C'est un monsieur âgé qui se fait aider pour passer une chemise. Il transpire beaucoup. Il parait hébété. Sa femme se tient en silence, hirsute et prostrée sur un fauteuil de la chambre à coucher. La scène est intime et fait le tour du monde, transformant chacun en voyeur. La déchéance de Laurent Gbagbo et de son épouse, comme le symbole de leur chute. Première leçon médiatique : il n'y a pas de grand homme pour la télévision ! L'image fait honte aux Ivoiriens («cela fait pitié !») et bouleverse les partisans de l'ancien président. Mais elle masque la réalité de ce qu'a été la bataille d'Abidjan : une empoignade meurtrière et la plongée de 4 millions d'habitants dans le chaos. La gêne que suscitent ces quelques minutes diffusées par la télévision d'Alassane Ouattara cache l'essentiel : le président sortant… s'en sort bien ! Il aurait pu être tué dans les combats qui ont été acharnés pour la prise de sa résidence. Cinq des sept pick-up des Forces républicaines de la Cote d'Ivoire (FRCI) qui ont forcé le passage ont ainsi été détruits par les canons de 20mm que les troupes loyalistes avaient installé en batterie... Il aurait pu être victime de la justice expéditive des vainqueurs. On se souvient d'une autre vidéo qui a marqué les mémoires : Nicolas et Helena Ceaucescu jugés par un tribunal militaire autoproclamé pour génocide, condamnés à mort pour le massacre imaginaire de Timisoara et aussitôt collés au mur. En Roumanie comme en Côte d'Ivoire, une scène tournée pour dissuader les partisans les plus irréductibles du président déchu de s'entêter. Un film de propagande peut ainsi se retourner contre ses auteurs et servir en définitive la cause de l'ennemi vaincu : seconde leçon médiatique. Le règne d'Alassane Ouattara commence sous des auspices difficiles. Non seulement la reddition de Laurent Gbagbo ne signifie pas la réconciliation des Ivoiriens mais les conditions de son arrestation aggravent encore la fracture entre les partisans des deux bords. Il n'y a pas que l'aide de la France qui fait polémique ou les massacres commis dans l'ouest qui font scandale. Le traitement humiliant réservé à l'ancien président et les violences endurées par sa femme échappant de peu au lynchage confortent le mépris des habitants de la capitale qui considèrent les rebelles du Nord comme des canailles qui ne respectent rien. Mais d'un mal peut naitre un bien. En réclamant l'aide de la Cour Pénale internationale pour enquêter sur les crimes commis, en promettant la justice et en nommant une commission d'enquête, Alassane Ouattara a fait preuve de courage, de prudence et de lucidité. Dans la lutte d'influence qu'il va devoir mener pour restaurer l'état de droit et reconstruire la Cote d'ivoire («un grand pays en cinq ans !»), il aura besoin du soutien constant de la communauté internationale. La crise ivoirienne peut aussi servir d'exemple. Chacun sait désormais que même en Afrique, il n'y aura plus de petits massacres discrets ou de bourrage des urnes assuré de l'impunité. L'arrestation de Laurent Gbagbo est une leçon à tous ceux qui s'accrochent au pouvoir et parient sur l'impuissance des institutions du continent. Pour le meilleur comme pour le pire, la politique se fait désormais sous le regard de la communauté internationale et des médias en temps réel. Laurent Gbagbo nous aura accordé sa dernière interview. C'était la semaine dernière, autant dire un siècle. Les forces ennemies encerclaient sa Résidence. Il les croyait à la porte et il appelait du sous-sol. Retranché dans la cave avec sa famille. Bunkérisé, physiquement et moralement. Il faisait semblant de s'étonner que la France se serve de ses armes aux côtés de l'Onuci alors qu'un «simple litige électoral» l'opposait à Alassane Ouattar… Comme si Abidjan n'était pas livré au chaos depuis une semaine, après quatre mois de meurtres ciblés et de règlements de comptes ethniques. Il baignait dans le déni mais ne s'y est pas noyé : même au fond du trou, Laurent Gbagbo ne se voyait pas au bord de la tombe. Ses amis de la gauche française qui l'imaginaient se suicidant comme Allende, en plein bombardement du palais présidentiel en ont été pour leur frais. Il les a bernés. Il a préféré finir comme Bokassa, empereur ubuesque débarqué par les parachutistes français du même régiment d'infanterie de marine qui sert de colonne vertébrale à la force Licorne à l'œuvre à Abidjan… L'opération Barracuda remonte à trente ans et Laurent Gbagbo la connait par cœur ! A l'agonie de son règne, il aura joué à cache-cache avec la vérité et au poker menteur avec ses partisans. Sa consolation : que sa maison ait été bombardée par les hélicoptères de l'ancienne puissance coloniale. Les Français aux côtés de l'Onuci ont épaulé les forces d'A. Ouattara pour venir à bout du forcené. Laurent Gbagbo y voit la démonstration finale que Paris mène une guerre coloniale, par rebelles interposés : CQFD. Jusqu'au bout, jusque dans sa chambre d'hôtel, Laurent Gbagbo se sera posé en victime. C'est une satisfaction morale. Résister à un coup d'Etat et en même temps à une invasion étrangère, voilà une victoire à savourer, un triomphe à long terme. Orgueil de pyromane, convaincu que son départ ne suffira pas à ramener la paix en Côte d'Ivoire. C'est la malédiction que doivent conjurer les nouveaux dirigeants de la Cote d'Ivoire.