Une grande peur s'est emparée des palestiniens : celle d'être les grands oubliés de la nouvelle donne proche-orientale. Oubliés par les grandes puissances et surtout par les Etats-Unis depuis l'arrivée de Donald Trump, le plus pro-israélien des présidents américains. Son élection a changé la donne dans la région. Dans le conflit israélo-palestinien, Washington ne joue plus le rôle d'«honest broker» (de médiateur impartial) comme le répète Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne. Le souci de Trump est ailleurs : contrer l'Iran et son éven- tuelle menace sur Israël, sortir du conflit syrien sans l'abandonner totalement aux mains de Vladimir Poutine, et obtenir un rapprochement concret entre l'Arabie Saoudite, les Emirats et l'allié israélien. Donald Trump a multiplié les pressions, ces derniers mois, sur Mohammed Ben Salman, l'homme fort de Riyad pour y parvenir. Il est en passe de réussir. Les Palestiniens ne se font guère d'illusion : ils ne sont plus en bonne place sur l'agenda des grandes puissances. Aussi, lorsque Donald Trump, l'ami d'Israël, a annoncé, cet hiver, sa décision de transférer l'ambassade américaine à Jérusalem, eux, les laissés-pour-compte de la diplomatie internationale, ont lancé l'idée d'une «marche du retour» . D'un retour symbolique dans leur patrie d'où plus de 700.000 de leurs parents ont été chassés en 1948 pour un exode sans fin. Leur « retour » devait prendre la forme de manifestations pacifiques hebdomadaires jusqu'à la barrière frontalière de Gaza et, dans une moindre mesure, jusqu'aux abords de Jérusalem pour les Palestiniens de Cisjordanie. Commencées le 30 mars, les marches devaient prendre fin le jour du transfert effectif de l'ambassade américaine à Jérusalem, le 14 mai, soixante-dixième anniversaire de la création de l'Etat hébreu. Une date symbolique et provocatrice que le président américain n'avait pas choisie au hasard. Et qui chaque année, en Israël, précède d'un jour, les manifestations palestiniennes organisées à l'occasion de la Nakba (l'exode) de 1948. Le 14 mai, à Gaza, lorsque des milliers de jeunes palestiniens, accompagnés par des femmes et des enfants se sont approchés de la frontière avec Israël, munis de frondes et de « cerfs-volants Molotov » (avec de l'essence) qu'ils espéraient voir exploser de l'autre côté de la barrière, ils ont trouvé face à eux des centaines de soldats de Tsahal qui ont tiré à balles réelles. Bilan : 60 morts et 2.450 blessés. Un carnage injustifié. Et qui ne sera pas condamné par le Conseil de sécurité des Nations Unies (convoqué à la demande du Koweït) puisque les Etats-Unis ont refusé de reconnaître qu'Israël avait utilisé une force « inconsidérée ». Seules l'Afrique du Sud et la Turquie ont rappelé leurs ambassadeurs, et la France, la Grande-Bretagne, l'UE… ont dénoncé les violences israéliennes. Les Palestiniens se disent prêts à continuer leurs manifestations. Ils ne veulent pas disparaître dans les poubelles de l'Histoire comme d'autres peuples avant eux. Ils savent que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l'Etat hébreu par les Américains est définitive. Il n'y aura pas de retour en arrière. Si le Guatemala est, dans l'immédiat, le seul pays à emboiter le pas aux Américains, d'autres suivront. Déjà, des ambassadeurs africains (le Rwanda entre autres) et européens (Roumanie, Hongrie …) étaient présents à la cérémonie américaine de Jérusalem. Israël a gagné la bataille du territoire. Les Palestiniens l'ont perdue. Ils ont perdu leur capitale alors qu'ils avaient accepté de la partager avec Israël en 1948 et de s'installer à Jérusalem- Est. La Palestine n'existe plus désormais que sur deux mini-régions : à Gaza, cette étroite bande de terre surpeuplée (1,9 million d'habitants) de 40 kms de long, dont 90% des jeunes ne sont jamais sortis faute d'autorisation des Israéliens et des Egyptiens ; en Cisjordanie, ce morceau de terres arides morcelé par les colonies israéliennes. L'accès aux lieux saints musulmans, le cœur du Jérusalem religieux, risque de devenir de moins en moins accessible aux musulmans. Oubliés de la communauté internationale, les Palestiniens s'estiment aussi abandonnés par leurs dirigeants. Ni le Fatah ni le Hamas ne trouvent plus grâce à leurs yeux. Le Hamas parce qu'il n'a pas su les sortir de leur enfermement à Gaza depuis son arrivée au pouvoir en 2006. On comprend que nombre de jeunes sans avenir, assurent que prendre le risque de mourir sur la frontière israélienne, c'est un peu vivre. Parallèlement, il semble que des dirigeants du parti islamique seraient aujourd'hui prêts à négocier une trêve de long terme (10 ou 20 ans) avec Israël. Benyamin Netanyahou et l'extrême-droite au pouvoir peuvent-ils y consentir alors qu'ils se savent en position de force, soutenus par une majorité de la population et leur ami américain ? On peut en douter. Le Fatah est, peut-être, encore plus déconsidéré que le Hamas. Si la situation économique et sociale est meilleure en Cisjordanie qu'à Gaza, le discrédit d'un président âgé, non légitime faute d'élection depuis 2005, et qui pour ne pas être accusé de« terrorisme » par Israël, règne d'une main de fer sur la population, est total. Une situation qui explique que les manifestations spontanées des jeunes de Gaza – non contrôlées par le Hamas – n'ont pas eu lieu en Cisjordanie. Désespérée, ayant abandonné l'idée d'une solution à deux Etats (le palestinien et l'israélien côte à côte), la société civile palestinienne cherche désormais à imaginer une autre solution. La laissera-t-on faire ?