Une ambiance de plomb règne sur la frontière tuniso-libyenne. Fuir la guerre, les coups de canon, les frappes aériennes et la mort est le leitmotiv de ceux qui traversent le poste frontalier de Rass Jdir. Situé dans une plaine semi-désertique, à 580 km de Tunis et à 169 km de Tripoli, ce point de passage vous fait suffoquer de chaleur. Ce climat n'empêche cependant pas un flot incessant de véhicules de traverser la frontière pour gagner la paix en Tunisie. «Les personnes qui vivent en Libye attendent de voir comment les choses évoluent sur le terrain avant de décider de tout laisser et de partir. C'est ce qui explique la baisse du nombre de réfugiés qui passent par Rass jdir. Ils étaient 4000 par jour à traverser la frontière. Aujourd'hui, ils ne dépassent pas les 1000 par jour», observe un responsable tunisien rencontré au poste frontalier. La relative accalmie que connaît la frontière aujourd'hui (le 9 avril) ne rassure pas pour autant. Les développements sur le terrain n'augurent rien de bon. Sains, saufs et réfugiés Enfin sains et saufs, les ressortissants d'une multitude de pays se rassemblent dans les aires de repos du poste frontière pour reprendre leur souffle. Dans cette tour de Babel, le mandarin côtoie le bengali, l'anglais ou la darija. Exténués, les (ex) travailleurs étrangers en Libye pensent déjà aux moyens qu'ils peuvent emprunter pour regagner leur pays d'origine. Une bonne partie de ces personnes sera dirigée, par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), vers les camps installés le long de 7 km de la Route nationale 1. Pour les familles, elles sont installées dans le camp "5 étoiles" du Croissant rouge des Emirats. Une nouvelle vie commence pour eux, avec un nouveau statut, celui de réfugiés. En plus du HCR, des dizaines de structures tentent d'assurer un minimum de confort à cette population. Il s'agit d'une partie du système de l'ONU (l'UNICEF et le Programme alimentaire mondial) et des agences intergouvernementales comme l'Organisation internationale des migrants (OIM) ainsi que des ONG internationales (Médecins sans frontières, Islamic relief, Caritas…) et nationales (Croix rouge et Croissant rouge de plusieurs pays arabes et européens, Secours islamique France (SIF)). Choucha, «la ville» cosmopolite «Confiant en l'avenir», cette accroche publicitaire inscrite sur des panneaux d'affichage, en plein désert, nargue les réfugiés, transportés dans des autocars vers les camps. L'avenir, pour ces personnes, est inconnu, du moins à court terme. Arrivés au camp de Choucha, symbole de cette crise humanitaire, les réfugiés reçus ce jour-là attendent à l'entrée du camp pour être inscrits et affectés vers une tente. Samir, 31 ans, est Soudanais, et travaillait dans les chantiers de construction à Tripoli. «J'ai essayé de retarder la date de mon départ, mais la situation ne faisait qu'empirer en Libye», témoigne-t-il. D'autres réfugiés se préparent à quitter le camp. Ils ont refait leurs valises pour regagner leur pays d'origine. «C'est vraiment dur de vivre dans ces conditions. Je suis content de revenir enfin dans mon pays avec ma petite famille», se réjouit Mohamed, également originaire du Soudan. Depuis le 28 février 2011, date de la création du camp, les arrivées et les départs son incessants. Le 1er mars, aux pires moments de la crise humanitaire, le camp comptait 20.000 personnes. Après que la situation se soit «stabilisée» et que les réfugiés ont commencé à quitter le camp vers leurs pays d'origine, «le camp abrite encore 6000 personnes», affirme Firas Kayal, porte-parole du HCR à Choucha. Il est l'heure du déjeuner au camp. De (très) longues files d'attente se créent devant les tentes du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Secours islamique France (SIF), qui se chargent de servir le repas de midi. Au menu : du riz et quelques légumes. Chaque réfugié reçoit à peine 250 grammes de nourriture après une bonne heure d'attente ! Et gare aux retardataires. Lors de notre visite, plusieurs protesteront car ils n'ont pas reçu de déjeuner, malgré la longue attente. Même dans un camp de réfugiés, l'égalité n'est pas atteinte. Au lieu de faire la queue, d'autres préfèrent se payer des repas dans le resto payant du camp. Ces personnes se rabattent sur un souk informel créé aux alentours du camp. À l'origine de ce marché fourre-tout, des commerçants de Ben Guerdane qui subissent les conséquences de la guerre. Au bord de la RN1, c'est une grande surface à ciel ouvert où l'on peut acheter des portables, des puces téléphoniques, des vêtements, de la vaisselle… «On compense les pertes de ce conflit et on rend un service à nos frères africains», explique un des commerçants tunisiens. Petit hic, ces commerçants ont doublé et même triplé leurs tarifs, dans ce contexte de crise humanitaire. Quoi qu'il en soit, ce souk s'est transformé au fil des jours en l'unique lieu de villégiature pour des réfugiés, coincés au milieu du désert. Ainsi, le camp de Choucha est devenu une ville à part entière, avec ses installations sanitaires et un approvisionnement en eau potable de 45.000 litres par jour, «que nous sommes en train de renforcer, vu que la durée du camp devrait s'allonger», précise Bassem Saadalaoui, responsable au SIF. Cette ville de réfugiés est cosmopolite. Des races et des langues se côtoient dans une relative tolérance. Les habitants du camp organisent leurs fêtes religieuses ou nationales, à l'instar des Somaliens. Pour se divertir, des projections de films sont auto-organisées. Le camp compte même des «maisons de joie», des pratiques que les organisations responsables du camp tentent de contenir, au milieu de cet espace désertique. Bloqués par les guerres Un désert transformé en un camping forcé pour des milliers de personnes issues d'une dizaine de pays. Le camp de Choucha se compose de plusieurs rues, chaque artère se composant de tentes qui s'étendent à perte de vue, sur plusieurs hectares. Depuis ce matin, les résidents de ces lieux d'infortune commencent à les remplacer par d'autres tentes, plus résistantes au soleil de l'été qui approche, signe que le séjour des réfugiés dans ce camp risque de s'allonger plus que prévu… Abel est éthiopien, il est membre du Front de libération Oromo, groupe politique interdit dans son pays. Il avait fui son pays pour venir travailler en Libye et a passé deux semaines dans le camp. «Je ne sais pas ce que je vais devenir, il m'est impossible de revenir dans mon pays et tant qu'il y a la guerre en Libye, je perds ma seule source de revenu», s'inquiète-t-il. 2000 à 2500 personnes se retrouvent dans la même situation qu'Abel. Les ressortissants de pays en guerre ou qui connaissent des instabilités politiques comme la Côte d'Ivoire, l'Erythrée, la Somalie, la région du Darfour soudanais, l'Irak… ne peuvent pas être rapatriés chez eux. «On essaye de les installer dans un 3e pays, qui sera prêt à accueillir ces réfugiés politiques», précise F. Kayal du HCR. Pour l'heure, c'est l'évacuation qui est la priorité. 4000 réfugiés doivent être renvoyés vers leur pays. Aminatou est nigérienne, elle est mère d'un enfant de 4 ans. Elle s'impatiente pour rentrer chez elle à Niamey. «Chaque jour, on me promet que je vais quitter le camp, mais les responsables ne tiennent pas leurs promesses», remarque-t-elle, très en colère. Le HCR explique le retard pris dans l'opération d'évacuation par «le manque de fonds. Nous appelons la Communauté internationale à maintenir le soutien pour continuer cette opération», lance le porte-parole onusien avant de conclure en notant que «notre deuxième grande préoccupation, c'est l'afflux massif de réfugiés libyens vers la Tunisie». Ce pays vient d'accueillir en une semaine plus de 10.000 personnes fuyant une guerre qui s'allonge. Un nombre qui devrait doubler dans les jours à venir…