Français, Britanniques ou Allemands réagissent à l'unisson face à l'alerte terroriste déclenchée par les services Américains. La lecture des sondages révèle une forme de fatalisme des opinions publiques. Circuler en métro à Londres, malgré les détours qu'imposent les stations qui ferment le temps que les équipes de déminage fassent sauter les colis oubliés sur les quais par des passagers distraits, faire ses courses dans les grandes magasins parisiens où les vigiles sont de retour pour rassurer les clients en fouillant leurs sacs à mains, visiter les musées entre deux exercices d'évacuation : la vie de l'Européen est un entrainement au stoïcisme. On n'observe nulle part de débordement populaire. Il n'y a pas de tensions particulières entre communautés. La tension ne profite même pas aux gouvernements en place, en faisant oublier les problèmes de l'heure. En fait, l'Européen semble accoutumé à l'absurde, à la haine des fanatiques. Il sait qu'il vit sous la menace. Que la guerre est permanente comme l'info est continue. Après tout, le terrorisme moderne a été inventé à la fin des années 70, pendant les guerres du Liban. Notamment la prise d'otages ciblée et les carnages dans la foule anonyme à coup de voitures piégées. Trente ans après, toute une génération s'y est accoutumé. Mille fois montrés au journal télévisé, mis en scène dans les fictions, ces cauchemars sanglants sont une réalité contemporaine. Les touristes, toujours plus nombreux, connaissent désormais les précautions à prendre. Ils consultent les sites officiels qui donnent les conseils aux voyageurs. L'idée qu'on ne bronze pas impunément sur les plages des autres a été intégrée. Les ambassades ont appris à s'organiser pour faire face aux situations de crise. Les entreprises qui travaillent dans des zones à risques consacrent à la sécurité de leurs personnels un budget exponentiel. C'est une assurance, pas une garantie. Le Français qui dirigeait la filiale yéménite du groupe énergétique autrichien OMV, à Haddah, près de Sanaa avait sûrement lu les consignes du Quai d'Orsay qui recommande d'éviter le quartier de la capitale où se trouvent les ambassades américaine et britannique, les hôtels Sheraton et Movempick… Mais c'est dans l'enceinte de l'entreprise et par un garde recruté pour en protéger l'accès qu'il a été assassiné. Cet expatrié français a été trahi par celui qui devait le protéger. Areva a connu la même mésaventure au Niger. Une trahison parmi les gardes engagés pour contrôler le quartier où vivaient les sept expatriés enlevés. L'enquête que mènent les services spécialisés permettra sans doute de comprendre pourquoi la police nigérienne n'a pas donné l'alerte… Ces trahisons posent un problème qui dépasse les entreprises privées. Les Etats sont concernés. Dans le cas d'Areva, la France ne peut se désintéresser d'une activité stratégique comme les mines d'uranium. La menace bien réelle impose des réponses pragmatiques. Le Niger refuse que l'entreprise ait recours à des sociétés militaires privées, à la façon des Anglo-saxons. C'est son droit absolu, sa souveraineté. Mais on voit mal comment Areva pourrait faire revenir sur site le personnel expatrié qui est nécessaire à l'exploitation, sans un système de sécurité considérablement durci. Il faudra sans doute que les deux gouvernements s'entendent. Un détachement des forces spéciales françaises est déjà implanté en Mauritanie (avec des capacités de renseignement, des moyens héliportés, une force de réaction adaptée, etc.). Le Niger ne dispose pas de ce type de troupes. Les fournir couterait plus cher à la France que de payer des rançons mais cette coopération serait autrement plus efficace pour lutter contre l'ennemi commun.