Ce qui s'est passé à Al Hoceima est inacceptable. C'est une horreur, il n'y a pas d'autres mots. L'émotion ressentie au travers de tout le pays est justifiée et doit être prise en compte, pour infléchir les politiques publiques, mettre en place les vraies réformes. Mais l'instrumentalisation de cette tragédie est encore inquiétante. Des drapeaux amazighs dans les les manifestations, des discours opposant le Rif non pas à l'Etat, mais à la Nation, cela est aussi inacceptable que la tragédie elle-même. Soyons rationnels. Depuis 15 ans, le Rif a reçu en investissements publics plus que toutes les autres régions, à l'exception de Rabat. On peut évaluer cette action, mais on ne peut pas la nier. Le discours d'Ajdir, prononcé au tout début du règne de Mohammed VI, a posé les jalons d'une réconciliation. Il faut être un fieffé menteur pour dire qu'aujourd'hui, il s'agit d'une région stigmatisée. D'ailleurs, le père de la victime, admirable de dignité malgré la douleur dévastatrice, met en garde contre toute atteinte à la stabilité du Maroc et rappelle que l'environnement régional est toujours inquiétant. C'est un discours qui démontre l'enracinement du patriotisme, de l'idée même de Nation, au-delà des tragédies. Le Maroc a connu, ces dernières années, à Benslimane, à Safi, à Laâyoune, à Beni-Mellal, des suicides, des immolations, de citoyens révoltés par l'inhumanité de l'Administration et de ses préposés. Ce n'est pas un problème rifain, mais un drame national. Or, la réforme de l'Administration est le monstre de Loch-Ness de la vie publique marocaine depuis 1962. Les gouvernements successifs y ont échoué. A l'heure où Benkirane est en train de reconstruire le puzzle gouvernemental, il est temps de lui demander des comptes sur ce terrain-là. Les Marocains sont plus revendicatifs, affichent leur exigence du respect de leur citoyenneté, c'est un fait, et il faut le saluer comme une avancée sociétale majeure. A l'inverse, les discours, les réformettes, n'ont amélioré ni l'image de l'Administration, ni sa réalité. Cette Administration refuse toujours de voir en le citoyen un usager du service public, qui paye ce service par ses impôts. De petits fonctionnaires sont convaincus qu'ils distribuent des privilèges, qu'ils sont omnipotents et que les citoyens doivent leur être reconnaissants. La « hogra » est partout. Celui qui veut légaliser un papier, qui fait la queue pendant des heures, alors que d'autres envoient leur chauffeur et règlent cela au bureau du Caïd en cinq minutes. Le malade bousculé alors qu'il fait sa pénitence, en attendant un médecin qui arrive quand cela lui chante. Les travailleurs, qui ne trouvent pas de bus, ont tous le sentiment de la « hogra ». Et cela fait beaucoup de mal aux citoyens. Le jeune Fikri, la victime d'Al Hoceima, voulait juste s'assurer un revenu, vivre dignement de son travail. Ils sont des millions à être dans cette situation. Abdelilah Benkirane n'a pas touché au chantier de la réforme de l'Administration qui est pourtant essentiel. Les postures politiciennes sont aujourd'hui caduques. La cohésion sociale, l'unité nationale, ont besoin d'une mise à plat qui remette l'Administration, toute l'Administration, au service du citoyen. C'est aux gouvernants d'y veiller. Le dernier discours royal au parlement a été très clair là-dessus et a mis la classe politique face à ses responsabilités. Que Benkirane et ses futurs ministres s'attellent à cette tâche, sinon, ils auront failli.