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La revanche des Lions
Publié dans L'observateur du Maroc le 14 - 06 - 2011

2 juin 2011. Marrakech est en apothéose. A la veille du match crucial entre le Maroc et l'Algérie pour les qualifications à la CAN 2012, la fièvre monte chez les supporters des deux pays : pas le droit à l'erreur pour les deux équipes. A la place Jamaâ Lefna, les chants d'encouragement fusent de partout. Une vraie foire de gitans. Tandis que les commerciaux se frottent les mains à la vue des centaines de touristes sur place, certains marocains présents font office de guides pour les algériens, les invitent dans les meilleurs restaurants et leur font goûter les mets les plus délicieux. Les flashs d'appareils photos illuminent la place dans une ambiance festive digne des milles et une nuits. Munis de leurs drapeaux vert et blanc, plusieurs algériens visitent le café d'Argana, lisent la Fatiha à la mémoire des victimes et présentent leurs condoléances aux Marocains. Un vrai moment d'union.
Du côté du quartier Guéliz, des voitures habillées de drapeaux marocains sillonnent incessamment les rues. Seul mot d'ordre : les poulains d'Eric Gerets doivent rattraper le faux pas d'Annaba. Si certains sont confiants pour le résultat, d'autres appréhendent le déroulement du match. «Benchikha est un bon entraîneur. Il n'est pas venu pour du tourisme. Matmour, Yebda, Bouguerra… Ses joueurs sont capables de faire la différence à n'importe quel moment du match. Allah yhfed !» s'inquiète Ahmed, vieux commerçant de la place. «Sidi Ahmed, gardez espoir. Gerets est plus fort que Benchikha. Il faut juste que nos joueurs ne soient pas déstabilisés par le départ d'Adel Taârabt» tempère son frère Kader. En effet, l'international marocain avait brutalement quitté le stage de la sélection après avoir appris qu'il ne serait pas titulaire face aux Fennecs. Son geste et ses déclarations considérés par certains observateurs comme trahison et par d'autres comme une erreur de jeunesse ont provoqué une vive polémique.
L'invitation du Wali
«L'hospitalité des Marocains est exemplaire. Tbarklah !», se réjouit Djalil, supporter algérien venu de Tlemcen. A 15 heures, les réceptions des hôtels ont commencé à prévenir leurs pensionnaires algériens qu'à 18 heures, un autobus affrété par Mohamed Mhidiya, wali de Marrakech, viendrait récupérer les Algériens qui le désirent à une invitation à une réception dîner spectacle à l'occasion de la rencontre entre les deux pays frères. Le seul carton d'invitation à présenter pour entrer était le passeport vert frappé en doré des armoiries de l'Algérie. La réception se déroule au restaurant «Chez Ali», l'un des restaurants les plus célèbres et les plus selects de Marrakech. A l'intérieur, les Algériens ont eu droit à un repas à en faire saliver les plus grands gastronomes. Buffet d'hors-d'œuvre : chorba frik, tajines, couscous et le traditionnel agneau méchoui entier. Côté animation, les groupes musicaux folkloriques ont mis le paquet. Les Marocains et les Algériens ont dansé côte à côte et se sont prêtés au jeu des photos souvenirs en compagnie du Wali. Cette nuit magique s'est terminée en apothéose par une fantasia et un feu d'artifice avec des effets pyrotechniques d'avant-garde. De retour à l'hôtel, les Algériens n'en revenaient toujours pas. «C'est le paradis chez vous. Je reviens bientôt à Marrakech !», promet Said, autre supporter algérien. La baraqa des septs hommes y est pour quelque chose?
Le Jour J
3 juin 2011. Le grand stade de Marrakech ouvre ses portes à 9 heures. Le derby maghrébin habille Marrakech en rouge et vert, couleurs des drapeaux marocain et algérien. Les klaxons des voitures réveillent la ville ocre aux rythmes des chants d'encouragement, des «Vive le Maroc» et des «One, two, three… Viva l'Algérie». Certains minibus et voitures en direction vers le stade transportent Marocains et Algériens. Les pronostics fusent de partout mais le fair-play règne. Les accolades entre supporters dégagent une magnifique chaleur humaine qui fait oublier le soleil de plomb de cette matinée. La journée s'annonce rude. Hommes, femmes et enfants s'engagent pour encourager la sélection marocaine. Les commerçants et les marchands ambulants sont aux anges. Drapeaux, tee-shirts rouges et casquettes Maroc se vendent comme des petits pains. «Ce week-end a donné beaucoup de tonus au tourisme Marrakchi. On a au moins pu rattraper ces derniers jours de léthargie après l'explosion d'Argana» souligne Imad. Ce petit commerçant de tee-shirt Maroc vend les quatre pièces qui lui restaient dans un temps record. «Vous m'avez porté chance ! Tenez, je vous offre ce dernier tee-shirt qui me reste», ajoute-t-il. En route vers le stade, les vendeurs de tickets à la sauvette bourgeonnent et tentent de vendre les derniers tickets restants. «Je l'ai vendu hier à 1500 dirhams à Casablanca. Je vous le laisse à 100 ! C'est mon dernier mot», propose un jeune homme. A l'entrée du stade, un autre vendeur se pointe. «Je le vends à 30 dirhams seulement !».
Une ambiance bon enfant règne entre les supporters et les autorités. «Je n'ai jamais vu un sourire aussi large sur les visages des policiers de circulation. L'un d'eux répétait même à chaque fois «Dima Maroc !», raconte joyeusement un chauffeur de minibus. En effet, le dispositif sécuritaire était exemplaire. Bien que la tension monte à l'approche de la rencontre, les forces de l'ordre sont davantage renforcées dans les espaces stratégiques de Marrakech et les grands axes des routes qui mènent vers le grand stade. Une double présence policière se pointe devant chaque porte d'accès. Ça rappelle Annaba… A quelques heures du match, la tension monte d'un cran. Place aux choses sérieuses. Certains supporters des deux pays préfèrent déstresser en dansant sur les chansons nationalistes marocaines. D'autres noient leur malaise dans les restaurants du stade : chocolats, friandises, sandwichs et limonades… L'hospitalité marocaine est excellente.
Ambiance festive
18 heures. Le grand stade de Marrakech est digne des plus grands pays d'Europe. Drapeaux, vuvuzela, fumigènes et chants… une ambiance d'Ultra règne dans les lieux. En attendant le sifflet de l'arbitre, les supporters essaient tant bien que mal d'occuper le temps. Les débats sur le match, sur les entraîneurs et sur les joueurs fusent de partout. Lorsque Mehdi Carcela, l'international marocain qui vient de subir une opération suite à une grave blessure apparait sur la pelouse du grand stade, tout le public marocain et algérien lui rend hommage et lui offre une standing ovation digne des plus grands joueurs mondiaux. Habillé du drapeau marocain, le jeune Marocain est ému.
20h30. Plus qu'une demi-heure avant le début du match. La tension est à son comble. Si les Algériens espèrent un remake d'Annaba, les Marocains, de leur côté, maudissent ce 27 mars 2011, date de ce match aller. «Si votre Rawrawa n'a pas dîné avec l'arbitre, tout se passera très bien pour nous», plaisante un supporter marocain. Tout le monde est en place. Les joueurs des deux équipes font leur entrée. Tout de noir vêtus, Eric Gerets et Abdelhak Benchikha suivent du regard leurs poulains. Après l'hymne national algérien, les Marocains se donnent à cœur joie pour chanter le leur. Place au show ! Un magnifique tifo apparait sur lequel est écrit «Dieu, patrie, Roi» (Big up aux Winners et aux Green Boys, groupes ultra du WAC et du RAJA de Casablanca, qui l'ont réalisé) avec une banderole «35 millions de Marocains derrière vous. Rugissez !». Certains supporters pleurent tandis que les joueurs chantent l'hymne à tue-tête. «Je n'ai jamais vu les joueurs aussi émus. Lemyaghri pleurait, Hadji chantait… Ya rbbi ! On veut de la joie ce soir», prie un passionné de ballon rond. Poignées de mains aux autorités et aux arbitres, le match peut commencer.
L'art et la manière
6e minute. Première alerte avec Marouane Chamakh qui réussit de la tête à chiper le ballon des mains de M'bolhi, gardien de but algérien, mais le cuir rate le cadre. «Hamdoulah, on est bien parti» se réjouit un journaliste marocain. Avec un jeu concentré beaucoup plus au centre du terrain, il faudra attendre la 26e min pour voir la deuxième occasion dangereuse de ce premier half. Un corner pour le Maroc, Mehdi Benatia profite du mauvais marquage de la défense et d'une erreur de M'bolhi pour ouvrir la marque. Le public est en hystérie ! Eric Gerets est content tandis que les joueurs remplaçants encouragent leurs coéquipiers pour plus de hargne. A la 33e min, Benatia récupère la balle dans les 18 m, traverse tout le milieu de terrain sans qu'il soit inquiété avant de servir en profondeur un Chamakh curieusement libre de tout marquage qui s'en alla battre aisément M'bolhi et doubler le score. Les marocains n'en reviennent pas ! Les algériens non plus… La bataille des bouteilles commence. Le mauvais positionnement des supporters des Fennecs au 2e étage du stade facilite la tâche pour des actes de vandalisme. «Regardez ! J'embrasse votre drapeau. Arrêtez de lancer des bouteilles !» tempère un supporter marocain. En vain. Les bouteilles se multiplient des deux publics. Les autorités tentent de calmer les choses. Difficilement. Le sifflet de la mi-temps arrive au bon moment.
Remake de 2004
«Vous nous avez humilié. Et avec ce jeu des Verts, on s'attend à d'autres buts» souligne un journaliste algérien. Début de la 2e période. Les Fennecs perdent toute concentration. Les Lions de l'Atlas profiteront des espaces laissés par les Verts et procéderont par des contres le plus souvent dangereux et c'est en toute logique que Hadji corsera l'addition à l'heure de jeu devant une défense des Verts et notamment une charnière centrale complètement dépassée. C'est un miracle ! Personne ne croyait à un résultat aussi large. Hadji offre même au public son curieux geste de jambe fait lors de son but contre l'Algérie dans le match de la CAN 2004 en Tunisie. Le match ne tardera pas à tourner à la correction. Oussama Essaïdi ridiculise toute la défense et bat M'bolhi d'un petit pont pour ajouter un quatrième but. Les Verts complètement groggy, ne réussiront pas à relever la tête devant une équipe marocaine largement supérieure à tous les niveaux. Eric Gerets est aux anges. Le public l'est encore plus. «Achaâb yourid… 5 à 0 !» répète le public marocain. «One, two, three… Bye bye l'Algérie», ajoute-t-il. A un quart d'heure de la fin du match, une centaine de supportes algériens s'en vont (de peur de voir d'autres buts ?) en applaudissant le public marocain. Ce dernier, dans un geste de soutien incomparable, lui rend la pareille en chantant «One, two, three, Viva l'Algérie». Entre temps, sur la pelouse, les Fennecs sont toujours malmenés.
Essaidi, ce héros…
Les Verts de Benchikha ne sont pas près d'oublier Oussama Essaidi, joueur de SC Heerenveen en Hollande. Ce jeune footballeur a mis les bâtons dans les roues de l'équipe algérienne et leur a servi les plus beaux ponts, au grand dam des joueurs. Pour son premier match comme titulaire avec l'équipe nationale, l'international a été à la hauteur des attentes du public marocain et de l'entraineur belge. Lorsque l'arbitre siffle la fin de la rencontre, les accolades entre supporters fusent. Pleurs de joie par-ci, cris hystérique par-là, le show ne fait que commencer.
Nuit blanche aux couleurs rouges
La fièvre du samedi soir. C'est le cas de le dire. Après sept ans de déroute, la sélection nationale a enfin réussi à faire sortir des milliers de marocains dans la rue pour fêter dignement la victoire contre les Fennecs, et pas des moindre. Après la déroute d'Annaba, les marocains ont compris que la vengeance est un plat qui se mange froid. «On ne s'attendait pas à ça. On est contents ! Wa dima Maroc» crie une jeune casablancaise dans sa Porsche. Les voitures de luxe transforment Marrakech en Saint-Tropez maghrébin. Les groupes de Dakka Marrakchia sillonnent la ville avec leur bendir, krakeb et derbouka, les conducteurs de motos de différents âge font le show et les ronds-points se transforment en arène de jeu où hommes, femmes et enfants dansent, chantent et fêtent la victoire des Lions de l'Atlas. Même son de cloche dans toutes les autres villes du Maroc. Rabat, Casablanca, Fès, Laâyoune ou encore Agadir… L'apothéose gagne tous les coins du pays. A Oujda, les habitants sont sortis fêter la victoire à la fin de la première mi-temps !
Après une nuit blanche méritée, les Marocains continuent la fête au lendemain du match. Le DVD de la rencontre se vend comme des petits pains, les drapeaux connaissent un succès sans précédent et les tee-shirts Maroc font des ravages. Même les touristes étrangers participent à la vague de joie et s'offrent des maillots de l'équipe nationale. A Jamaâ Lefna, plusieurs commerçants de la place se sont même convertis en artistes. Peintures et pinceaux à la main, ils dessinent sur les visages des plus passionnés : les couleurs rouge et verte sont de mise.
Les Algériens en deuil
Après la déroute des Verts, il n'était pas rare de voir les supporters algériens pleurer toutes les larmes de leur corps. Des larmes de dépit d'avoir vu leur équipe nationale se faire humilier par le grand rival marocain. «On a dépensé 14 millions de centimes pour venir soutenir une équipe qui ne s'est même pas battue sur le terrain» disait l'un des supporters. D'ailleurs, ils étaient nombreux à monter dans l'avion qui les ramenait vers Alger via Casablanca avec des têtes d'enterrement et des tout petits yeux dus à la nuit blanche qu'ils venaient de passer à refaire le match. Et même dans la salle d'embarquement de l'aéroport, comme une sorte de thérapie de groupe, on continuait à rediscuter du match pour absorber le choc et faire son deuil d'une équipe qui n'est plus que l'ombre d'elle-même. D'ailleurs, Abdelhak Benchikha n'a pas survécu à la défaite face au Maroc. Tout de suite après le match, il a annoncé sa démission aux joueurs dans les vestiaires. «Hna Khawa, sahtkom (on est des frères, Chapeau). Vous méritez la victoire. On vous encouragera lorsque vous serez à la CAN 2012 comme vous l'avez fait avec nous lors du mondial. L'essentiel, c'est que l'Egypte ne se qualifie pas» précise un supporter algérien.
Le chiffre 4 restera dans les annales du football algérien. 40 000 euros étaient promis aux joueurs en cas de qualification à la CAN 2012 et 40 000 DA est le prix de la nuit au Manga Club où a eu le stage en Espagne. L'explication entre Les Lions de l'Atlas et les Fennecs a tourné en faveur des marocains. 4 buts dans la cage inscrits par 4 joueurs différents un certain… 4 juin 2011. Sahtkom la victoire !


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