La guerre en Libye, comme un mirage. On voit passer des insurgés, ils font la guerre pied au plancher. Ils sont armés, ils sont pressés. Ils montent à l'assaut au milieu des caméras : ils prennent des poses héroïques. La canonnade donne le tempo, les râles des blessés soulèvent l'angoisse des combattants restés à l'arrière et le front évolue sans cesse. La révolution comme un spectacle permanent, avec les envoyés spéciaux des chaînes satellitaires qui se prennent pour des anciens combattants : «derrière moi, la guerre du désert…» A y regarder de plus près, on s'aperçoit que ces combattants anti-Kadhafi sont des manifestants déguisés en guerriers. Ils tirent en l'air davantage que sur l'ennemi. Ils n'obéissent à aucun état-major, ni à aucune règle militaire. Ils prennent des risques insensés et se prennent en photo. En face, les unités de l'armée libyenne s'accrochent au terrain tant qu'elles peuvent. Les villes qui tombent ne sont pas conquises, elles sont abandonnées par une troupe qui se replie. Ces soldats sont des professionnels. Il leur a suffi de quatre chars pour tenir Ajdabiya pendant une semaine. Eux aussi ont du courage à revendre. Il en faut pour endurer les raids aériens de la coalition. Ces bombardements ciblés sont d'une précision diabolique. Ils taillent en pièces les blindés et l'artillerie. L'acier est réduit en cendres, le soldat incinéré vivant. Après deux semaines de ce traitement et près de deux mille raids aériens, le cours de la bataille reste incertain. Le front court sur la route côtière, d'est en ouest. Les forces fidèles au régime et qui menaçaient de prendre Benghazi ont dû se replier jusqu'à Syrte, fief du clan Kadhafi. Au milieu d'une population qui leur est acquise, les troupes ont refait leurs forces et y ont préparé une nouvelle contre-offensive. En face, les rebelles se croyaient déjà sur la route de Tripoli. Ils ont souffert à leur tour de l'étirement des lignes logistiques : manque d'essence, de munitions, de vivres et de soins. Ils ont surtout attendu que les missiles de croisière et les bombes guidées nettoient le terrain devant eux. Manque de coordination ? Quand l'ennemi est revenu à la charge, la débandade a été totale. C'est ainsi que la Libye a réinventé la guerre en accordéon. Un mouvement de yoyo entre l'est et l'ouest qui a donné le tournis aux commentateurs. Des villes comme le terminal pétrolier de Ras-la-Nouf et Brega ont changé quatre fois de mains en quinze jours. Ce n'est pas un hasard si elles se trouvent à la couture de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine. Leur destin qui hésite est à l'image du pays. La guerre à mi-parcours, c'est le calcul que font aussi les ministres des Affaires étrangères qui avaient rendez-vous à Londres. Près d'une quarantaine de pays représentés, l'Union européenne en nombre et l'Union africaine quasi absente, la Ligue arabe représentée seulement par son ambassadeur et l'Otan en force, sans oublier l'Onu qui bénit cette assemblée irréprochable mais hétéroclite. Cette coalition était censée réfléchir à une sortie de crise. Programme ambitieux. Si chacun des 40 participants avait pris la parole trois minutes, le tour de table aurait duré une heure et demie…. Un groupe de contact d'une quinzaine de membres a été constitué. L'Otan commande désormais les opérations aériennes et maritimes mais ces ministres prétendent assurer le pilotage de la guerre. Autre illusion d'optique. Même réduit à quinze, cela fait beaucoup de monde dans le poste de pilotage. La «guerre humanitaire» que prévoyait la résolution 1973 peut être considérée comme une mission accomplie. In extremis, les civils de Benghazi ont été protégés de la vindicte, du «fleuve de sang» que leur promettait le tyran de Tripoli. La zone d'exclusion aérienne est en place. C'est assez pour ramener la paix, pour autant qu'on laisse les diplomates négocier le cessez-le-feu et les politiques travailler à la recherche des compromis nécessaires. Mais en la matière rien n'est prévu par la résolution de l'Onu. Et les pays membres de la coalition sont tentés de pousser leur avantage militaire, au risque de se laisser entraîner au-delà de ce qui était prévu. On entend David Cameron et Alain Juppé envisager à haute voix d'armer la rébellion alors que l'intervention est censée imposer un cessez-le-feu… Les Américains se sont pressés de transmettre le commandement de la guerre. Ils connaissent leur priorité, la situation dans les pays du Golfe. Ils ne veulent pas se laisser distraire davantage par un conflit qui ne menace aucun de leurs intérêts stratégiques majeurs. Ce n'est pas le cas des pays voisins et des Européens. Ils ont déjà à s'inquiéter que les terroristes d'AQMI aient profité du chaos pour récupérer une partie de l'arsenal trouvé dans les casernes libyennes, notamment des missiles sol-air. Il est temps que les politiques désignent des médiateurs et recherchent les conditions d'une réconciliation en Libye. En somme, le plus dur reste à faire.