Iran, Afghanistan, énergie Les Etats-Unis et la Russie cherchent désormais à préserver avant tout leurs intérêts mutuels Le final du roman d'espionnage rocambolesque qui vient de se dérouler entre la Russie et les Etats-Unis semble sorti tout droit de la guerre froide avec son échange de dix «espions russes» arrêtés aux Etats-Unis contre quatre espions détenus en Russie pour avoir fourni des informations secrètes à Washington. Comme en pleine guerre froide, l'échange a eu lieu à Vienne haut lieu de l'espionnage international depuis le XIX° siècle. Et il n'a même pas manqué dans le rôle de la James Bond Girl une rousse flamboyante de 28 ans …même si il s'est révélé que son profil de femme fatale sur Facebook était loin de la réalité ! Mais l'analogie avec la période de tensions et de confrontations idéologiques et politiques qui opposa les Etats-Unis et l'ex-Union Soviétique s'arrête là. Au contraire de ce qu'il s'est passé pendant quarante ans, de 1947 à 1991, il aura fallu moins de deux semaines après leur arrestation pour que les dix «espions russes» comparaissent devant la justice américaine, reconnaissent avoir collaboré avec les services secrets russes et soient expulsés vers Moscou. Côté russe, le premier échange d'espions avec les Etats-Unis depuis la Guerre froide était aussi mené tambour battant : le président Medvedev a accordé sa grâce quasi instantanément aux quatre détenus russes! Eviter toute crise On peut à raison penser que cette affaire ne menaçait pas, loin de là, les intérêts vitaux des Américains et des Russes. «La seule chose qui manque, c'est l'envoi effectif de secrets à Moscou», s'amuse ainsi le New-York Times en ironisant : «Leur tâche (des espions) était de collecter les potins du monde politique, même si cela aurait été bien plus efficace en surfant sur Internet». Son de cloche analogue à Moscou quoique plus amer. Le Moskovski Komsomolet s'étonne ainsi qu'on ait pu échanger «un soi disant groupe d'espions russes, dont l'amateurisme frise l'idiotie, avec des citoyens russes accusés d'espionnage et en abandonnant des agents plus valeureux emprisonnés aux Etats-Unis »! On comprend dès lors que le curriculum vitae des espions ne soit pas vraiment au c?ur de l'intrigue… En réalité, la seule véritable information de cette affaire, c'est l'affichage de la volonté des deux pays de la régler au plus vite et sans déclaration belliciste pour éviter toute crise susceptible de mettre en péril la récente amélioration de leurs relations. Car Washington a besoin de Moscou sur l'Iran, l'Afghanistan et le désarmement nucléaire, tandis que la Russie a un besoin absolu des Etats-Unis pour entrer à l'Organisation mondiale du commerce… Barack Obama l'a bien compris qui, dès son arrivée au pouvoir, tendait la main à Moscou. Il faut dire que l'annonce en novembre 2008 du déploiement de missiles russes dans l'enclave russe de Kaliningrad aux portes de l'UE à la frontière polonaise, avait refroidi l'euphorie de son élection. Dès juillet 2009, le chef de l'exécutif américain se rendait donc à Moscou pour amorcer un dégel des relations américano-russes et convaincre le Kremlin du bien fondé d'un nouveau traité Start pour limiter encore les arsenaux nucléaires russes et américains. Et, après des mois de négociations, Obama et Medvedeb signaient en avril 2010 à Prague le traité Start III visant à réduire dans les sept ans de 25 à 30% l'armement nucléaire des deux pays - qui détiennent plus …de 90% de cet armement dans le monde. Moscou durcit le ton… sans lâcher Téhéran Les dossiers régionaux sont aussi décisifs dans cette entente presque cordiale. Obama a obtenu du Kremlin l'autorisation de faire transiter par le territoire russe certains convois de logistique pour l'Afghanistan où les Américains intensifient leurs opérations contre les talibans. Washington et Moscou nourrissent en outre la même inquiétude sur le narcotrafic afghan qu'ils considèrent comme une menace internationale. Le durcissement de la Russie à l'égard de l'Iran, deux pays traditionnellement alliés, est également décisif pour les Américains. En juin dernier, Moscou a voté au Conseil de Sécurité en faveur d'une quatrième série de sanctions financières et militaires contre Téhéran en raison de son refus de suspendre son enrichissement d'uranium. Tout aussi important : pour la première fois, la Russie a évoqué en termes directs la menace sécuritaire de Téhéran. «L'Iran est proche d'avoir le potentiel pour créer une arme nucléaire», déclarait le 12 juillet Dmitri Medvedeb en précisant que «la partie iranienne ne se comportait pas de la meilleure des manières»… En réalité, la Russie n'oublie pas qu'elle se situe en première ligne géographique d'une menace nucléaire iranienne. Les Russes voient en outre d'un très mauvais ?il l'influence grandissante de l'Iran sur les mouvements islamistes du Caucase et des ex-républiques soviétiques. Cela ne signifie pas pour autant que les Russes soient prêts à «lâcher» un allié qui joue un rôle de contrepoids à la présence américaine en Asie Centrale. La preuve? La Russie, faisant fi des nouvelles sanctions qu'elle vient de voter contre la République Islamique, s'est proposée ce 14 juillet à «effectuer des livraisons de pétrole vers l'Iran, à condition toutefois qu'il y ait un intérêt commercial». Une manière aussi de positionner le géant pétrolier Gazprom qui entend participer au développement des gisements iraniens d'Azar et de Pars-Sud. Eviter que Moscou utilise l'arme du gaz contre l'Europe Reste que la prise de distance de la Russie avec le régime islamique a permis à Obama de relancer l'accord de coopération avec Moscou sur le nucléaire civil suspendu par l'administration Bush après l'intervention russe en Géorgie. «Le niveau et l'ampleur de la coopération russo-américaine sur l'Iran sont suffisants pour justifier de soumettre de nouveau ce projet d'accord au Congrès», écrivait le président américain au Congrès. Quitte à sacrifier la Georgie - «qui ne doit plus être considérée comme un obstacle à cette coopération sur le nucléaire civil» - à la zone d'influence russe ! Un an plus tôt, la Russie avait signé des contrats d'un milliard de dollars pour la livraison de 500 tonnes d'uranium aux Etats-Unis destiné à des centrales civiles. Dernier dossier d'intérêt commun entre Washington et Moscou : l'énergie. Les Russes ont grand besoin de la technologie américaine pour exploiter leurs ressources énergétiques, tandis que les Américains veulent éviter que la Russie - qui fournit 40% du gaz européen - utilise l'arme du gaz pour faire pression sur les Européens Face à ces intérêts géopolitiques, on comprend qu'un certain double langage russe pèse à peine plus qu'une histoire d'espionnage de troisième zone sur ce que Washington appelle joliment la «réinitialisation» de ses relations avec Moscou…