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Louis Caprioli, Ancien responsable de la lutte antiterroriste en France à la Direction de la surveillance du territoire (DST) : «Des femmes pourraient devenir elles aussi des bombes humaines»
Grand connaisseur du travail de terrain dans le domaine de la lutte antiterroriste dont il avait la charge au sein des services secrets français, Louis Caprioli nous éclaire sur les nouveaux défis auxquels sont confrontés les services de renseignements. L'Observateur du Maroc : Que nous dit de nouveau l'attentat en Isère ? Que le danger est partout ? Louis Caprioli : Le danger est partout depuis des années. Donc on ne découvre pas cette menace terroriste, d'autant qu'elle est à nos portes, depuis la Syrie, l'Irak, la Libye, le Sahel,... Je rappelle que la France est engagée dans des opérations militaires en Irak et au Sahel... On se souvient de toutes les menaces qui ont été proférées contre la France par le porte-parole de Daech, Abu Mohammed al-Adnani dont celle-ci : «Il faut tuer les Français et les membres de la coalition, en leur jetant des pierres, en les étranglant, en leur coupant la gorge...». L'opération qui a eu lieu en Isère s'inscrit dans cette démarche «imposée» au futur terroriste. C'est-à-dire que par tous les moyens et où qu'il soit, il doit frapper. On a donc changé de dimension. Autrefois, la capitale était le symbole du pouvoir et était de ce fait la principale cible. Maintenant, les gens de la mouvance de Daech vont frapper là où ils veulent. Mohammed Merah, par exemple, lorsqu'il était au Pakistan, on lui avait demandé de commettre des attentats à Paris. Mais lui a refusé en répliquant : «Moi, je connais bien Toulouse et Montauban». Les terroristes commettent désormais des attentats dans des endroits qu'ils connaissent bien. Dans Inspire, la revue d'Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), on encourage aussi les actions des «loups solitaires». Depuis les attentats de janvier en France, les rapports parlementaires sur la lutte contre les filières djihadistes se multiplient. Ils pointent les difficultés de coordination des services, qui ont subi de nombreuses réformes ces dernières années. Selon un rapport du sénateur Jean-Pierre Sueur, publié en avril 2015, pas moins de 19 services sont impliqués dans la lutte antiterroriste. Y a t-il une bonne communication entre les services de renseignements français ? Pour moi, il y a trop de services comme le dit le rapport parlementaire! En 2014, on a créé la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Lorsque l'on crée une direction générale, cela veut dire qu'elle doit assumer les fonctions de tous les autres services. Or il y a pléthore de services ! On a créé le service central du renseignement territorial. C'est un service utile qui devait être maintenu pour travailler sur la petite et moyenne délinquance dans les cités et dans les banlieues. Mais en ce qui concerne la recherche de jihadistes, on devrait faire basculer l'ensemble de ces personnels auprès de la DGSI pour qu'il y ait une continuité du travail sur le terrain, jusqu'aux opérations d'interpellation, de recrutement, etc. J'estime que pour avoir des agents compétents et qui travaillent bien, ceux-ci doivent se retrouver pour élaborer la même stratégie et définir les mêmes objectifs. C'est ce qui permettra d'éviter la dispersion. Comme Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche et les frères Kouachi, Yassin Salhi était connu des services français de renseignement avant de passer à l'acte. Il faisait l'objet d'une fiche S (sûreté de l'Etat) pour « islam radical », de 2006 à 2008, délivrée par la Direction de la surveillance du territoire (DST). La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) l'a également suivi de 2011 à 2014, pour ses liens avec la « mouvance salafiste lyonnaise ». Peut-on parler d'une négligence des services de renseignements français ? Il existe des milliers de fiche S qui sont émises. La fiche S a une nomenclature qui va de 02 jusqu'à 15 ou 16. Le service qui contrôle doit simplement relever l'identité, le jour, le lieu où la personne a été contrôlée. Si c'est une fiche S 15 il va falloir le tenir à disposition du service émetteur. Donc vous avez à chaque fois une gradation. La fiche S 13 impose de faire fouiller les bagages en douanes et faire une copie des documents. Cela ne veut pas dire que des moyens d'investigations lourds sont mis en place : surveillance, écoutes téléphoniques, interceptions internet ainsi de suite. Une fiche S ne veut pas dire que l'individu fait l'objet d'une enquête. C'est simplement des instruments qui sont mis à la disposition des services pour dire qu'il faut notamment suivre cet individu dès lors qu'il se déplace. Cela signifie simplement qu'il y a tellement d'individus identifiés dans la mouvance salafiste qu'on ne peut pas tous les surveiller en permanence. La fiche S ne veut pas dire non plus que l'individu est impliqué dans le terrorisme. Pour en être certain, il faudrait surveiller tous les individus qui font l'objet d'une fiche S 24h sur 24, y compris en ce qui concerne les écoutes et internet. Comme cela est impossible, il y a un suivi sélectif grâce à la fiche S. Laquelle ne sert que quand la personne est contrôlée par la police et la gendarmerie lorsqu'elle quitte ou qu'elle rentre sur le territoire. Comment les services de renseignement s'adaptent-ils à ce nouveau genre de profil terroriste ? Il faudrait autant de fiches que de surveillance lourde 24h/24. Ce qu'il faudrait, c'est surveiller toute personne de la mouvance jihadistes qui commence à avoir des propos radicaux ou un changement de comportement. Mais c'est impossible ! Cela voudrait-il dire qu'il n'y a pas de solution ? Je vous ai juste expliqué le dilemme auquel sont confrontés les services face à un nombre considérable de personnes qu'il faudrait surveiller H24, 7 jours sur 7 pendant des mois. Quand vous prenez le cas de Salhi, il a attiré l'attention en 2004 et 2006. On lui a mis une fiche S en 2008, mais il ne va passer à l'action qu'en 2015. Le surveiller de 2004 à 2015 en permanence, c'était impossible ! Que pensez-vous de la nouvelle loi sur le renseignement ? Elle est utile dès lors que la personne qui ferait l'objectif d'une surveillance est déterminée. Cette loi permet alors d'utiliser tous les moyens légaux : entrer dans son appartement, le sonoriser, lui mettre des caméras, pénétrer dans sa voiture, la sonoriser et le suivre 24h sur 24. La surveillance d'internet permet aussi d'avoir une masse considérable d'informations dont des cibles potentiels à surveiller. Et c'est là la difficulté. Non seulement, il faut des ingénieurs, des traducteurs, des analystes et surtout, au vu du nombre d'individus qu'il faudra surveiller, des hommes de terrain. On saura certainement dans l'avenir si le système aura bien fonctionné. Combien faut-il d'hommes pour surveiller un jihadiste ? 18 personnes pour 24h. Il faut changer d'équipes tous les 5 à 10 jours et changer de véhicules. Changer de personnes est important car elles risquent d'être identifiées. Ce sont des groupes de 6 personnes pour 8 heures. Et normalement, dès lors que la cible entre en contact avec une autre personne, celui qui le surveille est obligé, normalement, d'assurer la surveillance de ce contact et de l'identifier pour savoir s'il a de l'intérêt. Vous imaginez, quand on identifie un individu, on peut avoir des dizaines de contacts. Voilà le défi auquel sont confrontés les services en France et dans le monde entier. Les réformes son arrivés à leur limite. Ce sont les effectifs qu'il faut augmenter et il faut mutualiser l'ensemble du personnel qui travaille pour éviter des doublons et faire des économies. Pour l'heure, on a une dispersion de l'information. Il faut impérativement que tout soit regroupé au sein d'un seul service. Les moyens de surveillances nécessitent en effet un effectif humain important. Les renforts annoncés par le Premier ministre sont-ils suffisants ? Je ne pense pas. Mais on fait avec les moyens financiers dont on dispose. Sauf que ces effectifs ne seront opérationnels que dans quelques mois alors que la menace est là, aujourd'hui et non pas dans 3 ou 6 mois. La difficulté c'est aussi de recruter des gens qui ont de la compétence, qui connaissent le terrain, qui ont déjà travaillé, qui savent bien de quoi il s'agit et non pas des gens qui sortent de l'école. Les métiers de recherche de renseignements, de sources, de surveillance, d'infiltration, ne se font pas avec des jeunes, mais avec des gens d'expérience dans ce milieu ! Au-delà de la surveillance, de quels moyens vont disposer les juges et les policiers pour interpeller les terroristes avant qu'ils ne passent à l'acte ? Dès lors que les services de renseignements ont suffisamment d'éléments qui permettent de dire que l'individu présente une menace, on balance aussitôt dans le judiciaire. On commence des écoutes judiciaires, des surveillances judiciaires et on va ouvrir une enquête préliminaire ou une information judiciaire. A partir de là, en accord avec le juge, on décidera si les individus qu'on surveille présentent un risque, si on a suffisamment d'éléments légaux pour établir leur dangerosité et si on a bien association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste. Quand on travaille au niveau des renseignements et du judiciaire sur des individus définis, à ce moment-là, ceux-ci ne vont pas échapper à la surveillance puisque l'on met les moyens pour les surveiller. Mais encore une fois, surveiller l'ensemble des individus 24h sur 24, ce n'est pas possible. Selon le ministère de l'Intérieur, «1.573 Français ou résidents en France sont recensés pour leur implication dans ces filières terroristes. 442 se trouvent sans doute actuellement en Syrie, 97 y sont morts. La plateforme d'appels permettant aux citoyens de signaler des cas de radicalisation a enregistré déjà plus de 2.600 signalements, 630 ont été jugés très sérieux et examinés par des services spécialisés». Qu'est-ce qui permet de débusquer un terroriste potentiel ? Maintenant il y a une loi qui permet d'interpeller les personnes qui se préparent à aller en Syrie ou en Irak, dès que les services ont suffisamment d'éléments. Certains prétendent être partis faire de l'humanitaire en Turquie et que ce n'est pas du terrorisme. Il faut donc établir que cet individu ment et qu'il est passé de l'autre côté de la frontière turque et qu'il a été dans une katiba ou dans une cellule, soit de Jabat Al-Nosra, soit de Daech. C'est aussi une difficulté de savoir ce que fait un individu en Syrie ou en Irak et de prouver qu'il a œuvré pour Daech. Mais comment les services doivent-ils agir pour mettre hors d'état de nuire un terroriste potentiel ? Encore une fois il y a une loi. Dès qu'un individu a acheté un billet d'avion et que l'on sait notamment, grâce aux écoutes, qu'il se prépare à partir en Syrie, on peut l'interpeller pour le mettre en garde à vue et effectuer des perquisitions sur ses téléphones. Généralement, ces individus sont fort soupçonneux et ont donc plusieurs téléphones portables qui pourraient ne pas être tous avoir été identifiés. La perquisition permet également d'avoir accès aux ordinateurs pour voir les sites qu'ils ont observés. Mais les terroristes ont souvent recours à des techniques de dissimulation dont celle de la Taqiya. Comment les démasquer dans ce cas ? Il faut les démasquer en amont parce que la Taqiya vient après que l'individu ait eu dans un premier temps des signes extérieurs de basculement : la barbe qui pousse, les pantalons qui s'arrêtent aux mollets,… Quand ils se préparent à mener des actions ou à rejoindre Daech, ils vont couper leur barbe. C'est là parfois un autre signe de radicalisation. Après, si un individu se rase la barbe et que pendant 6 mois il ne fait rien. A un moment donné, on peut prendre la décision de l'interpeller, mais avec peu d'éléments. C'est le cas de Mohamed Merah qui a été entendu par les services de police en février 2012, mais on le laisse tranquille. Ensuite, il a commis les attentats le mois suivant. Fin avril, le gouvernement annonçait que sur l'ensemble des 3786 signalements effectués pour dénoncer des dérives radicales, via le numéro vert et les démarches de proches auprès des commissariats, environ 40% des personnes concernées sont des converties, beaucoup sont mineurs et les filles représentent près de la moitié. La radicalisation des filles est-elle un nouvel élément et quelle est sa spécificité ? Je constate simplement que pour l'instant, on n'a pas trouvé de femmes qui ait commis d'attentat. Mais cela ne veut rien dire. Les femmes originaires du Caucase sont les plus dangereuses, ce n'est pas sans raisons qu'on les surnomme les veuves noires. Ce sont elles qui ont commis des attentats contre les intérêts russes aussi bien à Moscou que dans le sud de la Russie. Je n'écarte pas la possibilité que des femmes deviennent des terroristes. Pour l'instant, elles sont cantonnées au rôle d'épouses, mères. Elles font parfois du soutien logistique et surveille les autres femmes pour qu'elles respectent les principes de l'Etat islamique (EI). Mais demain, elles pourront devenir des bombes humaines. C'est déjà arrivé. Pour ce qui est du profil des femmes radicalisées, elles ont une interprétation de la religion telle qu'elle est prônée par l'EI et le besoin de fonder un foyer qui soit conforme à cette perception religieuse. Leur but est de donner naissance à des descendants qui seront de «très bons musulmans», selon bien entendu la perception que l'EI se fait de l'islam. Pour l'instant, ce sont des épouses et des mères, mais elles peuvent aussi défendre la communauté si elle est menacée. Certaines sont désireuses de porter la Kalachnikov et de faire des opérations «militaires». Toujours selon le gouvernement, de 3.000 à 5.000 Européens ont rejoint Daesh et ce chiffre pourrait bientôt atteindre 10.000. La France est-il le pays le plus touché par ce phénomène et comment y faire face ? Le problème c'est que les pays européens traitent la population potentiellement terroriste chacun en fonction de sa législation. Il n'y a pas de réponse européenne à cette question puisqu'il n y a pas de législation européenne antiterroriste. La lutte commune est donc impossible. C'est une illusion. Selon Manuel Valls, la menace terroriste sous laquelle vit la France s'inscrit désormais dans la durée. Serait-ce là un aveu d'échec ? Non, la guerre a été déclarée depuis les années 80. En 1979 quand les soviétiques sont entrés en Afghanistan, c'était l'une des phases du début du phénomène terrorisme. Lorsque le Président égyptien el-Saddt est assassiné en 1981, c'était une autre phase du début du phénomène terroriste. Cela a commencé aussi avec le mouvement de la jeunesse islamique au Maroc dans les années 70, avec le GIA algérien dans les années 90, avec le groupe de combattants tunisiens mais aussi libyens,... C'est une guerre qui a donc commencé il y a très longtemps et maintenant on réalise à peine qu'elle va durer. Quand elle a débuté il y a 30 ans, elle frappait ailleurs. Et même si la France a été touchée dans les années 90 par le terrorisme jihadistes, les gens pensaient malgré tout que c'était du passé. Ils se sont trompés Prison : Une machine à fabriquer des terroristes «Il est impératif que les moyens logistiques nécessaires soient mobilisés pour séparer les détenus des recruteurs pour le terrorisme. Les établissements pénitentiaires doivent être adaptés pour pouvoir gérer ce genre de situation. Il faut qu'il y ait un personnel formé pour assurer une surveillance adéquate des prisonniers. Il y a déjà trop de détenus par rapport au nombre de places disponibles. Dans les prisons, il y a des situations dégradantes sur le plan humain qui favorisent la radicalisation. Les personnes reconnues coupables dans le cadre d'association de malfaiteurs doivent purger une longue peine et la purger jusqu'au bout. Or ces gens sont condamnés à 3 ou 4 ans, sortent au bout d'un an et demi et ils sont radicalisés. On a créé ainsi une machine à fabriquer des terroristes. Il faut les isoler et les condamner à de lourdes peines sans qu'ils aient de contact avec les autres...