Tous les cinq ans, le pouvoir en Chine se met en scène. Pendant une semaine, Pékin retient son souffle et dans les provinces, un milliard trois cents millions de Chinois s'interrogent. Le Congrès du Parti Communiste fixe la ligne idéologique, purge les cadres, renouvelle la direction du pays. Au premier jour, les 2300 délégués du Comité central ont écouté sans broncher le rapport que Xi Jinping a lu pendant 3H22 minutes d'une voix égale et sans manifester la moindre émotion. Il a promis que la Chine ne serait plus humiliée. Que la priorité immédiate irait à l'amélioration de la qualité de vie. A l'horizon 2050, un « grand état socialiste moderne », avec une armée puissante. Et surtout, le contrôle renforcé du parti sur la société. On entendait tourner les pages. Seul son prédécesseur, aujourd'hui en disgrâce Jiang Zemin, a semblé s'impatienter, regardant à deux reprises sa montre. Le comble de l'insolence, un défi que son âge et ses fonctions passées peuvent faire pardonner. Les autres ont supporté le supplice chinois. C'est à cela qu'on reconnait des apparatchiks de première classe. La cinquième génération de communistes à se succéder au pouvoir. Le décor écrasant, dans l'immensité du Palais du Peuple de la place Tienanmen, est fossilisé dans le style « stalinien monumental » et manifeste cette victoire dans la durée. Au dernier jour, « la pensée XI Jin Ping du socialisme à la chinoise de la nouvelle ère » a été inscrite dans la charte du Parti. C'est le corps de doctrine auquel les camarades sont censés se référer. Cette charte est aussi souple que l'échine d'un contorsionniste du Cirque de Pékin. Elle a intégré en couches successives le marxisme léninisme, la Pensée Mao Zedong, la théorie de Deng Xiao Ping, la théorie des trois représentativités énoncées par Jiang Zemin, la Vision scientifique du développement de Hu Jintao... Synthèse impossible : c'est du chinois. Pas le décalogue. D'ailleurs, que restet- il du Petit Livre Rouge de Mao ? Il a pourtant été diffusé à deux milliards d'exemplaires et même à cinq milliards si l'on en croit la propagande chinoise, à une époque où il n'y avait que trois milliards d'habitants sur terre ! Ce catalogue de citations a été enfoncé à coups de trique dans la tête des Chinois par les gardes rouges, mais les slogans du Grand Timonier se sont depuis effacés. L'important est ailleurs : la terreur qu'il a suscitée. L'important, c'est le pouvoir. Rien d'autre. Idem aujourd'hui : l'essentiel n'est pas le texte de la charte mais que le Président Xi Jinping y soit cité nommément, alors qu'il est encore vivant. Il n'existe qu'un seul précédent, Mao lui-même. Cela donne une idée du culte de la personnalité dont fait l'objet Xi Jinping. L'hyper Secrétaire Général est un super héros, sans la cape. Au stade suivant, c'est Dieu vivant, avec mausolée et momie qu'on visite aux heures ouvrables, la preuve que le communisme est une religion qui triomphe de la nature, du temps, de la mort. Comme Lénine place rouge et Mao place tien'An Man. Dans un avenir moins définitif, le triomphe de Xi Jinping lui assure un nouveau mandat de cinq ans et il n'est plus interdit d'imaginer qu'il se maintienne au-delà. Il est assuré de garder jusqu'à sa mort un poids déterminant dans l'appareil. Tout empereur de Chine est un professeur, un maître à penser. Sa vision de l'avenir va désormais être enseignée dans toutes les écoles. Ceux qui s'y opposeront seront des hérétiques. Les purges vont continuer. Elles ont touché depuis cinq ans, un million et demi de membres du parti et jeté au cachot 300.000 « tigres et mouches », les petits et les gros corrompus. La lutte contre la corruption permet au régime de se régénérer. Au sommet de ce système opaque, les sept membres du Comité permanent du bureau politique. Au dernier jour du Congrès, cinq d'entre eux touchés par la limite d'âge ont été renouvelés. Tous sont sexagénaires et il n'y a donc aucun héritier parmi eux. La boussole du parti, le gourdin et l'avenir sont bien entre les seules mains de Xi Jinping.