert en Allemagne en 1839. « Selon cette théorie, certains sons de tonalités différentes envoyés simultanément dans chacune de nos oreilles, auraient la capacité de perturber le fonctionnement du cerveau. Ceci tout en déclenchant une sorte d'hypnose sonore», nous explique Meriem Mouaâtassim, psychiatre à Casablanca.
Planer
«J'en ai entendu parler dans un groupe sur Facebook. Des amis en vantaient les bienfaits par rapport à la concentration et à l'amélioration de la mémorisation tout en détendant. Le soir même, j'ai cherché sur le net et j'ai trouvé des fichiers sonores gratuits. Je n'ai pas hésité un moment à les tester. Au début, j'ai rien ressenti. J'écoutais en effet une sorte de musique douce avec un fond sonore différent plus fort. A un certain moment, j'avais l'impression que les murs de la chambre se mettaient à onduler, à danser ! », nous décrit Aissam Hraymi, étudiant en économie.
« Les sons raisonnaient au fin fond de moi et j'ai commencé à sentir des fourmillements au bout de mes membres. Au terme de cette première expérience, je planais. J'avais l'impression que je flottais », rajoute le jeune homme. Il avoue être tenté de reprendre son expérience à nouveau. «Question de découvrir l'effet que ça fera la prochaine fois», explique -t-il en souriant.
Le piège
Une véritable tentation que les spécialistes expliquent par le facteur curiosité. «Comme pour la plupart des drogues, la curiosité joue un rôle primordiale dans la découverte de l'e-drogue et dans le développement d'une future addiction. Surtout si l'on considère les promesses émises par les sites pourvoyeurs», analyse la psychiatre. Trop curieux pour saisir la gravité du danger, les jeunes en quête de nouvelles sensations, pensent planer tout en développant une sorte d'intelligence artificielle. Vantée pour leurs effets relaxants ou stimulants, les drogues digitales sont disponibles gratuitement sous forme de capsules promotionnelles. Des doses réduites à tester avant d'en acheter sous forme de fichiers audio à télécharger. Dans leur descriptif promotionnel, les vendeurs de i-doser affirment qu'il permet de se sentir mieux rien qu'en écoutant de la «musique». D'après eux, elle améliore le sommeil, permet de se détendre profondément et rapidement. Ceci tout en accélérant le développement personnel, améliorant la concentration et la mémorisation. Ils affirment également que le i-doser « débarrasse des états de nervosité, de fatigue ou de dépression, corrige la dyslexie et, grand hic, aide les enfants hyperactifs » !!!
Fausses promesses
Que de belles promesses susceptibles de séduire le plus réticent des internautes. Un piège qui a d'ailleurs prouvé son efficacité à travers le monde. De plus en plus conscients de la gravité du phénomène, des spécialistes commencent à dénoncer la vente libre et ouverte de cette drogue. Comptant sur le bouche à oreille, elle fait chaque jour de nouveaux adeptes encouragés par l'accès facile. Sur Internet, les récits d'expériences personnelles postées par des internautes testeurs sont légion. «Tandis que certains affirment avoir ressenti un véritable effet relaxant ou stimulant et même hallucinant, d'autres nient toute influence. Ces derniers évoquent l'effet placebo suggestif. A force d'entendre parler des effets, l'on finit par croire les ressentir », analyse Meriem Mouatassim. Des propos confirmés par un simple tour sur les forums ou sur Youtube où l'on peut découvrir une multitude de vidéos relatant des expériences en life ou après coup avec des descriptifs détaillés.
Inquiétudes
Si au Maroc nous en sommes encore aux prémices, dans l'Algérie voisine, on commence à s'alarmer. Les hôpitaux psychiatriques commencent à recevoir les premières victimes développant une forte addiction. « Ces ondes stimulent la sécrétion de la Dopamine qui donne une sensation de plaisir intense et de bien être. C'est normal de chercher à revivre ces sensations à nouveau et à répétition. Dans le cas des drogues virtuelles, le grand danger serait l'absence jusqu'à maintenant de remède et de médicaments pour traiter ce genre d'addiction», s'alarme la psychiatre. En Algérie, où le phénomène commence à prendre des proportions menaçantes, les hôpitaux de santé mentale tentent de traiter les cas reçus. «En l'absence de médicaments et de protocoles de traitement scientifiquement fiables, nous expérimentons, dans le cadre de la recherche scientifique, des procédés tels que la sismothérapie (électrochoc) », explique un médecin algérien dans une émission télévisuelle consacrée au phénomène.
Seul face à son addiction
Evoquant les effets dangereux de cette addiction, les psychiatres notent un élément aggravant lié aux conditions spéciales de la consommation de la e-drogue. «Pour optimiser ses effets, une e-dose se doit d'être consommée dans un cadre noyé dans le noir, avec un bandeau sur les yeux et surtout en solo, isolé de tous», note la psychiatre.
Seul face à ses peurs, seul face à ses pulsions, seul face à son plaisir, seul face à son addiction... qui peut couter de 30 à 40 dollars la dose. Un prix cher que les novices sont loin d'imaginer au tout début de leur aventure virtuelle, souvent offerte à titre gratuit. Un commerce électronique qui adopte les mêmes pratiques aguichantes et le même marketing du trafic de drogues classiques. On vous offre au début des doses gratuites pour vous accrocher avant de vous demander de contrepartie pour satisfaire vos besoins. Un besoin qui, s'il n'est pas satisfait, peut aboutir à la dépression, au suicide et à la mort à cause des réactions physiques parfois trop violentes, affirme la psychiatre. Si d'après les spécialistes, la sensibilisation et une forte prise de conscience par rapport aux dangers de ces fichiers sonores, s'imposent pour protéger les jeunes et les enfants, ils s'accordent sur leur insuffisance pour lutter contre le phénomène. « Tant que ces drogues circulent en toute impunité sur le net, en profitant à fond du vide juridique, nos jeunes risquent à tout moment de céder à l'appel des sirènes », regrette la psychiatre.
J'ai testé la e-drogue... Pour les besoins de cet article, j'ai testé une dose de 15 minutes d'une e-drogue offerte gratuitement sur Youtube. Testé au bureau, j'ai essayé de créer les conditions adéquates recommandées par ses créateurs.
Dans le fichier en question, j'entendais différents sons en même temps: Une averse forte, ou un écoulement d'eau de ruisseau avec au fond une sorte de musique type bande sonore de film de science fiction liée à l'apparition d'extraterrestre, une musique électronique...avec des variations régulières de tons et de tonalités. Côté sensations, j'ai senti au début une certaine gêne à cause des sons différents qui ne semblent pas coordonnés. Mais aussi un léger ennui à cause d'un soupçon de monotonie. Par la suite, j'étais submergée par une forte somnolence, des bâillements à ne pas en finir. J'ai senti que j'ai fait un petit somme, une sorte de semi-conscience, une déconnexion physique du réel. Interrompue par un collègue et obligée de répondre à son bonjour, sa voix me semblait très lointaine. La mienne vraiment étrangère. Elle était caveuse trop profonde et à peine audible. Au bout de 15 minutes, je me réveille en me retrouvant presque allongée sur ma chaise alors que j'étais assise bien droite au début. J'ai le vertige, un fort vertige avec une légère nausée. J'étais étourdie et un peu déstabilisée... et cette sensation a duré un bon moment après la fin de ma séance test.