Les prix des matières premières battent chaque jour des records historiques et les consommateurs du monde entier en subissent lourdement les conséquences. Au point d'ailleurs que certains analystes n'écartent pas l'éventualité d'une récession mondiale ! Pourtant, une interrogation demeure : dans quelles proportions la hausse des prix des matières premières intervient-elle dans le prix final ? Autrement dit, la flambée des prix des produits de consommation s'explique-t-elle en totalité par le niveau atteint par les cours des matières premières ? De nombreux experts en doutent. En France, par exemple, c'est la chasse aux marges arrière, ces bonifications que les fournisseurs concèdent aux distributeurs et que ces derniers, au lieu d'en faire profiter le consommateur, s'approprient. Même les règles du jeu en matière de concurrence, dans un vieux pays libéral comme la France, ne semblent pas fonctionner correctement. Du moins, est-ce l'avis de nombreux économistes. Si, en Occident, où les autorités de régulation existent et fonctionnent, des infractions aux règles de la concurrence sont malgré tout relevées, qu'en est-il du Maroc ? Les hausses de prix que les citoyens vivent douloureusement sont-elles totalement justifiées? La concurrence fonctionne-elle entre les producteurs et les prestataires de services du même secteur ? Ces questions, beaucoup se les posent aujourd'hui, et pour plusieurs raisons. La Conseil de la concurrence manquait de moyens La première tient au fait que la flambée des matières premières ne résulte pas d'un phénomène de rareté mais de spéculation. Il y a infiniment plus de pétrole papier que de pétrole physique, plus de blé papier que de blé physique, etc. Donc, à la base déjà, les acteurs de l'économie - financière en l'occurrence - ne semblent plus avoir bonne presse. La deuxième raison est liée au fait que l'essentiel des matières premières est facturé en dollar, une monnaie qui ne cesse de perdre de sa valeur. Convertie en monnaie nationale, par exemple le dirham pour le Maroc, la hausse du prix du pétrole n'est pas aussi élevée que le suggère son prix nominal. Troisième raison, enfin, malgré l'existence d'une réglementation sur la concurrence (loi 06-99), l'un des organes qui devait en contrôler le bon fonctionnement, à savoir le Conseil de la concurrence, n'a d'existence que théorique. Si la hausse des cours des matières premières est un fait indiscutable (quelles qu'en soient les causes), la mise en veilleuse d'un organe comme le Conseil de la concurrence n'en finit pas d'étonner les observateurs. Depuis sa mise en place en 2002, le conseil ne s'est réuni qu'une fois, et c'était pour établir son règlement interne. Le mandat des douze membres qui le composait s'est achevé fin 2006 et son président, l'ancien ministre de l'agriculture, Othman Demnati, a démissionné. «Je pense qu'on n'a pas donné au conseil les moyens qu'il réclamait», confie un proche du dossier. Ce dernier dit se souvenir, à ce propos, d'une lettre que M. Demnati avait adressée en 2002 à Abderrahmane Youssoufi, alors Premier ministre, ainsi que d'une rencontre qu'il a eue avec son successeur, Driss Jettou. «Non seulement le conseil n'a pas obtenu les moyens dont il avait besoin, mais en plus, il n'a aucun pouvoir décisionnel, ne peut s'auto-saisir, et sa mission se limite à donner des avis consultatifs», explique notre source. L'Union européenne avait d'ailleurs demandé au Maroc de revoir les attributions du conseil pour lui conférer des pouvoirs décisionnels. «En bonne logique, un conseil de la concurrence devrait, par exemple, pouvoir intervenir lorsqu'il y a fusion, absorption, concentration pour s'assurer qu'il n'y a pas de position dominante», estime un économiste. Dans les sphères officielles, lorsque cette question est évoquée, on minimise les conséquences de la mise en sommeil du Conseil de la concurrence en mettant en avant le fait que la direction de la concurrence et des prix est là, et qu'elle fait son travail (voir encadré). Sauf que celle-ci, avec toute la bonne volonté qui l'anime, n'a pas les moyens de sa politique. Elle dispose de onze cadres, alors que son homologue tunisienne, à titre de comparaison, en a une centaine. Nécessité d'une loi sur la protection des consommateurs La Caisse de compensation, elle, a carrément jeté l'éponge, car elle n'est jamais parvenue, faute de moyens, à contrôler les subventions qu'elle octroie. «La consommation du gaz butane augmente de 8 à 9 % par an, ce qui ne correspond pas à la croissance normale des ménages», déclare un responsable au ministère de l'énergie et des mines. Mais tout le monde sait désormais pourquoi : le gaz butane subventionné est utilisé dans l'agriculture pour le pompage et l'élevage et même dans l'hôtellerie. Au final, en l'absence d'enquêtes solides, nul n'est en mesure de dire si les prix affichés correspondent réellement aux coûts de production. C'est un énorme fardeau pour le Budget de l'Etat s'agissant des produits subventionnés, et un coup de massue pour les consommateurs pour le reste des produits. Nizar Baraka, en charge du secteur,veut désormais y voir plus clair: il a diligenté une enquête sur la structure des prix des produits subventionnés, externalisé le contrôle de la Caisse de compensation et annoncé pour bientôt la nomination du président du Conseil de la concurrence et des membres qui vont le composer. Encore faut-il que les prérogatives de ce conseil soient revues pour lui permettre de jouer convenablement son rôle, et que le projet de loi sur la protection des consommateurs voit le jour !