Vendredi 11 mars, aux environs de 3 heures de l'après midi, heure japonaise, 6 heures du matin, heure marocaine. Un très violent séisme d'une magnitude de 8,9 sur l'échelle de Richter s'est produit au large des côtes nord-est du Japon. C'est le séisme le plus puissant qu'ait jamais enregistré ce pays, dont les effets ont été ressentis jusqu'à Pékin, en Chine. Mais c'est également l'un des plus puissants séismes survenus depuis le début du XXIe siècle, avec celui de Sumatra, en 2004, et du Chili, en 2010. Pas un seul sismologue ou géophysicien n'a pu prévoir un tremblement de terre d'une telle ampleur dans cette partie du monde. Dix minutes après, une alerte au tsunami est lancée, incluant le Japon, la Russie, les îles Mariannes et les Philippines. Une réplique violente s'est produite moins d'une demi heure plus tard, faisant tanguer les immeubles de Tokyo. Les transports aériens et ferroviaires sont interrompus dans une bonne part du Japon. Avant même qu'un tsunami de 10 mètres ne vienne balayer les côtes de Sendai, dans le nord-est du Japon, la monnaie japonaise, le Yen, recule sur les marchés des changes face au Dollar. Les conséquences économiques du séisme se font déjà ressentir. Moins de trois heures après le premier tremblement de terre, pas moins de dix huit répliques ont été enregistrées. La Terre tremble encore, mais certains employés japonais sont retournés dans leurs bureaux. Le bilan des morts ne cesse de s'alourdir. Trains, avions, tout est à l'arrêt. Quatre heures après, un départ de feu est signalé dans un bâtiment abritant une turbine dans la centrale nucléaire d'Onagawa, située dans la préfecture de Miyagi, au Japon. Les quatre centrales nucléaires japonaises les plus proches de la zone frappée par le violent séisme de vendredi ont été "arrêtées en toute sécurité", a annoncé, en son temps, l'Agence internationale pour l'énergie atomique, l'AIEA. Six mille habitants des environs d'une centrale nucléaire appelés à évacuer dans la préfecture de Fukushima, au nord-est du Japon, annoncent les autorités locales. Le gouverneur de la région a demandé l'évacuation des résidents d'une zone de trois kilomètres de rayon autour de la centrale. Les eaux de refroidissement de l'installation nucléaire de Fukushima ont baissé à un niveau inquiétant, mais aucune fuite radioactive n'a été signalée. Un barrage s'est rompu dans cette même préfecture de Fukushima et des maisons ont été emportées, quelques heures après le séisme qui s'est abattu sur cette région. En moins d'une demi journée, le bilan est porté à quelques mille morts. Au jour d'aujourd'hui, ce bilan est de 5000 morts confirmés et de plusieurs milliers de disparus. Affectée par des pannes de courant, Tokyo doit s'attendre à au moins six mois de pénurie d'électricité à l'heure où les dommages dans les centrales nucléaires causés par le séisme et le tsunami du 11 mars font craindre, au-delà de l'arrêt de plusieurs usines, d'importantes répercussions économiques. Le tremblement de terre de magnitude 8,9 et la gigantesque vague qui a dévasté le nord-est du Japon ont contraint l'installation qui dessert la capitale japonaise à réduire d'un quart ses approvisionnements en électricité. Le courant dans certains secteurs de la région, qui comprend Tokyo et représente 40% de la production nippone, est coupé trois heures par jour, paralysant le trafic des trains de banlieue et provoquant l'arrêt des feux de signalisation. Suppléer le manque va représenter un défi clé dans la remise sur pied économique du Japon après la catastrophe dont le coût pourrait atteindre les 200 milliards de dollars (près de 142,7 milliards d'euros). La pénurie d'électricité va durer au moins six mois, le temps de réparer ou de remplacer les générateurs, et affecter ainsi les entreprises qui constituent des maillons clés dans la production et le commerce nippons. Avec quatre réacteurs nucléaires hors service, probablement de façon permanente, la demande japonaise de pétrole et de gaz utilisés pour la production d'électricité devrait augmenter et pousser du même coup les prix vers le haut. L'impact économique du séisme est passé au second plan avec la crise provoquée par les dégâts causés dans la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi (nord-est). Mais ses conséquences pourraient être considérables au moment où les coupures d'électricité affectent des entreprises nippones présentes dans des secteurs allant de la finance à l'industrie automobile. Toyota Motor évalue ses pertes de production à au moins 95.000 véhicules. D'autres constructeurs automobiles nippons prévoient des pertes similaires. Tokyo Electric Power, qui exploite Fukushima, a déclaré que les dégâts liés au tremblement de terre avaient réduit ses capacités de production d'électricité à 33,5 millions de kilowatts par jour, 25% en dessous de la demande. Le Japon a fermé 11 de ses 54 réacteurs nucléaires après le séisme, portant un coup majeur à une économie qui dépend du nucléaire pour 30% de sa production d'électricité. On ignore l'étendue des possibles dégâts subis par le réseau de distribution et des générateurs alimentés au charbon et au gaz. D'après certains analystes, les objectifs du Japon, qui projetait de compter sur le nucléaire pour 40% de sa production d'électricité, ne devraient probablement pas changer en dépit des annonces en Europe et ailleurs de contrôles des centrales nucléaires à la suite de la catastrophe. "Le Japon va probablement persister dans ses projets nucléaires", souligne ainsi David Rea, qui travaille pour Capital Economics. Pour l'heure, les installations nippones devraient combler les manques en mettant en marche des générateurs au gaz, au fioul ou au charbon. La demande de combustible devrait également augmenter avec les travaux de reconstruction. Cette coupure du courant électrique allait entraîner une conséquence autrement plus grave. Les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima, dont seulement trois sur six étaient en activité, se sont automatiquement arrêtés au moment du puissant séisme qui a touché le Japon, conformément à la procédure d'urgence. Si la réaction nucléaire est quasiment stoppée, leur cœur continue malgré tout de dégager de grandes quantités de chaleur. Il fallait donc les refroidir. Mais les lignes électriques ont été coupées par la violente secousse et les groupes électrogènes, censés prendre le relais, ont été noyés par le tsunami. Privés d'alimentation, les circuits de refroidissement ont alors cessé de fonctionner. Dans l'enceinte de confinement qui abrite chaque réacteur, la situation s'est alors dégradée. La température augmentant, l'eau qui baigne la cuve contenant le combustible nucléaire s'est progressivement évaporée, provoquant une augmentation de la pression et des rejets d'éléments radioactifs. Pour abaisser la pression, l'opérateur Tokyo Power Electric (Tepco) a procédé à des rejets volontaires de vapeurs. Cette dernière, réagissant avec les gaines du combustible, a provoqué un dégagement d'hydrogène. Pour éviter une rupture de l'enceinte, l'hydrogène a alors été dégazé, et à une concentration avec l'air telle que des explosions en série ont eu lieu. Ce sont ces explosions, spectaculaires, qui ont détruit le toit des structures édifiées autour de l'enceinte de confinement, mais sans, théoriquement, les endommager. Même si l'énergie que dégagent les réacteurs est de plus en plus faible au cours du temps, ils devront toujours être refroidis pendant des mois avant qu'il n'y ait plus de risque de fonte du cœur. Le seul moyen de refroidir les installations est d'apporter de l'eau en quantité suffisante. Depuis samedi, des camions citernes pompent ainsi l'eau de la mer - à la place de l'eau purifiée normalement utilisée - et l'injectent dans les cuves. Jeudi dernier, pour la première fois, quatre hélicoptères de l'armée japonaise ont aussi réussi à déverser plusieurs tonnes d'eau de mer sur les réacteurs les plus endommagés, principalement le n° 3. Mais à raison de 7,5 m3 d'eau largués à chaque passage, ces quantités restent nettement insuffisantes pour remplir les cuves et les piscines (d'un volume de 1 000 m3 chacune), d'autant que le déversement s'accompagne de pertes inévitables. Avant-hier, l'agence japonaise de sûreté nucléaire a relevé le niveau de l'accident nucléaire de la centrale de Fukushima de 4 à 5 sur l'échelle des évènements nucléaires et radiologiques, équivalent à celui de l'accident nucléaire de Three Mile Island, aux Etats-Unis, en 1979. Le spectre de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, plane sur tout le sud-est asiatique.