Baisse des transactions, stocks invendus, chantiers à l'arrêt… Le secteur de l'immobilier est en ralentissement persistant. La loi de finances 2019 n'apporte rien de nouveau ou presque. Les quelques mesures instaurées pourraient, selon les professionnels, enfoncer encore plus le clou. Par Mounia Kabiri Kettani
Le secteur immobilier est en crise et tous les indicateurs sont au rouge », lance d'emblée le vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI ) et président du groupe KLK. En chiffres, les ventes de ciment, principal indicateur du secteur, ont baissé de 3,7% en 2018 après un recul de 2,5% en 2017, d'après la Direction des études et prévisions financières relevant du ministère de l'Economie et des Finances. Autres indicateurs alarmants : Entre le troisième trimestre 2017 et la même période de 2018, le secteur, qui contribue à 6,3% dans la VA globale, a enregistré une perte de 4.000 postes d'emplois et les investissements directs étrangers ont reculé de 8,4%. La situation est critique d'autant plus que selon Youssef Ibn Mansour, promoteur et fin connaisseur du secteur, tous les segments sont touchés et la situation d'après lui varie selon les régions. Certaines villes comme Fès, Meknès, Oujda, Hoceima… souffrent plus que les grandes villes à l'instar de Casablanca, Rabat et Marrakech. « C'est une récession due en grande partie à la faiblesse de la demande imputée à la baisse du pouvoir d'achat des ménages marocains », explique-t-il. Et sur la question des prix appliqués il ajoute « les prix ont été bien corrigés et ne peuvent baisser plus. C'est la demande qui fait défaut ». Les chiffres de Bank Al-Maghrib confirment cette tendance. En effet, depuis 2017, les ventes de biens immobiliers sont en berne. Entre avril et juin 2018, les ventes ont diminué de 4,4 % à l'échelle nationale. Selon les experts aujourd'hui, l'immobilier reste difficilement accessible. D'après William Simoncelli, DG du Carré immobilier, les chiffres indiquent qu'il y a une demande estimée à 1,5 million de logements, avec une augmentation structurelle d'à peu près 200.000 unités par an. Mais sur cette demande, près de 75% porte sur des budgets inférieurs à 140.000 Dhs.
Des banques plus frileuses Face à un pouvoir d'achat de plus en plus limité, les banques deviennent de plus en plus frileuses quant à l'octroi des crédits immobiliers. Et comme un malheur ne vient jamais seul, la banque centrale indique que les taux appliqués aux crédits immobiliers se sont bonifiés de 8 points soit un taux de 5,42% contre 5,25% une année auparavant. « Les gens n'arrivent pas à emprunter et ne peuvent même pas se constituer un capital. La solvabilité de la demande est un réel problème », analyse William Simoncelli. En effet, d'après les chiffres de la DEPF l'encours des crédits à l'immobilier s'est accru de 2,4% à fin novembre 2018, après +4,2% un an auparavant. Cette progression recouvre un accroissement des crédits accordés à l'habitat de 3,6% et un repli de ceux alloués à la promotion immobilière de 4% après +5,8% il y a une année. Cet attentisme affiché des promoteurs se fait au détriment de leur surendettement. « Pour éviter de tomber dans de nouveaux dossiers de créances en souffrance, les banques exigent des promoteurs immobiliers un apport conséquent du montant total d'investissement. Les banques marocaines, qui prêtaient jusqu'à 70% du montant d'investissement dans le projet, ne dépassent pas aujourd'hui les 30%. Problème de trésorerie, les promoteurs obligent leurs clients à verser plusieurs acomptes. Ceci constitue un frein quant à l'acte achat d'une part et entraîne l'arrêt des chantiers et les retards de livraison d'autre part », souligne un expert dans le secteur. Un banquier de la place est catégorique: « L'encours des crédits aux promoteurs immobiliers montre des impayés et des retards importants. Un risque qui pèse sur le secteur bancaire malgré toutes les précautions prises et exigées par la banque centrale consistant à provisionner les encours douteux et ceux présentant un risque d'insolvabilité ». Et pour appuyer ses propos, il se réfère à la dernière note publiée par l'agence de notation américaine Standard & Poor's concernant les perspectives des banques dans la région MENA. Cette note relève, d'après lui, que le secteur bancaire marocain reste confronté à une forte exposition aux risques du marché immobilier commercial avec des développeurs surendettés qui font face à une diminution des transactions immobilières.
Quid des nouveautés 2019 ? Pour donner un nouveau souffle au secteur, les promoteurs immobiliers s'attendaient à des mesures d'encouragement dans la loi de finances de cette année. Mais il n'en a rien été. Selon eux, le texte prévoit certains changements qui, au contraire, pourraient porter préjudice aux citoyens et ralentir la dynamique du marché immobilier qui subit déjà une conjoncture morose. Concrètement, d'après Jad Aboulachbal, notaire à Casablanca, la nouvelle loi de finances prévoit en matière d'impôt sur le revenu, l'instauration de la cotisation minimale au titre du profit lors des cessions d'immeuble ou partie d'immeuble dont le prix de cession excède 4 millions de dirhams pour un montant de 3% sur la fraction du prix de cession supérieure audit montant. La profession estime que l'introduction de cette mesure impactera systématiquement les ventes. Aussi, il y a un changement du régime d'imposition des revenus fonciers « Les revenus fonciers annuels bruts sont soumis à l'IR selon les taux libératoires proportionnels suivants: 10 % pour les revenus fonciers bruts imposables inférieurs à 120.000 dhs et 15 % pour les revenus fonciers bruts imposables égaux ou supérieurs à 120.000 dhs », détaille Jad Aboulachbal.
Le seuil minimum du prix de cession, fixé à 500.000 dirhams, est aussi qualifié d'abusif par les opérateurs. Certains proposent d'ailleurs de relever le seuil minimum à 3 millions de dirhams au lieu de 500.000 dirhams. Autre mesure décriée par les professionnels, la suppression de l'abattement de 40% sur le montant du revenu foncier brut des biens mis en location. « On s'attendait à des mesures comme la suppression de la Taxe sur le Profit Immobilier (TPI) ou encore la baisse des taxes qui touchent en plein fouet la promotion immobilière. Nous avons même formulé un mémorandum qui résume nos revendications et l'avons transmis au ministère de tutelle. Riende tout cela n'a été pris en compte », regrette Rachid Khayatey. Les promoteurs misent sur les assises de la fiscalité. « L'absence de mesures dans cette loi de finances s'explique par les assises de la fiscalité. L'Etat estime que ça ne sert à rien de mettre en place des mesures qui vont être mises en cause lors des assises. Ceci dit, tous les sujets vont être débattus lors de ce RDV notamment ce qui concerne les mesures de relance du secteur du BTP en général et du logement en particulier », avance Youssef Ibn Mansour.
Pour relancer le secteur
La conjoncture est difficile de l'avis de tous les professionnels sollicités par l'Observateur du Maroc et d'Afrique. « Il est très urgent de relancer le secteur pour éviter la destruction d'emplois. Il faut repenser le modèle économique de manière globale. Les marges se situent entre 10 et 15% uniquement. Nous ne sommes plus dans des niveaux de marges confortables surtout que nous sommes dans un cycle baissier », souligne Mohamed Ben Ouda, DG de Palmeraie Développement. Mais comment dépasser le cap ? « Il faut trouver des moyens pour donner un souffle au pouvoir d'achat de ménages et augmenter leur capacité d'endettement », préconise Youssef Ibn Mansour. Et il renchérit : « il faut aussi mettre en place des mesures urbanistiques afin d'adapter les instruments d'urbanisme aux besoins des ménages, adopter une réforme structurelle pour la problématiques des réserves foncières, alléger les difficultés administratives liés à l'obtention des autorisations et lancer le règlement général de la construction ». De son côté, Mohamed Kabbaj, président du Club des fiscalistes, suggère la suppression des droits d'enregistrements de 5% imposés aux promoteurs et instaurés en 2017. Selon lui, le foncier acquis par les promoteurs en activité doit être considéré en tant que stock. Les opérateurs recommandent aussi l'instauration de nouveaux mécanismes d'appui au financement capables de soutenir les futurs acquéreurs tout en misant plus sur les logements intermédiaires vendus entre 400.000 et 600.000 DH. Du côté du ministère, de nouveaux produits et de nouvelles mesures d'accompagnement seront annoncées cette année. Les travaux vont bon train pour proposer un produit abordable et accessible. Pour le logement social, le dispositif arrive à échéance en 2020. Le système doit donc être repensé. Les négociations entre les promoteurs et l'Etat commenceront certainement incessamment pour aboutir à une nouvelle formule pour l'après 2020. Pour le moment, « Une proposition de la FNPI est sur la table du ministère de tutelle dont l'objectif est de relancer le secteur à travers le moyen standing. Un schéma où nous tenons compte aussi bien du social, de l'économique et du moyen standing. Un plan d'action et une feuille de route concrète sont proposés dans ce sens. Pour le moment nous n'avons pas encore de visibilité », nous confie Rachid Khayatey.