La chute brutale et spectaculaire de Dominique Strauss Khan sidère l'opinion. Il a été arrêté dans la cabine de Première d'un long courrier qui s'apprêtait à décoller. Y a-t-il un endroit au monde plus confortable pour s'isoler des contingences ? Le vrai luxe de la First, c'est l'illusion d'être à l'abri des turbulences de la vie, protégé du vulgaire et délivré des contingences. DSK est tombé de ce paradis artificiel des 9 000 pieds pour atterrir au dépôt du commissariat de Manhattan. Première étape d'une descente aux enfers. Il y a été interrogé sans ménagement pendant 36 heures. Il a été ensuite livré aux médias. C'est-à-dire exhibé, menottes aux poignets et mains dans le dos. Puis, présenté à un juge intraitable, devant les caméras de télévision du monde entier. Enfin renvoyé au cachot, l'assez sinistre prison de Rikers Island. Rien ne lui est épargné, au contraire. On se croirait dans un roman de Balzac. On plonge dans un feuilleton américain. Dans ce conte moderne, qui tient la baguette magique qui métamorphose l'un des Maîtres du monde, riche et célèbre, en détenu de droit commun aussi vite qu'un carrosse se transforme en citrouille ? Les moralistes pensent évidemment que DSK a été le principal artisan de sa mort publique. «Il ne l'aura pas volée!» C'est grosso modo ce que disent les médias Us qui ne se permettent pas de douter du récit de la victime. Ils trouvent dans le passé de DSK à la réputation sulfureuse la confirmation que c'est un personnage douteux. Quelqu'un d'indigne de confiance ne mérite aucune compassion. Là-bas, personne n'est choqué par la cruauté de la machine judiciaire et la toute-puissance de l'accusation. Il n'y a qu'une victime, la jeune femme qui affirme avoir été violée et dont le récit a convaincu les enquêteurs. Les Américains ne prennent pas les affaires de mœurs à la légère et la police traite tous les suspects à la même enseigne, quelle que soit leur position sociale… La question de savoir s'il y a une mauvaise fée acharnée à la perte de DSK hante les conspirationnistes qui mettent en scène leur paranoïa sur internet. On aurait tort de s'en moquer : une majorité de Français (57%) interrogés quatre jours après le scandale croyaient contre toute vraisemblance à un complot ! Et le chiffre monte à 70% si l'on interroge seulement les sympathisants socialistes…Une partie des têtes d'affiche de la gauche qui se pique d'incarner le camp du progrès et de la morale s'est aussi indignée du traitement réservé au camarade Strauss-Khan : l'ineffable Jack Lang, l'inévitable BHL, l'éternel Badinter se sont indignés. Ce sont des professionnels. Même genre de réflexe de caste dans la presse française. Les Journalistes, de gauche dans leur écrasante majorité, sont choqués de voir un homme admiré mis à mort, un homme puissant soudain broyé par la machine judiciaire. Cela tient à un système de copinage qui émousse les curiosités, à un relativisme moral qui incitait à l'indulgence et à une éthique d'avant internet qui obligeait à faire silence sur le libertinage de l'accusé. Enfin pour achever de désorienter ces médias qui s'enivrent depuis quatre ans d'anti-sarkozysme pavlovien, impossible de croire au coup monté. A l'évidence, l'affaire survient trop tôt pour qu'on puisse soupçonner l'Elysée d'avoir torpillé la candidature d'un rival… Il n'y a pas que le destin personnel du patron du FMI qui ait volé en éclats, un samedi avant de quitter l'hôtel. La France aussi se sent humiliée, son image est écornée. Pour le PS, c'est une bérézina. Le parti doit faire son deuil du champion sur lequel il comptait pour retourner à l'Elysée. Nul n'est irremplaçable, il a le temps d'en trouver un autre, de faire son deuil et de refaire son unité pour mener campagne. Pour l'Europe aussi, l'affaire tombe mal alors qu'elle peine à sauver la Grèce et à sauver l'euro. L'autorité de Strauss Khan était un atout, sa disparition constitue une difficulté supplémentaire. A dresser ce bilan, on pourrait se dire que la police et la justice américaines ont été bien pressées, peut-être aveugles. Après tout, elles n'ont pour l'instant rassemblé aucune preuve. Elles n'ont pris en compte que le témoignage accusatoire d'une femme de chambre qui se prétend victime. N'eût-il pas mieux valu rester discret ? La décence et la prudence n'auraient-elles pas dû imposer davantage de précautions ? Les enjeux n'auraient ils mérité d'éviter le scandale ? C'est sans doute la véritable leçon de cette affaire qui n'est qu'un faits divers. Aux Etats Unis, tout peut arriver même à ceux qui se prennent pour les Maîtres du monde. Ils n'ont pas d'assurance tous risques. La célébrité, le pouvoir ou l'argent ne les mettent pas à l'abri. Nul n'est au-dessus de la loi. Chacun doit rendre des comptes, surtout les puissants. Le procureur de Manhattan a eu la peau de D. Strauss Khan comme il a envoyé B. Madoff en prison à perpétuité. La fin de l'impunité. La leçon de ce début d'année, la tendance de la saison. Que peuvent méditer Suzanne Moubarak, l'épouse du Raïs égyptien qui rend sa fortune pour retrouver sa liberté. Ou ses deux fils qui dorment derrière les barreaux. Ou la famille Trabelsi dont l'avidité a fait tomber le régime et qui tremble désormais devant les Tunisiens. Ou bien Kadhafi et son fils Saef Al Islam… Le Procureur de la cour pénale internationale réclame leur mise en accusation pour crimes contre l'humanité. C'est une question de temps. La cause est entendue. Cela fera d'eux des parias. Ils ne pourront plus quitter la Libye. Ils sont même hors-jeu dans la recherche d'une solution politique… Ce qui complique la tâche des diplomates, comme l'arrestation de Strauss Khan complique le travail du FMI. Mais la fin de l'impunité, c'est le début de la justice. Le prix implacable qu'impose la démocratie. C'est le progrès. Cela se fête. Même s'il en coûte au confort intellectuel d'une élite parisienne et à la réputation d'un pays qui ne méritait pas cela.