Pau est la petite capitale du Béarn, au pied des Pyrénées entre l'Atlantique et la Méditerranée. C'est une idée étrange d'organiser un «sommet» dans une ville modeste qui culmine à 160 mètres d'altitude au dessus des mers ! Ce n'est ni l'histoire, ni la géographie qui ont dicté ce choix, mais la politique : la présence de deux régiments d'hélicoptères de combat dont l'un vient de subir de lourdes pertes au Mali. Emmanuel Macron tenait ainsi à ce que les dirigeants du Sahel conviés sur place aient sous les yeux le deuil d'une ville de garnison. Qu'ils s'inclinent devant le sacrifice consenti par ces professionnels, morts loin de chez eux. Qu'ils réalisent que le soutien des Français à ce combat obscur peut rapidement se déliter. Il a obtenu les gestes attendus de ses homologues du Mali, du Burkina, du Niger alors même que des manifestants à Bamako, à Ouagadougou et Niamey brulaient le dra- peau tricolore. On peut comprendre que le Président français soit comme ses homo- logues, engagé dans une bataille de longue haleine et qu'ils doivent rendre des comptes à une opinion publique qui s'impatiente. Elle exige des résultats. Emmanuel Macron réclame que le sentiment anti-français qui monte dans toute la région soit ouvertement combattu. Plus question entre alliés de s'incriminer. L'aggravation de la situation sécuritaire interdit pareillement de différer sans fin les réformes poli- tiques, le renforcement de l'Etat de droit, la lutte contre la corruption, les injustices criantes qui font le jeu de l'ennemi. Un groupe baptisé « Coalition pour le Sahel » coordonnera donc les actions dans un « nouveau cadre politique, stratégique et opérationnel ». Sur le plan strictement mili- taire, le renforcement de la coopération conduit au regroupement à N'Djamena de l'Etat-major du G5 Sahel aux cotés de l'Etat-major de la force Barkhane. La mise en œuvre d'une force Takouba constitue l'élément le plus novateur et le plus troublant dans toutes ces annonces. Takouba signifie « sabre » en langue tamachek. C'est le nom que porte le détachement des Forces spéciales françaises à Ouagadougou depuis dix ans. Les militaires n'ont pas cherché loin leur inspiration. Il s'agit de créer une « unité de forces spéciales euro- péennes pour transmettre aux militaires maliens leur savoir faire d'exception ». La formule est de Florence Parly, ministre française des Armées. Elle dit toute l'ambition du projet. Et ses limites, évidentes. D'abord, le mot magique : « forces spéciales ». Il ne s'agit pas du vulgaire instructeur parachutiste. Mais de soldats hors normes, autonomes, qui opèrent dans la clandes- tinité, bardés du meilleur de la technologie… Les politiques croient à Rambo, surtout quand ils manquent de stratégie. Pourtant, faire de la formation n'est pas la vocation des forces Spéciales. Surtout pas au Mali où 300 instructeurs européens s'échinent depuis des années à forger une armée que les autorités abandonnent ensuite à elle- même. Ce ne sont pas de Forces spéciales dont ont besoin les soldats du Sahel quand leur fortin est attaqué par des bandes de djihadistes. Mais de téléphone satellite pour appeler la cavalerie à l'aide et de murs blindés pour tenir le choc ! Le plus irréel, c'est le caractère européen de cette unité de formateurs. C'est à dire la fusion à chaud de soldats d'élite estoniens, tchèques, belges, (peut-être britanniques mais pas d'Allemands qui ont refusé de s'enrôler) pour former cet embryon d'armée européenne dont rêvent les dirigeants français. Il s'agit bien de construire une armée d'Europe et de détruire le terrorisme d'Afrique. Deux utopies pour le prix d'une. Le Sahel reste parfait pour bâtir des châteaux de sable.