Ahmed Charai Nous assistons à un véritable séisme que les militants pour les droits de la femme appelaient de leurs voeux depuis longtemps, la libération de la parole de la femme. De manière universelle, avec des nuances selon les sociétés, les victimes se taisaient. Pire, elles culpabilisaient, et la société protégeait peu celles qui osaient déposer plainte. C'est en train de changer. Les débats annexes n'ont aucune pertinence. Prenons le cas de Tariq Ramadan, le prêcheur et petit-fils de Hassan El Banna. Crier au complot est ridicule. La justice française est réellement indépendante. Sur l'aspect tartufe du personnage, il suffit de rappeler qu'il reconnait « des jeux de séduction », lui qui conseille aux jeunes l'abstinence en dehors du mariage. Le fait que l'une des plaignantes soit handicapée rend l'affaire encore plus glauque. Mais dans cette affaire, l'élément déterminant est ailleurs. Les plaignantes, que cela soit en France ou en Angleterre, sont de culture musulmane face à un prêcheur qui a pu faire illusion pendant des décennies, avec le soutien du réseau des frères musulmans en Europe. Si elles ont pu dépasser leurs peurs, leur appréhension de ces mêmes réseaux, peut-être du regard même de leurs proches, c'est parce qu'elles ont été soutenues. Les associations des femmes, les juristes convaincues par ce combat, assurent un accompagnement assez formidable. Il faut convaincre la femme de parler, de raconter, puis de porter plainte, de confronter le bourreau, et d'aller jusqu'au bout. Cet effort, ce cheminement nécessite un soutien psychologique de tout instant. Il faut saluer la structuration de ce mouvement en faveur de la parole libérée contre la prédation sexuelle qui, faute de dénonciation, a fini par être banalisée dans tous les milieux et sous tous les cieux. Lors des manifestations anti-Moubarak, des pseudos-révolutionnaires islamistes ont violé des dizaines de femmes dont une journaliste de France 2, en plein milieu des manifestations. A l'époque, les « révolutionnaires » expliquaient qu'il s'agissait de délinquants qui visaient à discréditer la révolution. Cette réaction qui consiste à soulever d'autres questions pour étouffer le scandale des violences faites aux femmes est intolérable. Tout démocrate devrait militer pour que la voix des victimes soit entendue, respectée, sans les mettre dans d'autres contextes que celui de leur plainte. Au Maroc, on estime que l'immense majorité des femmes victimes de violence sexuelle se tait. Certaines le font par peur de la réaction de leurs proches. Combien de maris sont-ils susceptibles de soutenir leur femme si elle était victime d'un viol collectif ? Un violeur à Casablanca, qui attaquait les femmes chez elles, a reconnu treize agressions, donné les adresses, seules trois femmes ont porté plainte et une seule a assisté à l'audience, celle qui avait dénoncé le crime. Mais le pire, c'est que chaque fois on jette la suspicion sur la femme. La victime serait, nécessairement, manipulée par d'obscurs personnages, alors qu'elle ne fait que dévoiler un crime, en vue d'une réparation qui lui permette de se reconstruire. C'est un combat essentiel que celui contre la prédation sexuelle, aucune société moderne ne peut s'en exonérer. Il faut le mener dans la plus grande des fermetés, en protégeant la présomption d'innocence, mais surtout en entourant les femmesvictimes d'un véritable soutien. Parce qu'elles sont d'abord victimes et qu'elles n'ont ensuite aucune culpabilité à ressentir.