Avec une activité en arrêt depuis plus de deux mois, le secteur de l'événementiel, spécialement l'organisation des fêtes et autres réceptions est au bord du gouffre. Par Hayat Kamal Idrissi
« Notre activité est complètement arrêtée depuis le 15 mai », déplore My Driss, traiteur renommé à Casablanca. « J'avais des réceptions et des mariages programmés pour mars, avril, mai et même juin… Tout a été annulé, sachant que j'avais des avances que j'ai déjà engagées dans des réservations de salles et autres commandes. C'est une lourde perte », précise-t-il. Employant une trentaine de personnes dans sa jeune entreprise de Weding planing, il assure que le secteur en général est en stand by depuis des mois. « Une situation critique pour la plupart des prestataires actifs dans l'organisation de mariages et autres événements. Je vous affirme que ce secteur est l'un des plus touchés par la crise liée à l'état d'urgence sanitaire dans notre pays », ajoute le jeune traiteur. Réservations annulées, avances déjà engagées, lourdes charges… le secteur est frappé de plein fouet par la crise. Des pertes estimées à 100% par les prestataires, l'activité est à l'agonie.
Lourdes pertes
« L'arrêt total et brusque de l'activité a causé la pertes de 100% des recettes. La décision est tombée sans préavis ni préparation », regrette Mounir Daoudi, propriétaire de la salle de fête Pavillon des rêves. Certains traiteurs ont été surpris par l'instauration de l'état d'urgence sanitaire alors qu'ils étaient déjà engagés dans des prestations, ont déjà encaissé des avances pour des réservations pour le mois de mars et avril. « Ils s'étaient déjà lancés dans des réservations et autres achats de matières premières et marchandises (poisson, viandes, poulets et autres). Des pertes subies dès le début de l'état d'urgence qui ont miné dès le départ leurs budgets », explique le traiteur casablancais Yassine Rikaoui. Fêtes de mariages, circoncisions, baptêmes ou autres fiançailles… le Covid-19 a frappé sur tous les fronts. « Même les événements organisés par les entreprises tels les pauses cafés, buffets et autres cocktails ont été annulés, aggravant davantage la situation », regrette My Driss. Une situation délicate qui a empiré avec les prolongations répétitives du confinement tout, mettant à rude épreuve la résistance des prestataires. « Aujourd'hui certains propriétaires de salles de fêtes pensent sérieusement à vendre, tellement la situation est grave et les lendemains incertains », affirme Mounir Daoudi.
La précarité qui guette
Voyant la haute saison compromise, les traiteurs commencent à craindre le pire. Si les retombées socio-économiques de cette crise se font déjà sentir auprès des employeurs et des employés du secteur, le moral n'est nullement épargné. « L'année est déjà perdue ! La saison haute qui commence à partir de mars et dure jusqu'à octobre est largement compromise. Ce sont d'ailleurs les recettes de cette saison qui couvrent nos charges pour le reste de l'année. Trois mois sont déjà perdus et ce n'est pas encore fini ! », Regrette Yassine Rikaoui. Même son de cloche du côté de My Driss: « Nombreux sont les traiteurs dont la seule source de revenus est l'organisation de mariages, de fêtes familiales et autres pauses café et cocktails. Nos équipes sont constituées de serveurs, de cuisiniers, neggafas, musiciens, techniciens qui vivent à 90% de leurs revenus générés par cette activité. Je vous laisse imaginer la situation avec un arrêt total depuis deux mois et avec la perspective d'une haute saison déjà minée par le confinement ».
Si l'un des plus petits événements (100 personnes), demande l'intervention d'une vingtaine à une trentaine d'employés entre occasionnels et permanents, les prestataires déplorent une crise multidimensionnelle. « Il se peut que certains traiteurs ne soient pas trop affectés en personne, mais l'activité et les collaborateurs par contre ont été gravement touchés », souligne Rikaoui. Des propos confirmés par Chrif Abdou, mkadem de la troupe de Aissawa « Dar Dmana ». « On dépense sans gagner c'est aussi simple que ça ! Nous vivons une catastrophe que ce soit financièrement ou psychiquement. Sans ressources, avec les autres membres de la troupe, nous devons payer nos loyers, le loyer du local, l'entretien du matériel, nos crédits et subvenir aux besoins de nos familles. Auparavant, nous gagnons notre vie chaque semaine. Le gros de nos recettes était réalisé dans le week end lors de fêtes de mariage et autres. Chacun de nous gagnait 600 à 700 dhs par semaine. Aujourd'hui, même avec l'aide de l'Etat, on doit vivre avec cette même somme tout un mois », explique Abdou de la même troupe. Constituée d'une quinzaine d'artistes, ce groupe faisait vivre de nombreuses familles grâce à l'animation artistique d'événements. Le Mkadem de la troupe cite l'exemple d'un jeune artiste, marié et père de deux enfants et qui doit s'acquitter de toutes ses charges avec les 1.200 dhs d'aide octroyée par l'Etat. « Avec le confinement, nous avons perdu 100% de nos recettes. Le pire c'est que nous n'avons aucune idée sur la date ou les conditions de la reprise d'activité », s'inquiète Abdou.
Des lendemains incertains
Une inquiétude partagée par la plupart des prestataires. Ils se contentent, résignés, d'évaluer leurs pertes et de composer avec les conditions actuelles pour négocier une issue à la crise. « Nous avons perdu également les recettes du mois de ramadan qui constituait une belle opportunité avec les ftours d'entreprises et les ftours collectifs. Même les commandes et les livraisons à domicile sur lesquelles on misait pour sauver la partie, n'ont pas suivi. Le pouvoir d'achat s'est tellement réduit et nos clients sont devenus beaucoup moins demandeurs… la crise est générale reconnaissons-le !», analyse My Driss. Ce dernier affirme d'ailleurs qu'il y a des traiteurs qui n'ont pas de quoi manger actuellement tellement. « A cause de cette crise, nombreux se sont retrouvés débiteurs si ce n'est pire. Les commandes et recettes de mars et avril, servant normalement à s'équiper et à renouveler le matériel pour être d'attaque pour la haute saison, ont plongé certains prestataires dans des dettes et des remboursements incertains d'avances. Un autre casse tête lié à cette crise », note Rikaoui. Au bord de l'agonie, le secteur ne pourrait, selon ces prestataires, prétendre à une véritable reprise qu'au début 2021. « Même avec un retour à l'activité dans un mois ou deux, le secteur se comportera comme s'il redémarrait à zéro, tellement l'impact est grave et les pertes lourdes en 2020, » concluent unanimement les traiteurs.