Comment faire d'un minuscule morceau de désert, un Etat qui compte sur la scène mondiale ? Demander la recette au Cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, émir du Qatar. Car le petit émirat est en passe de devenir un géant. Dans moins de trois ans, il fournira, à lui seul, 25% des importations mondiales de GNL (gaz naturel liquéfié). Enorme. Mais là n'est pas la seule corde à son arc. Le Qatar est sur tous les fronts. Au Liban, lorsqu'il faut réconcilier les frères ennemis du pouvoir et de l'opposition qui ne parviennent pas à s'entendre sur l'élection d'un président (accord de Doha) ; au Darfour pour mettre fin à la guerre; en Mauritanie pour trouver une issue au coup d'état; et même dans le Caucase où le Qatar a des intérêts Et encore n'est-ce là que les dernières manifestations de son activisme diplomatique. Pour le Qatar, c'est en fait le moyen de prendre une revanche sur ses grands voisins et d'assurer sa pérennité. Exister sur la scène mondiale était, il y a quelques années encore, une nécessité pour se mettre à l'abri des éventuels mauvais coups de ses voisins. L'Iran, sur son flanc nord, encore agité par les ultimes convulsions de sa révolution islamique; mais aussi, dans une moindre mesure, l'Arabie Saoudite qui l'a longtemps considéré comme un appendice de son grand royaume. En arrivant au pouvoir par un coup d'état de velours contre son père, en 1995, le Cheikh Hamad Al Thani, alors prince héritier, lance son pays dans plusieurs directions. La première: il construit une industrie de transformation du gaz. Le pétrole sera épuisé dans trente ans, mais le Qatar dispose de la troisième réserve de gaz après la Russie et l'Iran. Le jeune émir endette d'autant plus son minuscule pays que son père, réfugié en Suisse, a gardé le trésor de l'Etat. Le pari est réussi. Le Qatar dispose aujourd'hui de revenus gigantesques, fait surgir les tours de verre du désert et investit à l'étranger (dont au Maroc) dans de nombreux projets immobiliers et industriels. Le revenu annuel par tête des 250.000 Qatariotes avoisine les 400.000 dollars. Deuxième objectif: se faire connaître. Dès 1996, le Qatar lance Al-Jazeera. Une révolution. La chaîne, où la liberté de ton est évidente, devient rapidement le relais de l'opinion de la rue arabe. Elle mécontente certains régimes, dont le voisin saoudien et les Etats-Unis, qui la jugent trop critique à leur égard. Rapidement Al- Jazeera aura ce privilège de faire connaître le Qatar, de servir de paratonnerre vis-à-vis des islamistes et de jouer les bâtons de dynamite face au voisin saoudien. Doha en sort gagnant même si, au fil des années, la ligne éditoriale d'Al-Jazeera s'est «assagie» et que les relations avec l'Arabie Saoudite, en particulier depuis l'avènement du roi Abdallah, se sont normalisées. Riche, reconnu au niveau international, médiateur dans de nombreuses crises, le Qatar prépare l'après-hydrocarbures. Son nouveau pari: devenir le pôle d'excellence en matière d'éducation de toute la région. Sa meilleure ambassadrice: la Cheikha Mozah qui veut moderniser le pays. Son nouveau défi : la faiblesse de sa population. Il faut faire comprendre aux 250.000 Qatariotes que leurs héritiers ne pourront survivre dans une économie seulement rentière. Dans l'immédiat, le message passe mal.