La richesse fascine. Le Qatar est le troisième exportateur mondial de gaz dont il partage le plus grand gisement au monde avec l'Iran. On l'appelle Northfields du côté qatari et South Pars du côté iranien. Pourtant ce minuscule pays du Golfe arabo-persique n'est pas le seul à être assis sur un matelas de pétrole et de gaz. Certes, celui-ci permet aux 200.000 Qataris sur le 1,4 million d'habitants du pays (les autres sont des Philippins, Sri Lankais, Egyptiens, Palestiniens, Libanais, Européens…) de bénéficier du PIB par tête le plus élevé au monde après le Liechtenstein. Mais là n'est pas l'originalité de ce dragon des sables. En dépit de sa richesse, le Qatar du cheikh Hamad al-Thani s'est longtemps senti fragile. D'un côté, son grand voisin saoudien cachait mal ses convoitises. Cette période s'est terminée avec l'arrivée au pouvoir à Riyad, du roi Abdallah. De l'autre, son puissant voisin iranien pouvait à chaque instant le mettre à mal. Aussi en matière de diplomatie, l'émir du Qatar s'est-il donné une règle : parler à tout le monde et devenir un pont entre les frères ennemis, voire le réconciliateur des causes apparemment perdues. Quitte à prendre parfois le contre-pied de la politique de son voisin saoudien et à provoquer son courroux. Ainsi, le petit Etat pragmatique – que ses adversaires qualifient d'opportuniste – a-t-il été le premier pays de la région à ouvrir des pourparlers avec Israël pour normaliser ses relations. En 2006, il finance largement la reconstruction du sud Liban après la guerre israélienne de l'été et permet à l'armée libanaise de s'offrir de nouveaux matériels militaires; plus tard, c'est lui qui impose un accord entre les parties libanaises, mettant un terme aux affrontements entre sunnites et chiites et permettant l'élection du président de la république. Un succès diplomatique qui lui coûte 2,3 milliards de dollars plus un avion offert à la Syrie en échange de sa neutralité. En 2007, la France bénéficie à son tour de ses largesses lorsque l'émir verse la rançon exigée par la Libye pour la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Parallèlement, inquiet de la puissance iranienne, le Qatar est le premier pays, en 2008, à inviter, avec l'aval de l'Arabie saoudite, le président Mahmoud Ahmadinejad à assister, à Doha, à la réunion du Conseil de coopération du Golfe (CGG). Une façon de contrebalancer la présence américaine dans le pays : le Qatar abrite le Centcom (commandement central des forces américaines au Moyen-Orient). Sagesse ? Duplicité ? Habileté politique, en fait. Sur la scène intérieure, le cheikh Hamad al-Thani joue aussi sur tous les registres. Il affiche son souci de moderniser le pays, permet à son épouse, la très politique et active cheikha Mouza de gérer la Fondation du Qatar dans laquelle six grandes universités américaines délivrent les mêmes diplômes qu'aux Etats-Unis, et ouvre des lieux de culte pour les chrétiens. Mais l'émir prend soin de vivre en bonne intelligence avec ses fondamentalistes dans ce pays où se pratique un islam rigoriste, le wahhabisme. En 1998, il crée Al-Jazeera en direction des populations arabes. La chaîne devient le poil à gratter des Américains et des régimes conservateurs de la région. On l'accuse d'être aux mains des islamistes. Pour le Qatar pro-occidental, c'est la meilleure des assurances-vie.