L'histoire pourrait n'être que surréaliste et triste pour la France et ses célèbres «Bleus». Le psychodrame qui s'est déroulé en Afrique du Sud devant les caméras de toutes les télévisions aurait pu continuer à n'être que la risée de la planète, ce qui est déjà grave s'agissant d'une Coupe du Monde. Et peu importe au fond l'enchaînement invraisemblable de tout ce qui a conduit à l'implosion en direct de l'équipe de France: chamailleries, égos surdimensionnés, expulsion d'Anelka, insultes de vestiaires, arrogance de l'entraîneur, démission, «grève» d'entraînement, règlements de compte, lâchetés grandes et petites rabâchés par tous les médias. Une situation que Bixente Lizarazu, un ex-joueur de l'équipe de France, résume cruellement: «J'ai l'impression de me promener dans un asile. Il est temps que l'avion se crashe»… Il ne manquait que l'intervention «sur demande de Nicolas Sarkozy» de Roselyne Bachelot, la ministre des Sports. Elle aura aussi frappé fort, genre maîtresse d'école moralisatrice réprimandant de mauvais élèves - les joueurs - «qui ont terni l'image de la France». Pas loin du très controversé entraîneur Raymond Domenech qui, à la veille du match du 22 juin où la France allait jouer son va tout, martelait que c'était «l'échec de l'équipe de France» sans souffler mot du sien! L'argent roi, c'est la planète foot Nul bien sûr ne songerait à dédouaner des joueurs faisant grève d'entraînement l'avant veille du fameux match pour protester contre l'expulsion d'un des leurs, Nicolas Anelka. L'attitude a de quoi choquer même dans une France adepte d'une pratique sociale bien particulière: faire grève avant toute négociation ! Mais là où le bât blesse, c'est que l'affaire a fini par prendre une tournure assez malsaine. Au fil des épisodes de ce psychodrame, les joueurs sont devenus les seuls boucs émissaires alors que le moins qu'on puisse dire, c'est que les responsabilités sont largement partagées entre entraîneur, Fédération Française de football et joueurs eux mêmes. Que reproche-t-on à ces derniers? D'abord d'avoir perdu tout sens des réalités à force de vivre dans un cocon ultra luxueux où ils gagnent trop d'argent, trop vite et trop jeunes. Trop riches donc pour s'intéresser à autre chose qu'à une vie facile, aux femmes - y compris rémunérées - et en tout cas pas assez «patriotes pour faire don de soi et représenter la France» dans une compétition de ce niveau. Vrai sans doute au moins en partie. Mais on regrette d'avoir peu entendu que c'est la planète foot, ses fabuleux contrats d'exclusivité, ses sponsors, ses gains pharamineux, les salaires indécents des «consultants» recrutés par les TV dans le vivier des ex-joueurs retraités, les transferts à prix d'or, qui génèrent l'argent-roi et des joueurs qui pètent les plombs. Joueurs et Nation française On aimerait aussi que cette dénonciation de richesses par trop indécentes ne surgisse pas des profondeurs d'un inconscient français qui abhorre l'argent et la richesse, héritage d'un catholicisme rigoureux mélangé aux vieux idéaux égalitaires de la Révolution française. En France, la richesse est toujours suspecte, même quand elle est le fruit d'un effort personnel ou de l'esprit d'entreprise. Dans ce pays où les élites continuent quasiment à vivre en cercle clos et où leur renouvellement reste un vœu pieux, la seule fortune finalement acceptable est celle dont on hérite. Alors comment accepter que des joueurs de foot presque tous originaires de milieux modestes et populaires «flambent» sans vergogne ? L'autre critique adressée aux «Bleus» a commencé à s'exprimer plus ouvertement. Et elle est infiniment plus perverse et choquante : les joueurs de l'équipe de France «ne représentent pas la nation française», sous entendu puisque la plupart d'entre eux sont noirs et/ou musulmans. Que Marine Le Pen du Front National affirme d'un air navré que «c'est ce que son parti a toujours dit» n'a surpris personne. Mais que des intellectuels ou des philosophes s'aventurent sur ce terrain est atterrant. Alain Finkielkraut est allé jusqu'à déclarer qu'«on est passé de la génération Zidane à la génération caillera» et que l'équipe de France n'est qu'une «bande de voyous milliardaires qui ne connaît que la morale de mafia» et «souffre de divisions ethniques et religieuses». Quelques députés de l'UMP, ainsi que François Bayrou, lui ont emboîté le pas, décrétant que «le refus de l'autorité manifesté par les joueurs est le reflet de ce qu'il se passe dans les banlieues françaises»! Procès idéologique à la banlieue Air frais et bon sens sont heureusement venus du député socialiste et ancien responsable de SOS Racisme, Julien Dray. Exaspéré que le débat «arrive sur ce terrain» et qu'on «fasse encore une fois le même procès : est-ce que l'équipe de France est trop métissée ? Est-ce qu'elle chante La Marseillaise?», il s'est écrié : «ça suffit, ce climat est très mauvais, on est en train de communautariser les choses». Même son de cloche du Conseil représentatif des associations noires qui s'insurge «du procès idéologique fait à la banlieue, à l'équipe de France de football et à la diversité française en général». Cette ambiance de lynchage médiatique des joueurs n'est pas seulement irresponsable et dangereuse dans un pays malade de son incapacité à intégrer ses minorités, à assumer son métissage et qui a trop tendance à chercher des boucs émissaires : noirs, musulmans, pauvres, bref différent. Elle est aussi d'une malhonnêteté accablante : alors que l'équipe nationale de football part en vrille en pleine Coupe et que cet échec était annoncé, elle balaye la responsabilité et le bilan catastrophique d'un Domenech contesté depuis des années pour son arrogance n'ayant d'égale que son amour de la provocation, sa propension à jouer les divas et à placer les mauvais joueurs aux mauvais postes. Elle dramatise des déclarations de vestiaire dans un pays dont le Président peut lancer «casse toi pauvre con» à un quidam ! Elle «zappe» aussi le bilan de la Fédération française de football et de son président qui ont maintenu Domenech contre vents et marées, y compris après le calamiteux Euro 2008 où les Français ont été éliminés au premier tour. Qui s'étonnera ensuite de l'élimination du football français, et pas seulement de ses joueurs, de la coupe 2010 ?