Les Algériens s'opposent au scrutin présidentiel prévu le 12 décembre. Malgré leur refus, le nombre de candidats à la succession de Bouteflika avoisine la centaine. Dans le brouillard de ce paradoxe, l'image du favori se clarifie. Article publié dans L'Observateur du Maroc et d'Afrique du 4 octobre 2019 Elle était une course sans le moindre coureur et elle est en train de devenir, tout d'un coup, la course des 100 coureurs et même plus. La présidentielle algérienne, puisque c'est de cette course qu'il s'agit, met aux prises 102 prétendants à la succession de Bouteflika (chiffre officiel donné mercredi 2 octobre). Beaucoup d'inconnus et quelques grandes figures politiques ont déjà retiré les formulaires de souscription. D'autres pourraient en faire de même, d'ici le 25 octobre, date butoir fixée par l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) pour le retrait de ces documents. D'ici là, pour se qualifier, chaque prétendant doit réunir au moins 50.000 signatures individuelles de la part des électeurs inscrits sur une liste électorale à travers 25 wilayas. Ce n'est pas tout, le nombre minimal des signatures exigées pour chacune des wilayas doit dépasser 1200. Un véritable marathon au terme duquel quelques candidats seulement resteront dans la course. Au milieu de la pléthore de prétendants, les chefs de partis politiques devront jouer des coudes pour se qualifier. Dans les starting-blocks, on trouve le président du parti Talaïe El Hourriyet, Ali Benflis ; le président du Front El Moustakbal, Abdelaziz Belaïd ; le président du Front de la bonne gouvernance, Aïssa Belhadi ; le président du mouvement El Bina, Abdelkader Bengrina ; le président du parti du Rassemblement algérien (RA),Ali Zeghdoud ; le président du parti Errafah, Mourad Arroudjet Belkacem Sahli, président de l'Alliance nationale républicaine (ANR). Sans surprise, il n'y a aucune femme dans la course, jusqu'à présent. Louisa Hanoune, seule femme politique qui aurait franchi le pas en signant sa 4e candidature à la présidence, vient d'écoper de 15 ans de prison ferme. C'est un tribunal militaire algérien qui vient de la condamner pour « atteinte à l'autorité de l'armée » et « complot contre l'autorité de l'Etat ». Restés entre eux, messieurs les prétendants ont déjà commencé les hostilités. Ali Benflis, qui a été le premier à avoir retiré les formulaires de souscription, tire à boulets rouges sur Abdelmadjid Tebboune. « C'est un autre cinquième mandat sous un autre habit », s'est indigné le président de Talaïe El Hourriyet qui veut incarner la rupture avec l'ère Bouteflika. Mais qu'est-ce qui différencie Benflis de Tebboune alors qu'ils ont tous les deux déjà occupé le poste de Premier ministre sous Bouteflika ? Anti-Bouteflika En Algérie, Ali Benflis, 75 ans, a la réputation d'être la bête noire de Abdelaziz Bouteflika, même s'il avait déjà travaillé sous ses ordres. Vieux briscard de la politique, le président de Talaïe El Hourriyet confirme cette étiquette en se présentant à la présidentielle pour la troisième fois. Après ses 6,4% des voix difficilement grappillées en 2004, il a presque doublé ce score, dix ans après. Ayant été victime des trucages électoraux, en 2014, qui lui ont inspiré les 278 pages de son « livre blanc sur la fraude » sorti la même année, il se présente aujourd'hui en candidat aguerri. Son objectif est de forcer le destin en se proposant comme solution contre le vide. Son plus grand souhait était de battre Bouteflika sur le terrain électoral, mais les Algériens en ont décidé autrement. Quand la présidentielle allait avoir lieu le 18 avril dernier, il était le premier à avoir déclaré officiellement son intention de constituer un dossier de candidature. Il se désistera ensuite pour rester dans le sens de l'Histoire. En se présentant pour la troisième fois, Benflis porte déjà l'habit du favori pour le scrutin du 12 décembre aux yeux de nombreux Algériens. L'un d'eux est professeur universitaire. Il nous confie qu'il fait partie de la « majorité silencieuse qui voudra voir le pays sortir de l'impasse ». Pour lui, ce sont les silencieux qui feront la différence le jour du vote, si vote il y aura. Même s'il est étiqueté dinosaure parmi les dinosaures, Ali Benflis est respecté pour son engagement, son sérieux et son courage. Avocat de profession, il plaide depuis longtemps pour des réformes à tous les étages en Algérie. Son cheval de bataille est la libéralisation de l'économie algérienne, avec l'abolition de la sacrosainte loi interdisant aux non-Algériens de posséder plus de 49% du capital d'une société domiciliée dans le pays. Lors de la bataille qu'il avait livrée en 2014 contre Bouteflika et son puissant clan, l'outsider Benflis était l'un des premiers à avoir dénoncé « la vacance du pouvoir en Algérie ». Il est désormais, sans conteste, le favori pour la combler. Candidat rassembleur « C'est un projet dont la portée dépasse largement le cadre de notre seul Parti politique, Talaïe El Hourriyet, pour s'inscrire dans la perspective, beaucoup plus large, d'un rassemblement pour une sortie de crise ouvrant la voie à un changement démocratique qui intègre la totalité des revendications et des aspirations de la Révolution démocratique pacifique en termes de construction d'un Etat de droit et d'instauration d'un régime démocratique », a déclaré Ali Benflis aux cadres de son parti alors qu'ils venaient d'entériner sa candidature pour le poste suprême. Et le président de Talaïe El Hourriyet d'ajouter : « C'est ce rassemblement, de tous ceux qui se reconnaitront dans ce projet de rénovation nationale, partis politiques, personnalités nationales, associations, syndicats indépendants, femmes et hommes de bonne volonté, que je me propose de constituer autour de ma candidature ». Depuis les premiers jours du Hirak en Algérie, Benflis ne cesse de répéter que l'élection présidentielle est «la voie de sortie de crise». Il estime que c'est la solution « la plus réaliste, la moins longue, la moins risquée et la moins coûteuse pour le pays aux plans politique, sécuritaire, économique et social ». De cette conviction, il devra convaincre les protestataires qui s'opposent toujours à la tenue de la présidentielle du 12 décembre et qui continuent à crier à l'inutilité de ce scrutin et à la mort de « l'ancien système ». Si Ali Benflis réussit le pari de convaincre au moins une partie des manifestants du vendredi d'aller voter, c'est lui qui sera le prochain président de l'Algérie.
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