L'annonce de l'Allemagne de renoncer à l'électricité nucléaire d'ici à 2022 est sans doute la réplique la plus spectaculaire du tsunami qui a ravagé le Japon le 11 mars. L'Italie - qui achète en France les 10% d'électricité nucléaire qu'elle consomme - l'avait précédé en arrêtant il y a vingt ans son dernier réacteur. Mais l'Allemagne est la première très grande puissance économique et industrielle à abandonner l'énergie nucléaire. Moins de trois mois après la catastrophe nucléaire de Fukushima, Angela Merkel fait ainsi une volte-face radicale en décrétant que toutes les centrales nucléaires allemandes seront démantelées d'ici 2022. La chancelière allemande n'est pas devenue une militante écologiste pure et dure en phase avec les peurs de l'opinion publique. Mais elle a tiré la leçon des manifestations contre le nucléaire qui se multiplient dans son pays et des sondages très hostiles à la poursuite de cette filière. Plus de 80 % des Allemands demandent en effet une sortie aussi rapide que possible de l'atome. Les résultats catastrophiques des dernières élections régionales ont fini de la convaincre qu'il était urgent de couper sous les pieds de l'électorat vert qui la talonne dangereusement. Aux yeux de certains observateurs, la récente élection pour la première fois d'un Vert au poste de ministre-président d'un Land (le Bade-Wurtenberg) est même annonciatrice, à terme, d'une future chancellerie verte ! Défi technologique Dans ce contexte, Angela Merkel a vite compris que Fukushima a tout changé, en Allemagne comme ailleurs… Même si les Verts déplorent que l'arrêt des centrales n'ait pas lieu dès 2017, la chancelière a sans doute réussi à lever la principale hypothèque empêchant une coalition avec le parti écologiste. Sa décision n'est pourtant pas seulement un acte politique. Elle constitue un véritable défi technologique pour un pays où l'énergie nucléaire fournit 26% de l'électricité. C'est peu comparé à la France, championne toute catégorie du nucléaire civil qui en produit 75%. Mais le pari de l'Allemagne est de taille car si les énergies renouvelables couvrent aujourd'hui 16% de ses besoins, on est loin des 80% indispensables à l'horizon 2050. Comment remplacer dans les dix ans à venir le cinquième de l'énergie consommée dans un pays peu ensoleillé et dont le relief ne permet pas de multiplier les barrages comme en France ? Depuis longtemps, pression des Verts oblige, les Allemands investissent dans la recherche et la production d'énergies renouvelables, le photovoltaïque et l'éolien. Une aide de 5 milliards d'euros est d'ailleurs prévue pour construire des parcs d'éoliennes en mer Baltique, ces derniers étant jusqu'ici presque inexistants. Les populations vivant à proximité n'apprécient guère le bruit qu'ils génèrent et ils nécessitent en outre de construire de milliers de kilomètres de réseaux électriques pour amener le courant au sud du pays où sont installées de nombreuses industries. Economies d'énergie obligées Sauf si un autre gouvernement annulait, dans les dix ans à venir, la décision d'Angela Merkel, l'Allemagne s'engage donc dans une transition complexe et chère. En effet, les énergies renouvelables ne suffiront pas à assurer seules la consommation en énergie électrique du pays. Dans les vingt ou trente prochaines années, des centrales termo-électriques fonctionnant au charbon, au gaz ou au pétrole seront indispensables. Mais l'impact désastreux de ces énergies fossiles sur l'environnement va contraindre à trouver des technologies permettant d'économiser la consommation d'énergie de 10% grâce à des appareils ménagers plus économes. 1,5 milliard d'euros vont par ailleurs être consacrés à l'isolation du parc immobilier. En attendant, le mix charbon, gaz, pétrole se traduira par une dépendance accrue de la première économie européenne au gaz russe. Le gaz apparaît en effet comme l'énergie la plus susceptible de réussir la transition vers les énergies renouvelables. Si c'est une immense opportunité pour les pays producteurs… et pour les entreprises de forage, cela va contraindre les pays qui n'en possèdent pas à inventer une économie dépendant moins des hydrocarbures. La décision d'Angela Merkel crée par ailleurs une division supplémentaire dans les politiques industrielle et énergétique du couple franco-allemand. La chancelière assure que l'Allemagne n'achètera pas à la France d'électricité provenant du nucléaire, mais rien n'est moins sûr… Autant de problèmes qui suscitent l'inquiétude des entreprises allemandes qui vont devoir en outre renoncer à exporter des centrales nucléaires. Précurseur imbattable A moyen terme pourtant, la sortie du nucléaire peut constituer pour l'Allemagne une formidable opportunité de prendre une très nette longueur d'avance pour dominer un marché porteur s'il en est : celui des énergies renouvelables. Un secteur dans lequel la Chine rêve de devenir leader. Mais si l'Allemagne décide vraiment que son avenir énergétique dépend de la recherche et de l'innovation dans les énergies alternatives, elle sera un précurseur imbattable. L'alliance entre les capacités scientifiques et technologiques de ses ingénieurs et la discipline et la détermination de sa population devrait en effet donner des résultats impressionnants… Une Allemagne mobilisée pour résoudre ce problème peut ainsi ouvrir la voie à la découverte de nouveaux «modèles» de production d'énergie et donner un coup d'accélérateur à des énergies renouvelables à des prix compétitifs. En ce sens la décision d'Angela Merkel d'en finir avec le nucléaire civil pourrait apparaître dans l'avenir comme une décision historique non seulement pour l'Allemagne mais pour le monde entier. Difficile en effet de penser que d'autres pays ne seront pas amenés à sortir du nucléaire. En France, la question pourrait être l'un des enjeux de la campagne présidentielle de 2012 et elle risque de compliquer toute entente entre socialistes et écologistes. La catastrophe de Fukushima aura au moins servi à prouver que si l'électricité nucléaire est un moyen idéal de réduire les problèmes de dépendance du pétrole et du gaz, le moindre accident peut avoir des conséquences bien trop apocalyptiques pour qu'on en prenne le risque.