En deux semaines, l'ancien chef du gouvernement en est à sa deuxième sortie. Sur le même thème, sa retraite, la deuxième cette fois-ci qui serait complémentaire à celle que lui a accordée gracieusement le Roi. Celle-ci étant vraiment une fakenews, Abdelilah Benkirane croit tenir le bon bout pour enfin traîner à son tour ses adversaires dans la boue, du moins ceux visibles, les hommes de troupe, qui redoublent d'efforts, peut-être un peu trop, pour démontrer aux yeux du monde sa « vénalité ». Il réduit toute l'affaire, et c'est sans doute son tort, à une histoire de valeurs chiffrables – 7, 9 ou 13 millions de centimes, une ou deux retraites – là où c'est fondamentalement une question de valeurs morales. L'essence du problème de Abdelilah Benkirane quand il aborde ce sujet niche dans son image d'héraut modèle d'une société égalitaire et son prêche pour la justice et l'équité sur lesquelles il a bâti son patrimoine politique vertueux. Le cristallisant en Sisyphe des temps modernes, ses détracteurs, une solide mixture d'anti-islamistes et de déçus du benkiranisme, l'y renvoient sans cesse et sans pitié. La vidéo qui le montre en bras de chemise blanche surmontée d'un débardeur prenant la parole devant ses pairs de la chambre des représentants pour fustiger la retraite des ministres, est à elle seule à la fois un réquisitoire ravageur et une condamnation sans appel. Aucun empâtement n'avait encore marqué son message et aucune ride n'était encore venue altérer la cohérence de son propos. Peut-être aurait-il été plus audible s'il avait su endosser son froc de talentueux prêcheur qu'il est pour faire sa pénitence, promettre de redistribuer à la veuve et à l'orphelin, qui lui tiennent tant à cœur, tout ou partie des bienfaits de ce que Dieu par ses voies insondables lui a prodigués. Mais l'ancien du chef du gouvernement a préféré au terrain des idéaux, celui de la comptabilité. Au pardon, le défi. Au silence pudique, la prolixité. Passons. Dans les études de sciences politiques au Maroc, le cas Abdelilah Benkirane mériterait un cours à lui tout seul. N'est-il pas paradoxal, en tout cas intrigant, que dans une société qui a fait depuis longtemps son deuil de la classe politique, bien instruite du manque de congruence de ses élites, on en arrive sans préavis à la défiance qui a touché les Marocains à l'égard de Benkirane. La chute libre de celui qui fut un chef de gouvernement adulé tient beaucoup des espoirs qu'il avait fait naître dans le déferlante des enthousiasmes sécrétés par le mouvement du 20 février. Il était neuf, il était différent, il était sincère, il était beau, il était drôle. Il avait tout pour lui. La conjonction astrale et la conjoncture terrestre. Les gens tenaient en lui enfin leur revanche contre des centres de pouvoir qu'il raillait en mettant sur eux des noms d'animaux, laissant à chacun le loisir et la liberté de mettre le prénom qui lui convient sur son effrite ou son crocodile. Et en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, toute cette magie s'est convertie en pièces sonnantes et trébuchantes, et le spectacle fut tout d'un coup moins amusant. C'est ce que n'arrive pas à saisir Abdelilah Benkirane que sa culture prédispose pourtant à bien comprendre que la pérennité est l'apanage de divinités.