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Publié dans L'observateur du Maroc le 22 - 01 - 2019


Par Naïm Kamal
Même si l'ouvrage porte le titre de TEMOIGNAGES ET REFLEXIONS, on s'attend à des mémoires en bonne et due forme de Abderrahim Bouabid (1922 – 1992) que vient de mettre sur le marché du livre la Fondation qui porte son nom. Alors forcément déçu en se retrouvant devant une esquisse de ce qui a failli être les mémoires de l'un des hommes clés du Maroc du 20ème siècle. Combien sont-ils ? Une dizaine, une vingtaine tout au plus, derrière Mohammed V et Hassan II : Allal El Fassi, Mehdi Benbarka, Mohamamed Bel Hassan Ouazzani, Fquih Basri, Abdallah Ibrahim, Mahjoub Benseddik, Mbarek El Bekkaï… Je ne compte pas bien sûr ceux
qui de l'autre coté de la rive tels El Moqri, Mohamed El Hajoui, le capitaine Mohamed Oufkir, Ahmed Reda Guedira etc. ont eu à tenir, derrière le maréchal Lyautey et les différentes variétés de ses héritiers, un rôle dans le tumulte de ce siècle charnière dans l'histoire de l'humanité.
Je ne crois pas trop me tromper si je dis qu'aucun de ces acteurs ne nous a laissé une trace écrite achevée de ce que furent de son point de vue les évènements et les protagonistes qui ont marqué un royaume à la croisée de son passé ankylosé et de son futur incertain. Pris dans le feu de l'action dans un pays où l'écriture n'est pas véritablement une tradition, Abderrahim Bouabid se contente au gré d'une détention et d'une résidence surveillée d'un peu plus d'une année (1981-82) à apporter deux ou trois pierres à l'édifice d'un récit historique à écrire ou à réécrire.
Dans la présentation de l'ouvrage, son fils, Ali, délégué général de la Fondation Abderrahim Bouabid, définit clairement « la difficulté initiale de rassembler dans une publication unique », des témoignages et réflexions qui se déclinent en vérité trois parties sans qu'aucune n'aille vraiment au bout de ce qu'elle peut apporter. La première partie se veut une relation « distante » d'une période qui couvre, en théorie, de 1944 (manifeste de l'indépendance) à 1961 (avènement de Hassan II).
En pratique, on est en présence, dans la première, pour ainsi dire, de deux grands chapitres : Le premier qui se consacre de manière presque égale au coté public et au coté coulisse des évènements qui vont de 1944 à 1961 parfois sur un ton inégale qui peut faire coller le style à des sauts d'humeur de l'auteur. C'est le cas lorsqu'il évoque le renvoi du gouvernement Abdallah Ibrahim. Le deuxième chapitre commence à partir de là et comporte un ensemble de déclarations, de documents, de correspondances ou d'entretiens. Il couvre un va et vient entre 1952 et 1983. S'il jette un éclairage tierce, mais corroborant, sur les évènements relatés par l'auteur, il est susceptible par moment de remettre en cause l'interprétation qu'en fait Abderrahim Bouabid. Plus facile à cerner, la deuxième partie est dédiée aux éditoriaux de l'auteur dans Alalam (1951-52).
Tout récit mémorial comporte un ressort narcissique où le témoin ne résiste pas à
se présenter, souvent à son insu, comme le pivot d'une histoire qui, aussi, peut lui échapper et le manipuler et dont il peut devenir par moments le complément d'objet bien plus que le verbe sujet. Abderrahim Bouabid, en dépit de ses efforts de paraitre objectif, n'échappe pas à cette règle.
A travers son ouvrage, on retombe sur ce que la plupart savent, une lutte pour l'indépendance balbutiante qui s'achève presque avant même d'avoir commencé. Une fois les objectifs ultimes fixés, le recouvrement de la souveraineté et le retour de la légitimité à son trône, Mohammed Ben Youssef en l'occurrence, la revendication de l'indépendance apparait comme un contenant, à la recherche improvisée d'un contenu. Abderrahim Bouabid est, lui, à 31, comme le rappelle dans la présentation de la deuxième partie, l'historien Brahim Boutaleb, un homme accompli, j'ajouterai d'une rare maturité. Il est tel qu'on le connait, lucide et en perpétuelle quête du compromis qui est de faire avec ce qu'il y a pour obtenir ce qu'il n'y a pas et qui la plupart du temps il n'y aura pas (entièrement). Il est entre chien et loup, entre ce Maroc de l'impossible retour en arrière et celui, nouveau, auquel péniblement il s'attelle encore.


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