Depuis l'arrêt des confrontations militaires au Liban qui n'ont pas réussi à réaliser les objectifs fixés, Israël vit aujourd'hui l'heure des révisions stratégiques. Rude épreuve pour un pouvoir politico-militaire qui a perdu sa crédibilité alors que la situation socio-économique se dégrade plus que jamais. La guerre du Liban a montré que la politique de la force a prouvé non seulement ses limites, mais aussi que l'establishment israélien s'est trouvé incapable de gérer la crise. Des centaines de milliers d'Israéliens se sont retrouvés réfugiés dans le centre du pays avec comme seul soutien l'aide des associations caritatives. La non-préparation se trouvait à tous les niveaux : dans l'armée, au gouvernement et dans les ministères. Mais l'élément le plus grave qui est venu s'ajouter à ce schéma "catastrophique", estime les analystes politiques israéliens, c'est le contenu du rapport semestriel publié, fin août, par l'Institut national de la sécurité sociale. Ce document vient de dévoiler que 1,63 millions d'Israéliens, soit le quart de la population, vivent sous le seuil de pauvreté. Pire encore, 768 000 enfants , soit 35, 2% de moins de 18 ans, sont considérés parmi les plus démunis. Ce même constat indique que le phénomène de pauvreté installé dans le Nord et le Sud du pays, commence à toucher les grandes villes. Les coûts de la guerre du Liban évalués à environ 6,5 milliards de $ ont poussé le comité du budget à la Knesset (Parlement) à effectuer des modifications de 2 milliards de Shekels (environ 457 millions de $) sur les dépenses de l'exercice en cours. Ce que le gouvernement d'Ehud Olmert considère comme indispensable pour financer la guerre contre le Hezbollah au Liban. Une justification qui a suscité un tollé chez certains législateurs qui voient dans le transfert des dépenses des budgets d'autres ministères vers celui de la Défense comme une atteinte aux droits des pauvres. Dans cette foulée, le premier ministre israélien tente de racheter son poste en faisant des fleurs à ses alliés au détriment de la situation économique de plus en plus fragile. Olmert veut apparemment racheter tout le monde, rétorquent ses adversaires politiques, Benyamine Netanyahu, en premier. Pour preuve, il promet à la population du Nord de lui accorder des aides exceptionnelles pour faire face aux pertes subies par les bombardements de leurs villes et villages par le Hezbollah. Cette faiblesse recensée par l'Armée incite les généraux à enfoncer le clou en faisant porter le chapeau de l'échec militaire à l'étroitesse du budget. Dans ce contexte, le chef d'état-major, Dan Halluz, aujourd'hui en mauvaise passe après la démission du chef militaire de la région du nord, n'hésite pas à réclamer un montant faramineux, s'élevant à 30 milliards de shekels, pour combler le déficit de cette guerre perdue ; de plus, il exige le renforcement de l'arsenal, la modernisation des équipements. Et, enfin, augmenter le budget de la Défense afin qu'il se situe aux alentours de 50 milliards de shekels. Les Israéliens qui étaient pour la consolidation de la position de l'armée quels que soient les sacrifices, y compris financiers, revisitent aujourd'hui cette orientation. Nombreux sont les économistes, les sociologues et les hommes politiques, qui haussent le ton contre toute augmentation du budget du ministère de la Défense. Ces derniers disent que le problème ne réside pas dans le manque des moyens financiers mais plutôt dans les excédents. Plus particulièrement ce qui a été accordée à un effectif militaire "obèse" qui ne s'occupe que de l'amélioration de son niveau de vie et de son pouvoir d'achat. Ehud Olmert, qui craint, à tout moment, une volte-face politico-militaire, cherche, à l'heure actuelle, des inventions lui permettant d'être en bons termes avec tout le monde. Dans cet objectif, il mise de jouer sur le facteur "budget". Il pense, le cas échéant, qu'il pourrait intégrer des dépenses sociales dans un package-deal comprenant l'augmentation des dépenses conçues pour l'armée. Si Olmert réussit à bluffer une partie de la population avec ses inventions, il ne pourra guère le faire avec l'économie. Car les chiffres parlent d'eux-mêmes ; et il est difficile de les masquer. Les experts qui évaluent les conséquences de la guerre du Liban sur l'Etat hébreu estiment que le premier ministre est contraint de dire la vérité au peuple sans trop tarder. Car l'ordre des priorités a changé depuis le 12 juillet 2006. De ce fait, il serait inconcevable de gérer les affaires du pays comme cela a été le cas avant cette date. D'autant qu'il serait impossible de faire supporter à une société qui souffre socialement les dégâts émanant d'une guerre mal préparée. Et, en plus de tout cela, détruire l'économie du pays. Signes de difficultés Il y a environ six mois, Amir Peretz, a promis à ses électeurs qu'il combattra pour une "révolution sociale". Et qu'il intégrera dans le budget de 2007 les montants nécessaires à l'éducation et au bien-être des citoyens israéliens qui s'est nettement détérioré ces dernières années. Mais après qu'il est devenu ministre de la Défense, cet ancien activiste du mouvement "La paix maintenant" a complètement oublié ses promesses. Pire encore, il a cautionné l'augmentation des dépenses consacrées à l'armée au détriment des questions sociales. Ce qui montre que le social n'aura pas ce qu'il attendait dans le budget de l'année prochaine. Pour les observateurs et les hommes d'affaires qui visitent actuellement Israël, la crise économique est fortement ressentie à tous les niveaux. Aucun secteur n'avait été épargné dans cette guerre venue au mauvais moment ; notamment que le taux de croissance prévu pour l'année en cours a tendance à la baisse par rapport aux estimations annoncées par la Banque centrale d'Israël au début de 2006. La mobilisation coûteuse de l'armée, depuis le retrait unilatéral de la bande de Gaza, pesait déjà lourd sur les indices macro-économiques alors que les exportations des fleurons de l'économie israélienne, notamment en matière des technologies avancées, connaissent une certaine stagnation depuis novembre 2005. Autres difficultés rencontrées après cette guerre, la réticence du lobby juif, plus précisément américain, de s'envoler, comme à l'accoutumée, pour soutenir financièrement le gouvernement en place. La somme que ce dernier s'attendait à avoir se chiffrait à un peu plus d'un milliard de $. Mais, selon les engagements donnés, il semble que l'enveloppe ne dépassera pas les 350 millions de $ malgré une mobilisation équivalente à celle qui avait suivi la guerre du Ramadan (Kipour) en 1973. "Nous sommes loin de la belle époque où les Israéliens de par le monde viennent soutenir leur Etat juif", s'accordent à souligner les analystes politiques israéliens. En effet, les études publiées il y a quelques années par les centres universitaires spécialisés montrent que les Israéliens de la diaspora n'ont plus la même conviction concernant l'aide "sacrée" qu'ils doivent apporter. Ils estiment que leur Etat juif n'est plus menacé par ses voisins arabes, notamment après, d'une part, la signature des accords de paix avec l'Egypte et la Jordanie ; et, de l'autre, après que les Etats arabes ont formulé, lors de leur sommet tenu à Beyrouth, il y a trois ans, une initiative de paix globale reconnaissant l'Etat d'Israël. Même la menace du nucléaire iranien, brandie par Ehud Olmert, n'a eu le "succès" souhaité pour drainer les dons espérés pour compenser le grand trou émanant de la guerre contre le Hezbollah. Instabilité et shekel Si la monnaie israélienne a résisté tout le long de cette guerre, il n'est pas certain qu'elle continuera à le faire si l'instabilité politique s'installe ; et, si les pressions visant à renforcer les dépenses militaires et la réalisation des programmes sociaux se poursuivent. Selon les estimations des experts de la région d'Europe, du Moyen-Orient et d'Afrique auprès de la banque HSBC, le recul constaté au niveau des indices macroéconomiques aura tôt ou tard des effets sur le shekel. De plus, les révisions stratégiques qui s'imposent devraient elles aussi rendre difficile la poursuite des réformes financières. Ces mêmes experts qui s'intéressent au marché financier israélien ne sont pas certains que les investissements directs étrangers, une des principales mamelles de l'économie israélienne suivront le même rythme d'avant juin 2006 poussant le taux de change du shekel à 4,40 contre le $. Par ailleurs, le léger excédent budgétaire attendu à la fin de l'exercice en cours sera remplacé par un déficit de l'ordre de 3% par rapport au PIB global. Chez la banque israélienne Leumi, le shekel continuera sa courbe ascendante car les capitaux affluent toujours vers le marché financier ; d'autant que la monnaie nationale a toujours gardé sa souplesse et la confiance des déposants et des investisseurs. Pour preuve, il n'y a pas eu une fuite de capitaux durant la guerre. Quoi qu'il en soit, l'économie israélienne n'est pas sortie indemne de cette guerre contre le Hezbollah. Celle-ci a dévoilé ses faiblesses aussi bien au niveau de la gestion qu'au niveau social. Les acrobaties effectuées par Ehud Olmert en matière de dépenses n'auront pas de fortes chances de sauver son avenir politique. Car le compte à rebours ne fait que commencer. Les débats et les polémiques qui se déclencheront officiellement dans les semaines prochaines, mettront les politiques et les militaires au pouvoir sur la corde raide. Ce qui fera émerger sans doute les problèmes économiques et les scandales financiers qui dépasseront l'achat à prix "d'amis" par Olmert d'une résidence de luxe, ou la vente par le chef d'état-major, Dan Hallutz de ces actions en bourse de Tel-Aviv, à la veille de l'attaque de l'armée du Sud-Liban.