Ces ‘' People'' reflètent un phénomène espagnol réel, celui d'un sentiment très mitigé envers le Maroc. Nos voisins du Nord vivent nos relations sur un fond d'histoire mal assumée. Pour eux, nous sommes les Maures, ceux-là mêmes qui ont occupé l'Andalousie et guerroyé durant des siècles. Des événements plus proches, tels que la guerre du Rif, la participation de Marocains à la guerre civile ou, plus proche encore, la Marche verte, ont laissé des traces dans l'inconscient collectif espagnol. L'affaire du Sahara n'est donc qu'un exutoire pour un sentiment de défiance profond. Dans les mêmes milieux on assiste à une tendance contradictoire, celle justement de la revalorisation du passé commun, de la partie mauresque de l'histoire de la péninsule ibérique. Ces sentiments sont une réalité avec laquelle il faut composer. Le contentieux autour de Sebta et Melilia les aiguise et l'on voit bien aux réactions démesurées des gouvernements espagnols, de gauche comme de droite, que la peur du Maure est vivace. Pourtant les relations entre les deux pays sont importantes, au point que la nouvelle patronne de la diplomatie espagnole leur a réservé sa première déclaration. A Madrid, les officiels soufflent le chaud et le froid, mais, responsabilité oblige, gardent en tête que le Maroc est un partenaire essentiel pour leur pays et ce à tous les niveaux. C'est dans ce contexte très contrasté qu'il faut appréhender la position anti-marocaine des ‘'People'' espagnols. On peut même y ajouter un sentiment de culpabilité vis-à-vis de l'histoire coloniale de l'Espagne. Nos voisins du Nord n'assument toujours pas leur histoire, c'est un fait. Que peut-on y faire ? En vérité, le champ d'action est réduit. Mais l'on peut considérer qu'une véritable coopération culturelle, mettant en valeur justement le passé commun, peut à terme réduire l'atavisme espagnol. Rappeler que l'Islam de Cordoue était une époque lumineuse, qui a servi l'humanité puisque la renaissance européenne s'est appuyée sur ses acquis, est un moyen de faire oublier la guerre. On peut aussi mettre en évidence les influences multiples dans les deux sens et les mettre au service d'une coopération plus dense. En fait, il faut mettre en place une vraie politique de reconquête de l'opinion publique espagnole. Cela passe aussi par le contrôle de l'émigration. Dossier épineux malgré les efforts reconnus du Maroc. La rue au service du polisario MOUNA IZDDINE ONG espagnoles, un lobby au service de Abdelaziz Elles sont près de 500 associations espagnoles, d'envergure locale, régionale ou nationale, à défendre «le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination et à la paix». Nées dans la «matrice madrilène» au milieu des années 70, au lendemain de la Marche Verte, avant de s'étendre aux communautés autonomes puis aux villes et aux villages, ces associations se font chaque jour plus nombreuses, plus riches et plus offensives. Et pour cause. En plus des dons grandissants des adhérents, hommes de la rue, politiciens et artistes célèbres, ces organisations, majoritairement de gauche, qui se clament non gouvernementales, savent qu'elles peuvent compter sur le soutien financier des autorités locales de chaque ville où elles siègent. Dans les 7% de budget annuel que consacre chaque municipalité espagnole aux causes dites humanitaire» ou de «coopération internationale», la plus grosse proportion va ainsi à Tindouf et dans les caisses de l'organisation de Mohamed Abdelaziz. Parmi les plus médiatiques et les plus influentes «associations d'amitié avec le peuple sahraoui» : SaharAcción, l'organisation canarienne instigatrice de l'épisode de l'aéroport de Laâyoune d'août 2010, Amigos del Sahara Libre, la Fédération étatique des institutions de solidarité avec le peuple sahraoui, sous la houlette du conseiller municipal canarien Carmelo Ramírez, ou encore Asociación de Mujeres Saharauis en España. Pour ne citer qu'elles. Plus qu'un mouvement de solidarité, c'est d'un véritable et puissant lobby de soutien au Front Polisario qu'il s'agit. A elle seule, la «Coordinadora Estatal de Asociaciones Solidarias con el Sáhara» (CEAS SAHARA) de José Taboada Valdés, créée en 1997, regroupe 400 associations pro-séparatistes qui envoient régulièrement nourriture, médicaments, vêtements et fournitures scolaires aux « 200.000 espagnols exilés de Tindouf», en plus de la tenue de festivals, foires, expositions et autres évènements «en faveur des populations sahraouie». Sans oublier les campagnes médiatiques incessantes et l'envoi tous les étés de près de 10.000 enfants de Tindouf dans des familles d'accueil espagnoles pour les grandes vacances. Offensive anti-marocaine et nouveaux porte-parole L'Espagne a clairement choisi son camp. Mais aujourd'hui, face à une opinion internationale et des gouvernements des puissances mondiales qui soutiennent quasi unanimement le projet marocain d'autonomie élargie, les défenseurs ibériques de la thèse séparatiste renforcent leur offensive anti-marocaine. Et ce en recrutant un nombre croissant d'artistes, comédiens, acteurs, chanteurs, peintres et autres hommes et femmes de scène dans ce qu'ils appellent «la lutte pour la décolonisation et l'indépendance du Sahara». Des «people» qui, souvent, sautent sur cette occasion en or pour se conférer en deux trois actions «humanitaire» une aura de «militant engagé». Dernière pièce de théâtre en date, le débarquement à l'aéroport de Laâyoune le 29 septembre 2010, de 74 activistes de l'intérieur et d'Espagne, munis de «drapeaux de la RASD». Tous venaient d'Alger (via Casablanca) où ils avaient assisté à une «conférence internationale sur le Sahara occidental» organisée par le «Comité national algérien de solidarité avec le peuple sahraoui» du 24 au 26 septembre à l'hôtel El Aurassi. Parmi les arrivants, Carmelo Ramírez et l'acteur espagnol Willy Toledo, qui accusera les officiers marocains de lui avoir fracturé le doigt d'une main avant de le laisser quitter l'aéroport. Une accusation démentie formellement par les concernés, qui affirment avoir traité les arrivants avec calme, courtoisie et avec les formalités d'usage, et ce en dépit des insultes et des provocations des activistes. Le comédien ibère aura échoué à obtenir l'effet médiatique «Carmen Roger» souhaité, du nom de la pro-polisarienne de SaharAcción, dont la face tuméfiée a fait le tour du web au lendemain de l'incident du samedi 28 août dernier. Et c'est le même Willy Toledo qui se fera le porte-fanion de «la flotille Mahfoud Ali Baiba», composée de 8 bateaux et de 150 activistes espagnols (acteurs associatifs, artistes et politiciens rassemblés au sein de «l'Observatoire des droits de l'homme pour le Sahara»), qui compte se rendre dans les provinces sahariennes depuis les Iles Canaries le 29 février 2011, jour anniversaire de la proclamation de la «RASD». Laâyoune, ou l'instrumentalisation d'une revendication sociale L'expédition arrivera-t-elle à distribuer ses vivres «aux populations sahraouies démunies» ou sera-t-elle bloquée par les Marocains avant son débarquement en terre ferme ? Quoi qu'il en soit, un fait est sûr : les récents évènements du campement de Laâyoune, avec la mort d'un adolescent de 14 ans, dimanche 24 octobre 2010, ont apporté de l'eau au moulin de la presse et des associations espagnoles précitées. Celles-ci se sont comme à l'accoutumée fait les fidèle échos d'un front séparatiste et de son mentor algérien prêts à l'instrumentalisation politique de n'importe quelle actualité sahraouie, fût-elle purement économique ou sociale. Vu du Maroc, cet acharnement médiatique espagnol teinté d'une subjectivité évidente agace, gouvernement marocain mais aussi «Marocains de l'intérieur» comme les surnomment les Sahraouis, qui ne comprennent pas la complicité de certains habitants des provinces du Sud avec cette propagande anti-marocaine. Alors que ce même Etat qu'ils qualifient d'«oppresseur» garantit aux sahraoui moult privilèges (aides au logement, à l'emploi, bourses d'études, entre autres), libertés de circulation et d'expression. Rue pro-polisarienne, gouvernement pro-marocain, double jeu Cette focalisation en étonne plus d'un. Qu'est ce qui explique en effet cet engouement passionné de la société civile espagnole pour un territoire sis à des milliers de kilomètres d'eau et de terre de la péninsule ibérique et qu'elle a quitté voilà près de 35 ans ? «La résonance de la question du Sahara auprès de l'opinion publique espagnole est relativement grande, une opinion publique par ailleurs un peu plus sensible que la classe politique qui n'aime pas trop ce sujet épineux. Seules les formations à gauche du PSOE (socialistes) déclarent leur soutien au Polisario et à ses sympathisants. C'est un sujet délicat de politique étrangère, peut-être même le plus sensible avec Cuba. A certains moments, la question sahraouie suscite encore plus d'intérêt comme quand, par exemple, Aminatou Haidar fait une grève de la faim sur le territoire espagnol. Il y a par ailleurs à peu près chaque année 9.000 enfants des camps de Tindouf qui passent deux mois de vacances dans toute l'Espagne. Cela crée des liens affectifs avec les familles d'accueil», nous dit Ignacio Cembrero, le journaliste «Maroc» d'El Païs. De son côté, Pablo Ignacio de Dalmases, historien, journaliste et ex-directeur de Radio Sahara, ne mâche pas ses mots : «En général, l'activité des corporations publiques, des gouvernements autonomes et locaux et des ONG espagnoles en faveur du peuple sahraoui tentent de compenser ce que ces dernières considèrent comme une indulgence incompréhensible du gouvernement central de Madrid envers le Maroc, perçu comme une force occupante. On n'a jamais vu un divorce aussi flagrant entre les actions du gouvernement d'un pays et l'opinion majoritaire de ses citoyens». Madrid, taxé par les séparatistes «d'hypocrite» prêt à accepter un plan d'autonomie marocain «légalisant l'occupation militaire des territoires sahraouis», joue en fait la carte de la prudence. Car même si José Luis Zapatero défend l'indépendance, jamais il ne pourra le faire à haute voix, tant il craint de s'attirer, entre autres, les foudres des opérateurs espagnols, deuxième présence économique étrangère au Maroc après les Français. Zapetero doit prêter pareillement l'oreille aux services anti-terroristes européens et américains, préoccupés par les connivences avérées entre le mouvement séparatiste et AQMI dans le ventre mou sahélien. Sa sortie médiatique, faite lors des évènements d'août dernier, est éloquente à ce sujet : «Un principe essentiel de la politique étrangère est de maintenir de bonnes relations avec un pays voisin comme le Maroc», avait de la sorte tempéré le chef du gouvernement socialiste. Acharnement médiatique, deux poids deux mesures Mais pourquoi ONGs, célébrités et «gauchistes» espagnols s'acharnent-ils à réclamer l'indépendance du Sahara alors que leur propre pays étouffe toute velléité de libération de ses communautés autonomes, Pays Basque et Catalogne? Mieux, comment le royaume d'Espagne parvient-il à maintenir aussi vivace la mémoire d'un conflit historique et de sa présence dans le royaume voisin près de 40 ans après le départ de son armée, alors qu'il s'évertue à effacer toute trace de sa sanglante guerre civile ? «L'identification de l'immense majorité des Espagnols au peuple sahraoui n'a rien à voir avec l'âge. Les jeunes Espagnols d'aujourd'hui, qui n'ont pas connu la Marche Verte, sont régulièrement tenus au courant de l'actualité grâce aux médias de leur pays, et savent que ces populations sahraouies vivent une offense permanente à leur liberté de détermination», rétorque Pablo Ignacio de Dalmases. Des médias espagnols «objectifs» qui n'ont d'ailleurs couvert que très timidement l'affaire Baltasar Garzon, suspendu de ses fonctions de juge d'instruction à l'Audience nationale, pour avoir tenté d'enquêter sur les crimes amnistiés du franquisme. Un mutisme surprenant face au tapage médiatique assourdissant autour des derniers évènements de Laâyoune ou du feuilleton Aminatou Haïdar, élevée au rang d'héroïne, de «Mandela du Sahara», alors même qu'aucun «démocrate» ou «humaniste» espagnol n'a pris la défense de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, impunément torturé dans les geôles du Polisario. Sahara, ou les remords d'anciens colons Mais il suffit de «fouine» un peu dans les archives de l'histoire commune des deux voisins pour connaître les raisons profondes de cette focalisation de l'Espagne autour de la question du Sahara : «A tort ou à raison, il y a une sorte de mauvaise conscience collective en Espagne car les Espagnols auraient abandonné, en 1975, le peuple sahraoui, qu'ils avaient colonisé, a un triste sort. Depuis, on essaye de réparer cela en l'aidant matériellement et en le soutenant politiquement», défend Ignacio Cembrero. Même son de cloche chez Pablo Ignacio de Dalmases, qui reprend cette idée de sentiment de «honte historique ressentie par les Espagnols en raison de leur départ précipité dudit territoire et de leur abandon de tout un peuple à un destin inconnu», ce même peuple qu'ils ont colonisé, lui inculquant leur langue, leurs valeurs et leurs coutumes. Ainsi, aux yeux de la majorité des Espagnols, la Marche Verte a été vécue, et continue à être véhiculée par les médias ibères, non comme une décolonisation, mais comme une «invasion opportuniste et illégale par 350 000 civils Marocains dépêchés par leur monarchie», d'une zone qui était déjà «en cours de libération». Pour les séparatistes espagnols, «il s'agit d'une occupation illégitime du Sahara par le Maroc, l'annexion prétendue dudit territoire n'ayant été reconnue par aucun pays, ni par l'ONU, ni par l'Unité Africaine, alors qu'en revanche, plus de 70 Etats ont reconnu la RASD». Rappelant que le Conseil de Sécurité de l'ONU avait stipulé en juin 1960, via la résolution 14-15, que le peuple sahraoui était en droit de mener un processus d'autodétermination», 40 ans plus tard, les pro-séparatistes espagnols restent accrochés à cette résolution. Répétant sans cesse que la seule solution au conflit est l'autodétermination des Sahraouis, sous les auspices de l'ONU, «ajournée sans justification depuis 1976». Une obstination telle que les acteurs civils et politiques d'un pays démocratique comme l'Espagne acceptent de s'allier à une organisation autocratique pour défendre leur thèse: «On ne peut pas falsifier l'histoire. En 1976, l'écrasante majorité des pays qui soutenaient le Polisario étaient sous le joug de l'Union Soviétique. Ce conflit est le dernier résidu de la Guerre Froide et du stalinisme sur toute la planète, instrumentalisé par une Algérie aux desseins hégémoniques», commente à ce propos Sadek Hajji, journaliste marocain indépendant et écrivain. Nul ne peut nier en effet le référentiel et les fondements marxistes-léninistes du Front Polisario. La Marche Verte, noir souvenir pour la gauche ibère Et si la fixation de la rue espagnole autour du Sahara cachait avant tout une «vendetta» idéologique? La question se pose quand on sait que les associations pro-séparatistes ibères sont majoritairement de gauche, et que la droite actuelle en Espagne est considérée par l'opposition comme une extension de la droite franquiste. Pour Nabil Driouch, journaliste marocain spécialiste de l'Espagne et des relations maroco-espagnoles, cela ne fait pas de doute : «j'ai longtemps été correspondant à Madrid et ce que je peux vous dire, c'est que la position pro séparatiste de l'homme de la rue et des ONG espagnoles n'est pas près de changer. Car les socialistes et communistes ibères n'ont jamais digéré le fait que Feu Hassan II organise la Marche Verte à un épisode décisif de l'Histoire de leur pays». En effet, les communistes espagnols et autres détracteurs intérieurs de Franco reprochent à la monarchie marocaine d'avoir sciemment choisi de lancer la Marche Verte dans une période de flou politique total en Espagne. Soit au moment même où, pressentant la mort prochaine du Général Franco, l'opposition mobilisait la rue contre l'armée et l'église pour un changement radical de régime en sa faveur après 40 ans de dictature. La Marche Verte a eu lieu le 6 novembre 1975. Le 11 novembre, le Maroc signait à Madrid l'accord tripartite avec l'Espagne et la Mauritanie. Le 20 novembre, Franco rendait l'âme. Le Maroc a ainsi récupéré en un court laps de temps ses territoires occupés par l'armée franquiste, laissant l'opposition en Espagne perturbée, affaiblie, pieds et poings liés par la succession de ces évènements (cf. interview Larbi Messari pages 32-33). Un épisode si douloureux et humiliant que l'Espagne démocratique du 3e millénaire continue à soutenir un mouvement marxiste radical, débris d'une Guerre Froide révolue, dans l'espoir fou de venger «son honneur bafoué». Le complexe du Maure, de la Reconquista à la Marche Verte «Ils ont pris le Sahara dans des circonstances exceptionnelles et illégitimes, mais jamais ils n'auront Ceuta et Melilla», se prennent parfois à ironiser certains politiques ou journalistes ibères: «il ne faut pas omettre le fait que la question du Sahara, au-delà de son aspect purement historique, sert aussi les intérêts stratégiques de l'Espagne, car plus le statu quo perdure dans cette région, plus le Maroc restera focalisé sur le Sahara, faisant passer au second plan les dossiers de Sebta et Melilla», clarifie Nabil Driouch. Mais le plus préoccupant pour les relations entre les deux pays, et les deux peuples, en dehors du dossier du Sahara, est que le Maroc constitue un réel «complexe historique» pour l'Espagne, car il a bouleversé à plusieurs reprises le cours de son Histoire. De la conquête de l'Andalousie, jusqu'à l'immigration massive des travailleurs marocains dans la péninsule ibérique, en passant par la défaite d'Anoual (1921), tous ces chapitres anciens ou contemporains ont inscrit dans la conscience collective des Espagnols l'image d'un «Maure» inquiétant, barbare belliqueux et envahisseur, porte-fanion d'un islam conquérant et hostile à la séculaire chrétienté en terre ibère. José Taboada, President du CEAS-Sahara, n'a-t-il pas tout récemment traité le Maroc d'«exportateur de terroristes» ? «Il faut vivre là-bas pour se rendre compte que des générations entières ont été élevées dans cette animosité envers ‘le voisin ennemi' et dans l'idée d'une supériorité supposée de l'Espagnol de souche. Et même dans l'Espagne plurielle d'aujourd'hui, on continue à célébrer la victoire d'Isabelle la Catholique dans les fêtes populaires en coupant symboliquement des têtes de soldats maures. Pis. L'expression «Hay Moros en la costa» (il y a des Maures sur la côte), et signifiant l'arrivée d'un danger imminent, est utilisée même dans les dessins animés pour enfants. Pour détruire cette image, il faudra des décennies», conclut Nabil Driouch. Pendant ce temps, le lobby des associations pro-séparatistes espagnoles, soutenues par les pétrodollars d'Alger, poursuit obstinément son travail de sape de l'image du Maroc. Dans les journaux, à la radio comme sur Internet, faisant rejoindre chaque jour de nouvelles personnes à la «cause» séparatiste, en Espagne et partout à travers le monde. Une guerre médiatique dans laquelle le Maroc, dont la voix est noyée dans cette vague de désinformations adverses, gagnerait grandement à affûter ses armes, pour rétablir la vérité, base nécessaire à une paix tant attendue. «L'Espagne trouve toujours un prétexte pour attaquer son voisin marocain» Mohamed Larbi Messari Ecrivain, journaliste et ancien ministre de la Communication. Auteur de « Maroc-Espagne: des relations difficiles » (Editions Almuzara, 2009). Propos recueillis par Mouna Izddine L'Observateur du Maroc. Quelle est la nature de la relation historique entre l'Espagne et le Sahara ? Mohamed Larbi Messari. C'est une relation classique entre une puissance européenne et une ancienne colonie. La colonisation du Sahara par l'Espagne entrait dans un processus d'occupation continue du territoire marocain. Après l'indépendance du Maroc, l'Espagne a voulu garder le Sahara après l'apparition de richesses naturelles dans cette même terre. Elle a par conséquent fait tout son possible pour contrarier le Maroc, et planifié dans les dernières années du colonialisme d'octroyer une fausse indépendance en s'appuyant sur l'aide de l'Algérie. Pays qui a présidé à une certaine période les pays Non alignés et l'Organisation de l'unité africaine, mais également le bloc des progressistes. En somme, l'Algérie des années 70 représentait une couverture dorée pour le projet de Franco. A quand remonte l'intérêt des Espagnols pour l'affaire du Sahara ? L'intérêt actuel des Espagnols remonte aux circonstances de l'après-Franco. La question du Sahara entre le Maroc et l'Espagne (avec la participation de la Mauritanie) a été réglée en novembre 1975, lorsque l'Espagne avait le choix entre bâtir un système démocratique qui remplacerait le système franquiste, ou se préoccuper d'un dossier colonial pouvant lui attirer des troubles. Il existait alors deux visions dans le bloc franquiste. Arias Navarro, le président, projetait de se débarrasser de ce dossier qui accablait l'Espagne aux yeux de la société internationale, et en même temps voulait faire en sorte que les intérêts espagnols au Maroc ne se détériorent pas, en accord avec ce dernier. D'un autre côté, il y avait le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Pedro Cortina Y Mauri, qui espérait que le règlement de cette affaire avec l'Algérie lui garantisse la conservation du Sahara, et ne voyait pas d'intérêt à s'allier au Maroc qui n'avait à ses yeux aucun poids sur le plan international. La vision de Navaro, des politiques entourant le prince (le futur roi Juan Carlos), ainsi que celle de tous ceux qui appelaient à un changement progressif, a triomphé. Et l'accord fut finalement conclu avec le Maroc. L'Espagne vivait alors des moments décisifs de son Histoire contemporaine. En quoi la question du Sahara a-t-elle influé sur cet épisode ? Le peuple espagnol connaissait des mouvements d'opposition divers, mais tous étaient d'accord pour un changement radical de régime. Le gouvernement et le prince étaient également du même avis. La première décision que ces derniers ont prise ensemble était un accord avec le Maroc pour se libérer du dossier du Sahara. Or, voyant à l'époque comme mauvais tout ce que faisait le gouvernement Arias Navarro, la rue réclamait l'abrogation de l'accord de Madrid concernant le Sahara. Après deux mois de cela, le prince a procédé à un remaniement gouvernemental, dans lequel il a nommé Conde De Motrico comme ministre des Affaires étrangères. La gronde de la rue l'a contraint à se ranger de son côté. Plus tard, quand le gouvernement du centre démocratique présidé par Adolfo Suarez s'est formé, il a de nouveau penché du côté du peuple. A cette époque et dans ces circonstances, il régnait en Espagne un intérêt pour le Sahara comme unique question pouvant fédérer toutes les parties. Et depuis, la question du Sahara est devenue un agitateur facile de la population dans les rendez-vous politiques espagnols. Pensez vous que les organisations de la société civile espagnole qui sont pour l'indépendance du Sahara marocain sont aidées financièrement par l'Algérie ? L'Algérie finance clairement ce courant. L'Espagne également accorde des sommes d'argent importantes, estimées à des millions d'euros, sous couvert de la société civile espagnole, pour financer des projets de développement dans des pays du tiers monde. Ainsi, dans le bulletin officiel espagnol datant du 17 août 2010, on lit que des sommes d'argent approchant les 845 millions d'euros ont été allouées à différents associations civiles en faveur de projets de développement à Tindouf. Selon le BO, cette somme a été utilisée notamment pour embaucher des jeunes dans un centre de production à Smara, et pour quelques autres projets de formation. Ces sommes ont en réalité profité également à des dirigeants du Polisario. Ainsi, des membres prêts à semer le trouble à l'intérieur du Maroc reçoivent cet argent public de l'Espagne, des ressources destinées normalement à des œuvres caritatives et de développement. Que peut faire le Maroc face à ce puissant lobby ? Attendre qu'il y ait une maturité politique de l'autre côté. Le Maroc devrait fournir des explications convaincantes concernant la situation au Sahara. Il devrait également éviter les fautes gratuites qui peuvent profiter aux adversaires. Il faut savoir en outre qu'il existe au sein de la société espagnole une animosité ancestrale envers le Maroc et les Marocains. En fait, l'Espagne, considérée depuis plus de cinq siècles comme un pays exportateur d'immigrants, vit sous une idéologie basée sur l'unicité de la langue et de la religion. La méfiance de l'étranger, dirigée principalement vers les Arabes, les Musulmans et les Africains, est enracinée dans la culture espagnole. Et le pays ibérique manifeste toutes ses frustrations latentes envers les Arabes, les Africains et les Musulmans, auprès du Maroc et des Marocains. Les agendas ibères sont ainsi remplis tout le long de l'année d'évènements qui mettent les Espagnols sur la défensive. Au printemps, des festivités folkloriques appelées « Moros Y Cristianos » sont organisées à travers toute l'Espagne. Leur principe est de montrer, à travers des spectacles symboliques où les Espagnols affrontent les Maures, que ces combats finissent généralement par une victoire des Cristianos sur les Moros. Ces spectacles sont tirés du vieux patrimoine ibère qui considère les Marocains comme responsables des huit siècles de colonisation de l'Espagne. Quelles sont les autres racines de ce ressentiment ? Avec l'été, reviennent les bateaux d'immigrés clandestins. Il existe une ligne éditoriale dans les rédactions espagnoles incitant à la publication de ces évènements, avec toujours en filigrane cette malveillance envers ces visiteurs non gratta en provenance du Maroc. Alors que la plupart des clandestins qui débarquent ces derniers temps en Espagne viennent de l'Algérie. Et, aux environs de septembre octobre, les tomates et les agrumes marocains mûrissent avant les fruits espagnols. Les producteurs espagnols de tomates et d'oranges attaquent alors les produits marocains parce qu'ils sont meilleurs, les associations professionnelles s'en prennent également au Maroc et demandent à Bruxelles de réduire les quotas d'entrée de ses produits. Puis, quand le délai de renouvellement de l'accord de pêche entre le Maroc et l'UE approche, des voix s'élèvent contre le Maroc, car les pêcheurs espagnols sont interdits de mers marocaines. Le Parti Socialiste en Andalousie s'aligne au mouvement pour s'attirer plus de voix électorales. Quant au Parti Populaire, il s'intéresse à la Galice, là où il puise ses voix lors des élections, surtout parmi les pêcheurs…Enfin, quand l'Espagne ne trouve aucun prétexte pour attaquer son voisin marocain, la presse ibère cherche à véhiculer l'image d'un Maroc de dictature, qui exporte du cannabis en Espagne, maltraite les femmes, agresse les homosexuels et interdit toute manifestation.