Alors chaque gouvernement arrive avec son lot d'études, de consultations, de documents à ne plus en finir… sur la pertinence des PMEI, sur leur capacité à employer les diplômés marocains et surtout sur leur aptitude à l'innovation et, partant, à l'export. On n'a cessé de nous seriner encore les bienfaits de cette entreprise petite ou moyenne, industrielle ou de service. Raisonnement implacable. Rien ne manque, du plus grand au plus petit détail. On allait connaître l'âge d'or de la PMEI. La fédération de la PME est membre actif de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Le gouvernement «s'intéresse de près» aux PME. La coopération internationale leur accorde un «grand intérêt». Et pourtant, au vu du résultat, on se rend assez rapidement à l'évidence : il n'y a pas eu d'éclat. Rien n'émerge de ce flot de discours, de réunions, de communiqués tous aussi engagés et engageants les uns que les autres. Quand on a remis pied sur terre après ces envolées stratosphériques, on s'est retrouvé dans la situation de départ. Il y a eu, certes, quelques succès ici et là. Des succès dus à la ténacité de leurs initiateurs plutôt qu'à des circonstances propices à leur épanouissement. Pour créer une petite entreprise, il faut être patient et ne pas hésiter à mouiller sa chemise dans des courses d'obstacles exténuantes. La recherche du financement est un autre problème auquel très peu trouvent une solution entière et encourageante, malgré l'engagement de certaines institutions de financement. A une certaine époque, le Maroc a lancé le crédit Jeunes promoteurs. Qu'en est-il advenu ? Réussite ? Echec? Nul ne sait. Aucune évaluation n'a été faite pour pouvoir en juger. On sait néanmoins que l'échec était déjà dans la manière. Plusieurs crédits avaient été accordés, non pas en fonction de la viabilité du projet, mais pour des raisons familiales ou «d'intérêts bien compris». Les études avaient été bâclées, d'où le fort taux de mortalité des ces entreprises. Plus tard, on a créé l'Agence nationale de promotion de la petite et moyenne entreprise. On se demande encore aujourd'hui ce qu'elle fait et à quoi elle sert au juste, tellement ses résultats sont minimes. Les organismes qui ont été créés pour soutenir les PMEI n'ont pas obtenu de résultat fracassant à présenter aux citoyens. Ils sont gérés de manière opaque, ne laissant rien filtrer sur leur travail et leur gestion. Ainsi se perdent des ressources collectées sur le dos des contribuables et qui, eux, ne les ont pas collectées sans sueur. Dans le même temps, les grandes sociétés ont prospéré. Leurs capitaux ont augmenté de manière insolente et leur lobby s'est renforcé. Et les critiques adressées à la CGEM en tant que groupement qui ne voit que les intérêts des grandes entreprises sont toujours d'actualité. Aujourd'hui, après les manifestations du 20 février, citoyens et dirigeants ont compris que pour que le Maroc maintienne son exceptionnalité dans un monde changeant, il doit revoir sa façon de traiter les questions qui fâchent. Ce n'est pas en recrutant des milliers de diplômés dans les administrations publiques qu'on résoudra le problème du chômage. Ce ne sera qu'un report de ce fléau. Mais il y a tout de même un reproche majeur à faire aux concepteurs des programmes pour PMEI. Ils ne savent pas que le marchand ambulant est une entreprise, le taxi urbain, l'autocar de transport interurbain… Peuvent-ils au moins dire aux citoyens dont c'est un droit, combien d'agréments de transports circulent à l'heure actuelle et surtout qui les possède ? Pourront-ils faire la même chose avec toutes ces licences de pêches, ces autorisations d'exploitation de carrières… En tout cas, ils ne l'ont jamais fait et probablement qu'il leur faudra une sérieuse motivation pour le faire. Pourtant, c'est bien par là qu'il faudrait commencer. Et si les décideurs veulent créer de l'emploi, ils devraient d'abord commencer par un grand nettoyage de printemps, des pratiques tueuses d'emplois. Les dégâts de l'économie de rente Salaheddine Lemaizi «La rente est un système qui permet à un individu de disposer de revenus relativement fixes, et surtout sans risques», explique Azedine Akesbi, professeur d'économie au Centre d'orientation et de planification (COPE). Il scinde l'économie de rente en deux : «la rente la plus classique est la rente de monopole où une entreprise pratique un prix supérieur au prix du marché et profite de marges supérieures. On parle aussi de rente quand des ressources et des richesses minières sont accaparées par les agents membres ou proches de l'Etat qui la redistribuent à travers des réseaux de clientélisme.» Pieuvre de l'économie Au quotidien, la rente touche à plusieurs secteurs de l'économie. Transport, pêche, exploitation des carrières de sables ou des terres agricoles du domaine public, tous ces secteurs obéissent aux diktats des éternelles «grimates». Théoriquement, il existe des commissions ayant l'autorité d'examiner les demandes d'agréments, mais «l'accès à la liste des bénéficiaires relève du quasi-secret d'Etat. Au-delà des considérations sociales ou même économiques avancées, l'octroi des agréments s'inscrit dans le triple registre social, clientéliste et politique», analyse A. Akesbi. Les situations de rente sont également liées à des politiques sectorielles, comme la protection d'une industrie de la concurrence nationale ou étrangère. «La protection a alimenté des situations de rente, particulièrement dans le secteur secondaire. Dans ce contexte, la bourgeoisie a accumulé des richesses à l'ombre de l'Etat sans innover pour s'adapter aux lois de la concurrence», observe Hassan Zaoual, directeur d'un groupe de recherche à l'Université du Littoral Côte d'Opale en France. Mère de la corruption Première conséquence de la rente : la corruption systémique. 85e dans l'Indice de perception de la corruption de Transparency, le Maroc connait une corruption endémique. La domination d'une économie de rente n'arrange pas les choses. La mise en place du Conseil de la concurrence et de l'Instance centrale de la prévention de la corruption était censée cerner les privilèges et les abus. Plus de deux ans après leur création, ces deux structures consultatives n'arrivent pas à remplir pleinement leur mission. «Le Conseil ne jouit pas de pouvoir décisionnel et manque d'indépendance, ce qui l'empêche de jouer pleinement son rôle, à l'instar des autorités de la concurrence dans le monde», affirme Abdelali Benamor, président du Conseil de la concurrence. PME Les oubliées du système Hayat Kamal Idrissi Acteur majeur de l'économie nationale, les PME constituent plus de 92 % du tissu économique du Maroc. A l'instar des pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), les PME marocaines interviennent d'une manière primordiale dans la création d'emploi et dans le développement du pays. En 2002, ce secteur a employé 50 % des salariés du secteur privé tout en contribuant à hauteur de 31 % aux exportations marocaines et de 51 % aux investissements privés nationaux. Des chiffres plutôt positifs qui sont confirmés par les 40% de la production nationale que les PME représentent et qui contrastent avec leur faible taux de participation à la valeur ajoutée du pays. En effet, ce dernier ne dépasse guère les 10%. D'après la Fédération des PME affiliée à la CGEM, ces entreprises seraient présentes dans tous les secteurs d'activités économiques, à savoir l'industrie, l'artisanat, le BTP, le commerce et enfin les services englobant le tourisme, les communications, le transport et les services financiers. Ces derniers (commerce et services) s'accaparent la part du lion en concentrant plus de 72% des PME nationales. Potentiel en bémol Malgré cette forte présence sur la scène économique, la contribution des PME dans l'essor de l'économie nationale reste toutefois bien en dessous de leurs véritables potentialités. Une situation que les spécialistes expliquent par les différents handicaps qui entravent sa croissance. Pour commencer, la structure financière fragile des PME ne sert nullement leur évolution surtout avec le manque de transparence des comptes, la sous- bancarisation et les difficultés d'accès au financement. Ceci sans parler de la sous-capitalisation, du manque de transparence financière, de la faiblesse des structures managériales et enfin la très faible internationalisation des PME. Le mode de gestion familialiste adopté dans la majorité de ces entreprises n'arrange pas les choses et freine davantage leur croissance en générant une faible productivité. D'autre part, la forte centralisation du pouvoir décisionnel et le faible taux d'encadrement privent les PME d'un important moteur d'évolution à savoir la compétitivité. Fiscalité inadaptée Sur un autre registre, l'informel serait l'un des maux qui rongent les PME. Si la loi n'offre pas assez d'avantages aux PME pour les encourager dans leur démarche formelle, ces dernières se refugient dans l'illégalité. «Aujourd'hui, on constate que par sa rigidité et son taux élevé, l'impôt sur les sociétés par exemple constitue un élément règlementaire qui dissuade les entreprises du secteur informel de rallier la sphère officielle», écrit Mohamed Hdid, président de la commission Fiscalité, éditorialiste du Guide fiscal des PME, publié en mars 2010 par la CGEM. Grande question pour les PME nationales, l'adaptation de la fiscalité à cette catégorie précise est plus que jamais nécessaire. En tenant des bilans réels et bancables, les PME auront enfin accès à ces financements à la fois tant réclamés et tant décriés. D'ailleurs la CGEM a déjà proposé une révision de la fiscalité qui est axée sur la transformation de la taxation en investissement rentable et créateur d'emploi. «La révision du code fiscal des PME reviendrait à donner un coup d'épée dans l'eau.» Driss Benali, Economiste et professeur universitaire. Entretien réalisé par Hayat Kamal Idrissi L'Observateur du Maroc. Le climat économique marocain est-il favorable au développement des PME ? Driss Benali. Le climat économique est bien évidemment favorable au développement de cette catégorie d'entreprises, la preuve : elles constituent plus de 90 % du tissu économique national. Leur essor est toutefois tributaire d'une mise à niveau générale touchant leurs différentes composantes. Quels sont les freins au développement de la PME marocaine ? La PME souffre de nombreux déficits qui bloquent sa croissance et la cloisonnent dans son statut d' «entreprise Bou-chekkara». Les nombreuses défaillances au niveau du management en mal de modernisation altèrent toute la chaîne productive. Le capital humain représente également un point noir de ces structures. Préférant recruter une main-d'œuvre à coût faible, les patrons optent, par conséquent, pour une faible qualification. Cela engendre fatalement une faible productivité. Le développement technologique qui fait défaut handicape davantage la PME et réduit considérablement sa compétitivité sur le marché. Le salut de la PME passera évidement par une modernisation globale incluant le management, la gestion les ressources humaines, leur qualification et l'amélioration de la productivité. Quelle est la valeur ajoutée des programmes gouvernementaux d'appui aux PME tels Imtiaz et Moussanada ? La mise à niveau, qui a échoué, a donné lieu à ces programmes afin d'aider les PME dans la réalisation de la vision 2012. Mais l'amélioration des résultats ne passera pas forcément par ces programmes. Il y a une dizaine d'années, on prévoyait que le tiers des PME allait disparaître, le deuxième tiers serait reconverti. Quant au troisième tiers, le plus chanceux, il survivrait notamment grâce à sa capacité compétitive et à ses exportations. Aujourd'hui il n'en est rien. Toutefois, une chose est certaine, les programmes d'appui n'auront de valeur ajoutée que si les PME évoluent de l'intérieur en se modernisant. Le patronat ne cesse de réclamer une révision de la fiscalité appliquée aux PME. Est-ce là leur véritable mal ? La fiscalité n'est qu'un appoint. Pour améliorer la compétitivité des PME nationales, il faut obligatoirement passer par l'amélioration de la productivité et de la qualité. Ce qui nous emmène encore une fois au facteur humain et à l'équipement technologique adéquat. La révision du code fiscal des PME reviendrait à donner un coup d'épée dans l'eau. Pratiquer le «dumping fiscal» à l'irlandaise n'apportera pas grand- chose à la PME, si celle là ne propose pas une meilleure productivité, mais réduira considérablement l'assiette fiscale et c'est quasiment impraticable. Après les événements du 20 février, la CGEM a commencé à bouger. Comment percevez-vous cette prise de conscience ? Aura-t-elle un effet sur la croissance des PME ou est-ce juste conjoncturel ? La situation politique actuelle peut expliquer cette «prise de conscience» qui peut être conjoncturelle. Pour que ça s'inscrive dans la durabilité, il va falloir que les patrons assument leurs responsabilités… entièrement. Fini le temps des «patrons royaux», qui ne payent pas leurs impôts, qui trichent et qui, par la même occasion, ôtent à l'entreprise son caractère citoyen. En effet, la croissance de la PME est tributaire d'une meilleure gouvernance et d'une lutte acharnée contre la corruption. Sous la pression des différents lobbys, le gouvernement hésite à obliger le patronat à honorer ses engagements. Vu que la classe politique est fortement domestiquée, seul un contre-pouvoir comme les syndicats ou la société civile peut servir de contre poids dans cette équation. Etat d'urgence à la CGEM FATMA-ZOHRA JDILY L'heure est grave ! C'est en substance le message qu'a tenu à faire passer le patron des patrons, deux jours après sa nomination au Conseil économique et social. Le patronat décrète l'état d'urgence pour combattre le chômage. Ce mot d'ordre s'explique-t-il par les troubles sociaux qui secouent actuellement certains pays de la région? Si le débat sur la responsabilité sociale des entreprises est aujourd'hui omniprésent, cela s'explique par l'ampleur du chômage des jeunes diplômés dont le taux se situe à 17,4%, soit 8,4 points de plus que la moyenne nationale. Le double même ! Or quand le HCP déclare que le chômage est en baisse, il évite de mentionner que le taux de sous-emploi est en hausse. «Aujourd'hui, les jeunes veulent du concret et non plus des slogans récurrents. Et le concret, c'est la création d'emplois pour tout le monde», déclare Mohamed Horani, président de la Confédération générale des entreprises du Maroc. La grogne populaire du 20 février a remué l'élite économique marocaine et la Confédération estime qu'il est de son devoir d'analyser la situation, décrypter les événements qui se sont déroulés récemment et se positionner par rapport à ce qui s'est passé. D'où une sortie qui coïncide avec la marche du 20 février. La rencontre a eu lieu tout de suite après une réunion extraordinaire avec d'anciens présidents de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), des présidents de fédérations, des présidents d'institutions membres du CES… Il est temps… Dans le cadre de cette réunion, M. Horani a insisté sur le fait qu'il est temps de passer à la vitesse supérieure dans la prise de décisions et l'application des stratégies sectorielles, pour revitaliser le marché de l'emploi du Maroc. En clair, le patronat doit prendre ses responsabilités par rapport aux attentes des jeunes, qui sont au demeurant considérées légitimes par les membres de la CGEM. Pour rappel, la Confédération a déjà présenté une panoplie de 20 mesures susceptibles de favoriser l'emploi. Selon la vision CGEM 2020, il faudra créer 2,5 millions de postes d'ici 10 ans. «Nous avons déjà pris des rendez-vous avec les ministères des Affaires générales et économiques ainsi que de l'Emploi», annonce Jamal Belahrach, président de la Commission emploi/CGEM. Ces mesures, dont 6 au moins portent sur la formation, constitueront une plateforme de débat national autour des obstacles. L'objectif est d'aboutir dans deux mois au maximum à un pacte national pour l'emploi. Une véritable feuille de route qui devra être signée par le patronat, le gouvernement et les syndicats. Pourquoi la CGEM tourne le regard vers l'emploi ? D'après M. Horani, «aujourd'hui, nous avons un véritable paradoxe. Nous nous retrouvons avec des secteurs qui ont des emplois à offrir, mais qui ne trouvent pas les profils adéquats». Des opérateurs des secteurs du textile, des TIC ou encore de BTP ont d'ailleurs résumé la situation en une formule lapidaire : «nous n'avons pas un problème d'emploi mais d'adéquation». Pour réduire le fossé entre les profils et les besoins des entreprises, l'Etat aurait dû mettre en place un dispositif pour améliorer l'employabilité des jeunes. Mais ce n'est pas tout, M. Horani estime qu'il est primordial de renforcer les PME, créatrices de 60% des emplois au Maroc. Il propose de réserver à ces petites et moyennes entreprises 30% des marchés attribués aux grandes entreprises. Intégrées dans ces chaînes de valeur, les PME devront non seulement être en mesure d'intégrer les principes de la responsabilité sociale de l'entreprise, mais aussi d'en rendre compte de façon assez crédible. Tout cela est beau à dire ou à écrire mais les attentes des jeunes sont grandes et au rythme où vont les réformes et selon le mode de gouvernance adopté, il sera difficile de répondre aux besoins. Pour la dignité sociale D'abord pour créer 2,5 millions de postes d'ici dix ans il faudra réaliser un taux de croissance économique soutenu de 6,5% par an. Il faut dire que la création des emplois se trouve coincée dans un cercle vicieux. La problématique de l'emploi est liée à celle de la croissance, qui est elle-même liée à la problématique de la compétitivité de l'entreprise, au climat des affaires…. La stratégie de la CGEM vise à passer d'un PIB par habitant de 2.800 dollars à plus de 5.000 dollars à l'horizon 2020. Ce qui est un seuil pour atteindre «la dignité sociale», précise le patron des patrons. Or et selon les estimations actuelles, le taux de croissance prévu pour 2011 ne dépassera guère les 4%. Il y a déjà un rattrapage de 2,5% à opérer à ce niveau. Il est clair que les choses ne sont pas si simples. L'évolution économique de ces dernières années révèle une dépendance toujours aussi forte du PIB à la pluviométrie. «Au Maroc, gouverner c'est pleuvoi», disait Lyautey. Toute la question sera de découpler le PIB et le facteur climatique. Mais alors que les PME devraient participer pour 60% à la création d'emplois, elles sont confrontées à toutes sortes de contraintes, telles que les délais de paiement, la définition même de la PME, l'accès au financement, la formation continue, l'accès aux marchés publics…. Comment atteindre donc les objectifs de «dignité sociale» dans une économie qui dépend fortement de la pluviométrie et où les PME-PMI sont réduites à leur plus simple appareil? Il semble évident que la responsabilité n'incombe pas à la seule CGEM. Il s'agit d'une responsabilité collective qui incombe aussi bien au patronat et au gouvernement, qu'aux centrales syndicales.