Mireille Duteil Peut-on tourner la page des régimes militaires autoritaires par des révolutions douces ? Le Soudan y a cru. L'Algérie y croit encore, même si les deux pays ne connaissent pas la même situation, n'ont pas la même histoire, ni le même environnement. Ces toutes dernières semaines, les Soudanais s'étaient mis à douter : parviendraient-ils à mettre fin à cette fatalité du monde arabe qui fait tourner court les révolutions pacifiques en faveur de la démocratie ? L'Egypte du maréchal Al-Sissi avait lancé un mauvais signal. Le printemps arabe y a fait long feu depuis le coup d'état militaire de juillet 2013 suivi d'une terrible répression contre les islamistes puis les modernistes. Depuis,le Caire n'a pas renoué avec la démocratie ni retrouvé sa tranquillité. L'armée soudanaise emprunte-t-elle la voie égyptienne ? On le craint depuis le 3 juin, lorsque des forces paramilitaires, les terribles Janjawids qui massacraient hier au Darfour, ont tiré sur les milliers de manifestants installés pour un sit-in pacifique devant le QG de l'armée, à Khartoum, depuis avril dernier. Le premier bilan est terrible : une soixantaine de morts et des centaines de blessés. Un carnage. Qui a visé à semer la terreur pour briser le mouvement de contestation. En fait, la tension était montée ces derniers jours. L'armée avait fait venir dans la capitale, des quatre coins du pays, de nombreux paysans qui lui étaient favorables et revendiquaient l'application de la charia. Un pied de nez aux doux rêveurs prônant la démocratie et l'instauration d'une république qui ne ferait pas de la charia son alpha et son oméga. Puis, le lendemain, le Conseil militaire de transition avait annoncé qu'il annulait les accords conclus avec les responsables de la société civile: ils laissaient espérer une transition politique négociée vers un régime civil. Est-ce, au Soudan, la fin de tous les espoirs en un pays plus démocratique ? On peut le craindre, même si le 5 juin, le chef du Conseil militaire de transition, le général Al-Burhane, a semblé faire marche arrière : « Nous ouvrons nos bras aux négociateurs sans restriction, pour fonder un pouvoir légitime qui reflète les aspirations de la révolution », déclarait-il. De belles paroles qui cachent l'essentiel : le refus de quitter un pouvoir dont l'armée ne tirerait pas les ficelles. Le général précisait qu'il voulait organiser des élections dans les prochains mois. Pas question, répondent les manifestants qui exigent une transition longue permettant de rebâtir de vrais partis avant les élections. Voilà qui ressemblent fort aux revendications des manifestants algériens. Au Soudan comme en Algérie, ils ont vu partir des présidents, Omar al-Bachir ici, Bouteflika là, qui n'avaient plus le soutien de l'armée, mais,dans les deux cas, ils se heurtent, au refus des militaires de quitter un pouvoir et ses avantages, directs au Soudan, plus cachés en Algérie, dont ils disposent depuis trop longtemps. Sans oublier qu'à Khartoum, l'armée n'a guère les mains libres face à des voisins puissants et riches comme l'Arabie Saoudite et l'Egypte, qui exercent de fortes pressions pour que cesse la « chienlit », pour reprendre le mot du général de Gaule en mai 68. Tous ont peur de la contagion démocratique.