Les Grecs ont inventé la tragédie. Il y a une sorte de fatalité antique à la crise économique dans laquelle le pays a plongé, il y a dix-huit mois. Malgré les sacrifices qu'ils se sont imposés mais qui ne donne guère de résultats et que le peuple rechigne chaque jour davantage à supporter, malgré la mobilisation des voisins qui ont injecté des dizaines de milliards pour sauver les banques d'Athènes sans parvenir à restaurer la confiance, malgré les démentis et le déni général, le spectre de la faillite hante la zone euro. Les remèdes appliqués sont en train de tuer le malade. Les principaux ministres des Finances (France, Allemagne, Italie, Espagne) se sont retrouvés en urgence et en catimini au Luxembourg avec les émissaires grecs, le commissaire européen aux affaires monétaires et le président de la BCE. Le secret de leur rendez-vous a bien sûr été éventé. Ils ont commencé par en nier mollement l'existence. Puis, ils ont admis s'être rencontrés mais en démentant avec une énergie qui semble celle du désespoir que la restructuration de la dette grecques ait été envisagée. Ou que la Grèce envisage de sortir de l'euro comme l'avait déclaré le Spiegel dans un article à sensation. Les palabres luxembourgeoises auraient servi à passer en revue les difficultés grecques et à encourager George Papandréou à faire des efforts. Ils n'auraient pas évoqué d'autres mesures à prendre ou des scénarios de crise, promis/juré. Comment croire qu'ils se soient contentés d'examiner la situation alors que les experts mandatés par l'Union, la BCE et le FMI étaient en train de boucler leurs valises pour gagner Athènes et y passer justement les comptes au crible ? Les médias ont avalé la couleuvre, pas les marchés qui ont aussitôt dégradé la note d'Athènes. Leur raisonnement est simple, si les ministres n'ont rien annoncé à Luxembourg, c'est qu'ils ont décidé de ne rien décider. On les comprend, ils n'ont le choix qu'entre de mauvaises solutions. La sortie de la Grèce de la zone euro serait un saut dans l'inconnu, terrifiant. Avec à l'arrivée, l'éclatement possible de l'Euroland aux conséquences incalculables. La seule restructuration de la dette risque de faire sauter les banques françaises et allemandes qui ont beaucoup investi sous le soleil. Même un rééchelonnement sans décote qui pourrait faire gagner un peu de temps menace d'aggraver les tensions. La Grèce est prise dans les sables mouvants, chaque geste qu'elle tente pour sortir du piège l'y enfonce davantage. Le prêt de 110 milliards d'euros accordé l'an dernier n'a pas suffi à la sortir du guêpier. La cure d'austérité a réduit l'activité économique (-3% prévus) et les rentrées fiscales. L'augmentation de la dette qui a atteint 142% du PIB en 2010 amène les banques à exiger des taux d'intérêt record, ce qui accentue l'endettement du pays. C'est un cercle vicieux. Mais la logique la plus kafkaïenne est bien celle de l'euro, qui interdit aux Grecs de se donner des marges de manœuvre en dévaluant. Les conditions générales de la libre concurrence et l'euro fort qu'imposent l'orthodoxie européenne ne permettent pas à Athènes de combler son énorme déficit commercial qui plombe le déficit de ses finances publiques. Pour la deuxième fois depuis le début de l'année, les Grecs se sont mis en grève générale mercredi. Démocratie est un mot grec. Comme s'il suffisait de rester chez soi ou de protester dans la rue pour conjurer la réalité. Il y a pourtant une fatalité. Les évènements que les ministres n'ont pas osé envisager à Luxembourg imposeront leur logique. Les décisions qu'on se refuse à prendre à froid s'imposeront dans la fébrilité de l'urgence.