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Annaba s'en souviendra…
Publié dans L'observateur du Maroc le 06 - 04 - 2011

24 mars 2011. L'avion à destination d'Alger décolle à 8h15. Si certains passagers s'engagent dans un profond sommeil, d'autres discutent des incidents qui ont eu lieu la veille à Annaba dans l'opération de vente des billets d'accès au stade du 19 mai 1956 pour le match Maroc Algérie. Des émeutes ont éclaté entre les forces antiémeutes et des jeunes qui n'ont pas pu bénéficier du fameux sésame. Une dizaine de blessés à l'arme blanche ont été signalés. «Mon beau-frère était présent. Des jeunes armés de sabres se sont disputés les places devant le guichet et interdisaient toute personne de s'approcher», raconte un Algérien d'Oran, dans un accent presque casablancais. «Deux confrères journalistes ont été agressés en se rendant au stade pour récupérer leurs accréditations», confie son copain d'une voix presque inaudible. Trois Marocains à bord suivent discrètement la discussion. «Il ne faut pas s'emballer. Cela pourrait arriver dans les plus grandes nations. Vous rendez-vous compte? C'est le match de l'année pour les deux pays», tempère Omar, jeune supporter marocain. «Attachez vos ceintures. On atterrit dans quelques minutes à l'aéroport international Houari Boumediene d'Alger», lance l'hôtesse de l'air d'une voix enjouée coupant court aux discussions entre passagers marocains et algériens au sujet du match crucial. Les membres de l'équipage l'ont ressenti : ces deux heures de vol entre Casablanca et Alger étaient particulières. Premiers effets de la rencontre ?
Salut voisins
Dans une ambiance zen, les passagers font la queue devant les services de police de l'aéroport. Visages détachés et sourires ultra-brite, les Algériens sur place semblent ravis d'accueillir ce petit monde. Tandis que les douaniers affichent une bonne humeur étonnante, toute la file ne jure que par le match du Maroc contre l'Algérie. «On est content que votre sélectionneur ait zappé Mounir El Hamdaoui», lance un Algérois d'une vingtaine d'années. «Adil Taârabet, Mehdi Benatia, Youssef El Arabi et Younes Belhanda. N'oubliez pas ces noms, monsieur. Ils feront la différence et vous en serez étonné, croyez-moi», répond Imad, un Marocain de 24 ans, fervent supporter du Raja de Casablanca. «Je suis sûr que votre Benchikha (entraîneur de la sélection algérienne) est hanté par les balles arrêtées de Marouane Chamakh», ajoute-t-il pour taquiner les Algériens présents. Tous les passagers s'engagent dans un débat footballistique digne des grands professionnels sportifs et vantent, selon leur origine, les valeurs sûres de leurs équipes. De leur côté, les douaniers affichent un sourires au coin des lèvres et suivent attentivement les analyses et les conversations des passagers de toutes nationalités, de différents âges et sexes. «C'est la première fois que vous visitez «Dzayer» ? Vous êtes la bienvenue mademoiselle. J'espère que vous passerez un bon séjour», lance le douanier en lisant soigneusement les informations écrites sur la feuille de police. «Mrahba Khti» (bienvenue ma sœur), continue une agente de police d'une fraîcheur accueillante. Malgré quelques kilos en trop, sa démarche virevoltante lui offre un air de légèreté particulier.
Il est midi. L'aéroport international Houari Boumediene d'Alger est noyé dans un brouhaha accablant où se mêlent cris d'enfants, sons de roues de valises et voix de chauffeurs de taxis. L'activité de ce jeudi est tout sauf ordinaire. «Les vols pour Annaba sont complets pour les trois prochains jours», s'exclamme Imad. Si certains optent pour les taxis ou le train pour se rendre immédiatement à la ville où se déroulera le match, d'autres préfèrent passer la nuit à Alger et découvrir la capitale le temps d'une après-midi. «Rak chbab» (Tu es en bonne forme) nous lance joyeusement Ammar Belhadji. Venu nous chercher à l'aéroport, à 50 kilomètres de la capitale, l'employé de l'agence de voyages, du haut de ses 62 ans, n'a rien perdu de sa fraîcheur malgré quelques marques du temps. Français parfait, langage recherché et air espiègle, Ammar, bavard comme une pie, fait le guide, raconte des blagues et en rit, taquine les femmes, discute tel un fin connaisseur du Maroc et présente ses pronostics du match qui déchaîne toutes les passions. «On doit gagner ce match, vous savez ? L'Algérie a besoin de joie», souligne Ammar. «De toutes façons, si vous gagnez, apprêtez-vous à rester ici pour couvrir la révolution qui suivra», plaisante-t-il, en lançant des coups d'œil amusés.
Escapade à Alger
Pendant la ballade à Alger, Ammar convertit son 4x4 en boîte à rythmes. Il met l'album des dernières chansons de la sélection algérienne, hausse le son à fond et chante «One, two, three, Viva l'Algérie». «Ah ! Ce match de 1979 qu'on n'oubliera jamais. On vous a battus par 5 buts au Stade d'honneur de Casablanca. «Alah yrehmek, Mahmoud Guendouz !», se remémore Ammar en chantant de plus belle. «Mais n'oublie pas, Ammar. L'Algérie n'a pas gagné le Maroc depuis 1980», tempère un photographe.
Il baisse de temps en temps le son pour donner des précisions et présenter la ville. «C'est El Herrach, la gare routière d'Alger, l'équivalent de Ouled Ziane à Casablanca», explique Ammar.
A trois jours de la rencontre, Alger est plus sportive que jamais. La plus grande ville du pays, avec ses trois millions d'habitants, rappelle Casablanca et ses petits «drouba» aux graffitis sur les murs, son ancienne médina, ses immeubles gris sans vie et sa circulation infernale. De différentes couleurs, les taxis de la capitale ont particulièrement le vent en poupe depuis deux semaines. Autre effet du match ?
«Depuis quelques jours, la plupart des chauffeurs de taxis ne travaillent qu'à l'aéroport d'Alger», souligne Djamel. Originaire de Bejaia, ville de Kabylie, ce «taxieur» de 36 ans explique que la ville n'a pas connu un tel engouement depuis des années. Une occasion pour ces chauffeurs de faire grimper les prix, portant la course de l'aéroport international Houari Boumediene au centre-ville d'Alger jusqu'à 10.000 dinars (environs 100 euros).
A quelques kilomètres du centre-ville, la banlieue de Bordj El Kiffan, anciennement «Fort de l'eau», est construite sous la forme d'une ville nouvelle, avec une grande avenue qui la traverse d'ouest en est et autour d'une placette rectangulaire, avec un maillage de rues qui descend jusqu'à la mer. Une petite cité dont les ruelles ressemblent à Martile, au nord du Maroc. Dans un semblant de terrain de football, les jeunes de la petite périphérie se chauffent pour le match historique. Commerces, boutiques et snacks affichent leur soutien aux «Verts», bien que les derniers résultats de la sélection algérienne soient médiocres. Toute la cité baigne dans les «Maâk ya Lkhadra» (avec vous les verts), «One, two, three, Viva l'Algérie» et «L'Algérie avant tout». Au hammam «En nour», à quelques mètres de notre hôtel, une dizaine de femmes encouragent, elles aussi, l'équipe de football à leur façon. «Que dieu les aide et leur facilite la tâche. Les «Mrarca» (Marocains) ne sont pas une simple proie» souligne Hajla, une Algéroise d'une soixantaine d'années. Et à Rachida de répondre : «Si Kader Ghazal joue, il influencera l'équipe marocaine par sa beauté». Le fou rire gagne toutes les femmes du Hammam.
Dans une ancienne rôtisserie de la place, les deux serveurs, Amine et Djilali, se remémorent les prestations de l'équipe algérienne dans la dernière coupe d'Afrique des Nations et leur qualification à la Coupe du monde en Afrique du Sud. «C'est le mauvais œil qui nous touche depuis quelques mois», se lamente le premier tandis que le second se contente de hocher la tête. Lorsqu'on passe notre commande chez Djilali, Salem, le propriétaire, se dirige vers nous. «Vous êtes des Marocains ! Bienvenue mes frères, bienvenue. Vous êtes de quelle ville ? Vous venez pour le match ? Vous avez besoin d'argent ? Vous avez réservé un hôtel ? Si ce n'est pas le cas, venez chez moi !». Dans un élan d'excitation, Salem s'engage dans une série de questions et nous offre gratuitement le déjeuner, accompagné de boissons et de desserts. «Si vous avez besoin de quoi que ce soit, Marhaba ! On est des frères de cœur et de sang, ne l'oubliez jamais». Partout, l'accueil des enfants, les sourires des vieilles dames et la générosité des hommes confirment que ni les frontières, ni les conflits politiques, ne peuvent séparer les peuples des deux pays. D'ailleurs, les regards curieux des habitants de l'arrondissement ôtaient bizarrement tout sentiment de dépaysement. A 18 heures, la ville commence étrangement à se vider. Le coucher du soleil laisse place à de légères averses. Une vingtaine de coups de canons se font entendre à 21 heures. C'est le couvre-feu.
Annaba : la cité verte
6 heures du matin. On prend la route vers Annaba en compagnie de Hocine Djennad, membre de la Fédération algérienne de football et agent de joueurs. L'occasion de découvrir 24 «Wilayas» du pays comme Tijlabine, Thenia, Beni Amrane, Boumerdass, Hamat Bouziane, Lahrouch, Azzaba, Ain Charchour ou encore Benazzouz. Sur les 600 kilomètres qui séparent Alger d'Annaba par l'autoroute, il n'y a pas d'aires de repos. «Ils devraient sérieusement commencer à y penser», se plaint Hocine Djennad. Cette autoroute, qui dispose d'une capacité d'accueil de 40 à 50.000 véhicules par jour, offre l'image d'une Algérie qui a réussi à faire face au colonialisme subi durant plusieurs décennies. Tunnels dans les montagnes, étendues vertes de champs, vendeurs de poterie et marchands de légumes à l'entrée de chaque ville, rendent ces sept heures de routes curieusement intéressantes. D'Alger à Annaba, les conducteurs ont eu droit à plusieurs embouteillages suite aux 26 barrages de contrôle installés sur la route. Policiers et gendarmes lourdement armés épient soigneusement les voitures avant d'en autoriser le passage. A 30 kilomètres de l'entrée de la ville, le nombre des agents de sécurité se multiplie. Les tickets au marché noir aussi. Et si Constantine, la «ville des ponts suspendus» et Skikda, anciennement appelée Philippeville, préservent leur air morose, malgré l'événement grandiose que le pays s'apprête à accueillir, Annaba, ville phare depuis quelques mois, marque le coup d'une pierre blanche. «Annaba vous souhaite la bienvenue». Les nouveaux arrivants de la ville n'en reviennent pas. L'accueil chaleureux des Annabis émeut particulièrement les Marocains. Les banderoles «Viva l'Algérie», «Annaba est fière de son équipe» et «bienvenue à nos frères marocains» ornent tous les murs. Les grands drapeaux verts sur les immeubles donnent l'impression d'une fête nationale. Les klaxons des voitures et les mégaphones réveillent la ville de sa somnolence habituelle… Annaba est en fête et, depuis deux semaines, la ville ne dort plus. Au «Ramblas», boulevard le plus fréquenté de la ville, non loin du théâtre régional Azeddine Medjdoudi, une foule, en extase, accompagne à tue-tête des chansons à la gloire de l'équipe algérienne, produites lors du dernier Mondial, et relayées par les baffes. La joie s'exprime également par des fumigènes aux couleurs vives, à travers les cris des enfants aux visages peinturlurés et les youyous des femmes aux balcons des maisons. C'est un match historique, la petite ville est si fière de l'accueillir. Et si les jeunes de la ville veulent tous ressembler aux «zmagri» (Marocains de l'étranger), style bling bling, avec de grosses chaînes au cou, coupes de cheveux fixés au gel et sandales «Adidas» aux rayures bleues et blanches, la plupart des femmes de différents âges se teintent les cheveux en blond et ne manquent pas de se maquiller avant de sorti faire la fête.
Un accueil triomphal
15 heures. Toute l'Algérie est sous le choc. Magid Bouguerra, l'international algérien, est officiellement indisponible pour le match Maroc Algérie. Les questions fusent de partout. «Qui protègera la sélection algérienne des coups de Chamakh ?» appréhende Tareq, journaliste algérien. «On est mal barré», insiste un autre. Bien que l'inquiétude gagne davantage les Algériens, l'ambiance des réjouissances continue.
19 heures. Les journalistes marocains et algériens accueillent le groupe d'Eric Gerets et les arbitres à l'aéroport Rabah Bitat d'Annaba. L'accueil est triomphal. Deux banderoles «Bienvenue à nos frères marocains» sont nichées en face de la sortie des joueurs avec une photo du Roi Mohammed VI en compagnie du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Les joueurs marocains sont reçus par une troupe de musique tunisienne et un groupe de jeunes Algériennes aux tenues traditionnelles du pays. Ils sont accueillis par Mohamed Rawrawa, président de la Fédération algérienne, Mohamed Mechrara, président de la Ligue nationale de football et Walter Gagg, directeur des stades, des infrastructures et de la sécurité de la FIFA. Par ailleurs, un impressionnant dispositif sécuritaire est affrété sur place : police, gendarmerie et brigades de renseignement et d'intervention (forces spéciales) sont présentes. Les joueurs marocains s'installent à l'hôtel Rim El Djamil.
Quand sonne le coup de minuit, la petite ville exemptée de couvre feu est toujours en fête. Tandis que certains dansent sur les rythmes des chants à la gloire de la sélection algérienne, d'autres préfèrent sillonner la ville, drapeaux sur le dos et avec pour une seule idée en tête : gagner ou mourir.
A J-1 et à l'approche de la rencontre décisive, Abdelhak Benchikha, entraîneur de l'équipe algérienne, interdit à quiconque d'approcher le staff technique et les joueurs de l'équipe nationale algérienne, et ce, jusqu'à la fin du derby. Du côté marocain, Eric Gerets donne une conférence de presse aux 200 journalistes marocains, algériens et étrangers accrédités, pour discuter du match. Il donne le temps à ses joueurs de faire leurs déclarations. La presse algérienne n'en revient pas. «Le buteur», «Compétition» ou encore «Al Khabar Al Riyadi», supports sportifs algériens, louent la transparence et le professionnalisme du sélectionneur marocain et critiquent ouvertement la politique de Benchikha.
A une journée du match décisif, le trafic des tickets d'accès au stade bat son plein et dépasse les 500 dirhams. «45.000 tickets ont été vendus en deux heures. Un temps record ! D'ailleurs, pour contrôler la situation, «12.000 éléments de sécurité seront présents pour ce match crucial» précise Nour Al Hak, officier à Annaba. Il ajoute que, contrairement à d'autres régions, cette ville détient le record des agressions et des crimes. «Ils sont malheureusement victimes de «madame courage»» ajoute l'officier. «Madame courage» est la traduction littérale de psychotropes ou «Karkoubi».
27 mars, le grand jour
Il est 10 heures. Le stade 19 mai 1956 d'Annaba, d'une capacité de 60.000 places, ouvre ses portes. Dès midi, 80.000 personnes remplissent les gradins. Le stade est bondé tandis que des centaines de personnes, munies de leurs tickets et restée à l'extérieur, essaient d'y accéder. En vain. Le dispositif sécuritaire est irréprochable. Les supporters marocains, dont le nombre était censé avoisiner les 3000 ne sont finalement qu'une centaine. «Ce sont les incidents dans les guichets de vente des tickets à Annaba qui ont découragé les Marocains à venir», justifie un supporter.
A 15 heures, le centre-ville se calme légèrement. La plupart des magasins ont baissé les rideaux de peur de l'insécurité, et les familles ont intimé l'ordre aux enfants de rentrer.
Du côté du stade, une ambiance de folie embrase les gradins. «On veut prouver à tout le monde arabe, et aux Egyptiens en particulier, que les Marocains et les Algériens sont des peuples frères et que rien ne pourra les séparer», souligne fièrement Amine Tirmane, journaliste algérien. Plusieurs banderoles louent les relations fraternelles entres les deux pays et appellent à l'ouverture des frontières. «Il faudrait que les politiciens et les hauts responsables viennent assister à ce moment d'union et d'amour entre le Maroc et l'Algérie. C'est magnifique !», ajoute-t-il. Quatre heures avant le début du match, les vévézuelas noient le stade d'Annaba dans un implacable tintamarre. Chez les supporters marocains, il suffit de tambours, de «derbouka», d'applaudissements et de youyous pour faire la fête. «Je suis venu de Hollande pour assister au match. Je ne vais même pas voir ma famille au Maroc», nous confie Said, ingénieur marocain de 46 ans. Alors que Marocains et les Algériens se côtoient dans la même tribune, les drapeaux rouges rivalisent avec les verts.
De son côté, une «mima» algérienne de 92 ans est venue assister au match en compagnie de son fils. Tous les regards sont rivés sur cette vieille femme que l'amour des «verts» a poussé à venir malgré son âge. A deux heures du coup de sifflet de l'arbitre, les supporters s'engagent dans une sérénade de «Bit bit, Zanga Zanga», la phrase devenue culte de Mouamar Kaddhafi. Les fumigènes fusent de toutes parts. C'est la fête au stade d'Annaba ! Entre temps, les agents de sécurité ne baissent pas les bras. Deux hélicoptères sillonnent le stade depuis deux jours. A quelques minutes du début du match, le stade 19 mai 1956 est en pleine effervescence. Lorsque les joueurs font leur entrée sur la pelouse, le speaker demande au stade d'observer une minute de silence pour rendre hommage aux victimes du tsunami au Japon. Les supporters refusent, sifflent et crient «Libya, Libya, Libya…». Ce moment passé, les supporters algériens huent l'hymne national marocain tandis que les supporters marocains se taisent durant le chant national algérien et lèvent leurs mains en guise de respect. C'est le début du match, tous les supporters ont le souffle coupé et les yeux rivés sur la pelouse. Tous rêvent de victoire.
Quand le cauchemar des uns fait le rêve des autres
Mais à la cinquième minute du match, l'arbitre mauricien accorde un penalty à la sélection algérienne pour une main d'Adil Hermach, transformé par Hassan Yebda. 1-0 pour l'Algérie. Le stade d'Annaba rentre dans une transe folle. Les Lions de l'Atlas ne se laissent toutefois pas abattre et cherchent à faire leur jeu, parvenant à bien se positionner sur la ligne médiane d'où ils tentent de bâtir leurs offensives. Mais Marouane Chamakh, esseulé en pointe, bute sur une défense qui ne laisse rien au hasard. A fur et à mesure que les minutes s'égrènent, les Verts, les trois points en poche, se replient en défense en maintenant le statu quo jusqu'au sifflet final.
A un quart d'heure de la fin du match, les supporters algériens commencent à lancer des projectiles, ce qui pousse les éléments de la sécurité à investir la piste d'athlétisme. Le quatrième arbitre signale, à plusieurs reprises, au commissaire du match, l'utilisation de rayons lasers dirigés dans les yeux des joueurs. Mais à cinq minutes du sifflet final, une minorité de supporters algériens lance des bouteilles d'eau et d'urine du côté des Marocains. Les agents de sécurité protègent les supporters marocains mais le jet de bouteilles continue de plus belle. Dans un élan de solidarité, les Algériens de la même tribune se dirigent vers les Marocains agressés et leur proposent d'échanger leur place contre la leur. «Ne faites pas attention à eux», s'excusent-ils.
Au sifflet final, des centaines d'agents de sécurité se mettent en formation à la porte la tribune des supporters marocains et leur interdisent la sortie du stade, pour au moins une heure. Ils profitent de l'occasion pour présenter leurs excuses au nom des supporters algériens qui ont souillé la tribune maroco-algérienne. «Ces jeunes ratés ne représentent pas l'Algérie. Cela peut arriver dans n'importe quel pays. Excusez-nous!», se désole l'officier Nour El Hak. Les supporters marocains sont partagés entre le résultat du match, les agressions qu'ils ont subies et le comportement exemplaire des agents de sécurité et de tous les Algériens qui les ont accueillis dans la joie, avec amitié et respect. «Si ces gens nous ont accueillis par des bouteilles d'urine, on les accueillera chez nous comme des princes au match retour» répond Sami, un supporter marocain.
Si les Algériens n'en reviennent toujours pas d'avoir finalement réussi à se repositionner dans la course au billet de qualification à la CAN 2012, les Marocains ne digèrent pas leur défaite. A Annaba, la joie est immense et l'espoir des Algériens de voir leur sélection qualifiée est de plus en plus grand.
Au revoir cousins
20 minutes avant la fin du match, des milliers de supporters algériens quittent le stade, impatients de fêter une victoire qui s'annonçait si dure.
A leur tour, une heure après la fin du match, les supporters marocains, escortés par les agents de sécurité, sont enfin autorisés à sortir du stade. «A chaque défaite, on accuse l'arbitre d'être corrompu. Aujourd'hui, c'est vraiment le cas !» s'écrie Imad, le supporter marocain mordu du Raja. «La défaite me rend malade, c'est vrai. Ce qui me dégoûte le plus, c'est surtout le fait que l'arbitre nous enlève deux penalties, trois coups francs et sanctionne injustement les joueurs marocains. C'est incompréhensible», confirme un supporter du WAC. Tandis que les avis fusent, tous les Marocains présents ont une seule idée en tête : Rendez-vous au match retour !«J'espère que l'arbitre d'aujourd'hui ne pointera pas son nez au Maroc», plaisante Imad. Tous retournent à Casablanca le soir même, déçus mais heureux d'avoir fait ce voyage express et découvert leurs voisins algérien.
Du côté des joueurs marocains, le groupe quitte Annaba à 1 heure du matin à bord d'un vol spécial pour Marrakech. Si certains préfèrent ruminer leur défaite contre l'Algérie en silence, certains jouent à la Nintendo pour décompresser et tenter d'oublier, tandis que d'autres préfèrent dormir pour rêver peut-être à un scénario différent…
Pendant ce temps, les chants de la sélection algérienne passent en boucle, les klaxons de voitures ne s'arrêtent plus et les Algériens savourent leur victoire... Une victoire qu'ils ne manqueront pas de fêter, jusqu'au 9 juin 2011, date du match retour.
Le 27 mars 2011 est une date à marquer d'une pierre blanche pour les deux pays. C'est le jour où Marocains et Algériens se sont réunis pour une seule passion, celle du ballon rond. Une fierté pour les deux peuples frères qui ont prouvé, durant 90 minutes, que les conflits politiques ne concernent que les hauts responsables. Et comme disent les algériens d'Annaba, «One, too, three, Viva le Maghreb Uni». Une vérité que seuls les politiciens pourraient réfuter…


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