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Cher Safran Pauvre Taliouine
Publié dans L'observateur du Maroc le 31 - 10 - 2011

Taliouine est une fine fleur! Ses pétales sont violettes, son filet est jaune et ses stigmates sont rouges, un rouge safran. Cet or rouge, on le retrouve en terres persanes et à…Taliouine. Cette commune rurale de 6000 habitants se trouve ainsi au carrefour du commerce international. Au coeur d'un modèle économique qui ne profite pas toujours aux agriculteurs.
Taliouine face à Téhéran
Cernée par les massifs du Haut-Atlas et de l'Anti-Atlas, Taliouine se trouve sur la terre rocailleuse du Siroua, une terre généreuse depuis 8 siècles. L'or rouge est cultivé sur 556 hectares à Taliouine et 80 ha à Taznakht (province d'Ouarzazate) et la production avoisine les 5 tonnes/an. À Taliouine, le safran est réparti sur 7 communes et 18 villages. Les surfaces sont petites, de 1500 et 2000 mètres, et répartie en de petites parcelles de 100 mÇ. Chaque famille détient entre 8 et 15 parcelles. Une agriculture fine qui fait de Taliouine la capitale de l'or rouge au Maroc et de l'Afrique. Sauf que le Maroc ne pèse pas lourd devant l'Iran, géant mondial du safran, qui monopolise 90% de la production. Taliouine produit 1.5% de la production mondiale et place le Maroc en 4e position derrière l'Espagne, l'Inde et la Grèce.
Autour de 1400 familles vivent que de cette agriculture, soit environ 8000 personnes. Une activité pénible dans un environnement rustique et une région pauvre.
Si le taux de croissance de l'économie marocaine avoisine les 4% durant la dernière décennie, il est égal ou inférieur à 1% à Taliouine. Ce qui se ressent sur la pauvreté qui se situe à 34%, soit 3 fois supérieure à la moyenne nationale qui est de 14%. Le choix de faire du safran son gagne pain est un pari difficile.
Le safran fait revivre Tassousfi…
Mohammed en sait quelque chose, il est agriculteur de safran depuis toujours. Le jour notre visite, on le trouve inquiet, «la pluie de l'autonome qui bonifie la fleur tarde à venir», se plaint-il. Son douar, Ait Issa, dans la commune de Tassousfi, est perché à 1400 m d'altitude. Entre Taznakht et Taliouine, Mohamed est seul au monde sur un immense territoire. Surtout que durant des décennies l'ensemble de la région a connu un exode rural massif. Certains villages de la région étaient habités à 90% par des femmes.
Le travail de désenclavement lancé par l'association franco-marocaine Migration & développement (M&D) permit de renverser la vapeur et retenir les jeunes de la région et même donner lieu à une migration des villes à Taliouine.
L'accès à l'eau potable et au réseau électrique deviennent une réalité. Le travail solidaire de M&D et de l'association du village a permis de raccorder Ait Issa avec ces infrastructures de base.
Dès 2004, ils travaillent à redonner vie à une terre dont les habitants ont fui, faute de moyens de subsistance. Grâce à un financement du FAO en 2006, M&M lance le Projet d'appui à la filière du safran à Taliouine. Cinq après, Mohamed et les autres agriculteurs ont pu remettre sur scelle une filière qui se mourrait.
…mais n'ouvre pas les portes de l'école
Une source d'eau est désormais disponible. Les agriculteurs se relaient pour l'utiliser pour un tarif de 25 DH/l'heure. «C'est un prix abordable, surtout que le safran ne demande pas autant d'eau que les autres plantations», explique notre agriculteur.
La relance de la filière du safran n'a pas résolu l'épineux problème du décrochage scolaire des jeunes filles. Bien au contraire, la rareté de la main d'?uvre dans la région pousse les agriculteurs, comme c'est le cas des deux filles de Mohammed, à sortir leurs enfants de l'école. Embarrassé, il tente de se justifier : «pour travailler ma petite exploitation de 440 mÇ, je dois avoir une équipe de 8 personnes qui travaillent de 4 heures du matin à 18h pendant un mois. Dans tous les douars, impossible de trouver des jeunes car ils partent tous en ville». Ce que ne dit pas Mohamed, c'est que les femmes contribuent à hauteur de 70% à ce rude travail. La cueillette, le séchage et le stockage se déroulent du 15 octobre au 15 novembre. Faute de pluie, la cueillette tarde à commencer cette saison.
Après 30 jours d'un dur labeur, la récolte de Mohammed ne dépasse pas 750 grammes. Au prix de la coopérative actuellement (35 dh/gr) cela lui rapporte 26.250 DH, soit le triple du prix de vente quatre ans auparavant. Une évolution qui n'a pas cassé encore le monopole des intermédiaires sur cette filière. L'entrée en jeu des coopératives tente de renverser ce rapport de force.
Les intermédiaires ont la peau dure
En 2009, dans la zone de production du safran existaient que 4 coopératives agricoles (Tassoussfi, Tagmoute, Souktana et Tamounte) qui commercialisent ce produit. Deux ans après, elles sont plus de 20 structures «solidaires» à commercialiser le safran parmi les produits du terroir.
Si le premier effet immédiat était la hausse de prix de vente, d'autres retombées positives sont attendues, comme l'amélioration de la qualité et de la productivité qui est actuellement de 8kg/ha et qui peut atteindre jusqu'à 16kg/ha. Mais avant d'y arriver le prix de vente continue de susciter un vif débat.
Pour une responsable de la coopérative Souktana, qui rassemble de plus de 300 producteurs, «le prix de vente actuel correspond à la réalité du marché». Pour sa part Omar, un agriculteur du douar d'Ait Issa, estime que «malgré l'évolution qu'a connue le prix, l'agriculteur est toujours lésé». Selon lui, les intermédiaires et leurs connexions avec les grossistes dans des villes comme Casablanca continuent à dicter leur loi. Le prix au marché hebdomadaire de Taliouine est encore à 12 dh/gr.
Le dénuement de plusieurs agriculteurs de la région les pousse à brader à bas prix leur produit. «Le safran, c'est notre carte bancaire. À l'approche de la rentrée scolaire ou du ramadan, l'agriculteur utilise cette ressource pour faire ces achats. En ces occasions, les intermédiaires font preuve de voracité», constate avec impuissance un autre agriculteur.
Cette captation de la plus value s'explique aussi par le faible taux d'encadrement des coopératives. Seul 3% du safran produit à Taliouine passe par le circuit des coopératives. Depuis les 5 dernières années, cette situation est en passe de changer… quelque peu.
Le Plan Maroc Safran
En 2007, le safran se dote d'une vitrine de choix. Il s'agit du Festival du Safran. Cette année là, le festival est à sa 5e édition et marque un tournant de l'histoire de la filière. Déjà en 2010, le safran de la région a acquis son Appellation d'origine contrôlée pour mieux lutter contre la contrefaçon qui existe dans la filière.
Dans le cadre du Plan Maroc Vert (PMV), le Ministère de l'agriculture lance un programme important pour généraliser le goute à goute sur 540 hectares à tous les producteurs de la région et un soutien à la filière en distribuant gratuitement les bulbes (graines de safran) pour montant de 2 millions de DH. Objectif : doubler la surface cultivée. «Ce programme est un modèle national car le succès a été au rendez-vous», se félicite Abrou Herou, directeur de l'Office régional de mise en valeur agricole (ORMVA) à Ouarzazate.
Pourtant plusieurs agriculteurs interrogés affirment que ce programme «n'a pas profité à tout le monde. Il y a beaucoup de clientélisme pour avoir accès au goute à goute», accuse un agriculteur. Un autre pointe du doigt aussi l'ORMVA et l'Association des producteurs du safran (APS) «de favoriser que les riches et ceux proches de l'autorité locale ou du président de la municipalité».
Le président de l'APS, organisateur du Festival du safran, balaie du revers de la main ces accusations et avance que «la généralisation de ce projet est prévu d'avance et qu'aucun agriculteurs qui a déposé son dossier ne sera exclu. Il faut juste s'armer de patience».
L'intérêt porté par les responsables locaux à la filière s'explique aussi par l'effet de levier créé suite à la visite royale du 12 janvier 2011. Ce jour-là le souverain inaugure La maison du safran. Cette structure joue désormais le rôle de bourse et est également un espace d'exposition ouvert à toutes les coopératives de la région. Son démarrage est difficile. Lahoussain Jamal, directeur de M&D et cheville ouvrière de la région, n'y va pas par quatre chemins : «d'abord le projet était de créer un institut, après le gouverneur de Taroudant a décidé d'en faire qu'une salle d'exposition. Au final, le seul souci était de construire la Maison rapidement sans trop penser à son réel rôle dans la filière».
Commerce équitable et répartition
Après cette première phase de soutien aux agriculteurs, les producteurs se tournent vers la prochaine phase qui est la commercialisation. «Nous intervenons pour trouver des débouchés commerciaux, en particulier via le commerce équitable, pour le safran. En 2007, 40 kg ont été écoulés sur le marché international via des réseaux de types», se réjouit Tarik Outrahe, délégué Maroc de M&D.
Mohamed, l'agriculteur d'Ait Issa fait, partie de ceux qui traitent à travers la coopérative avec un acheteur étranger, il s'agit de l'antenne italienne de Slow food. L'autre piste que développe M&D est le tourisme solidaire qui permet de doper les ventes des coopératives.
Selon L. Jamal de M&D, «la demande étrangères est existante. Par exemple, des acheteurs américains veulent une tonne, ce qui dans la situation actuelle de la filière est impossible». Pour ce dernier, l'extension des surfaces cultivées n'est pas non plus la meilleure solution pour le safran : «si de grands agriculteurs débarquent dans la région, c'est tout une dynamique de répartition de la richesse qui s'évaporera. Le safran demeure un outil efficace de lutte contre la pauvreté et il faut qu'il reste entre les mains de la population locale».


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