Dans cet entretien, Mustapha El Hhayat, président de l'Association marocaine pour la logistique (AMLOG) montre que le Maroc est totalement dépendant de l'étranger pour le transport maritime des marchandises et des passagers. Sa conclusion: La nécessité d'un nouvel équilibre entre ports et bateaux est devenue une priorité. L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le secteur du transport maritime dans le Royaume ? Mustapha El Khayat : Le Maroc est dans une dépendance totale vis-à-vis des transporteurs étrangers, au niveau des transports maritimes de marchandises et des passagers. Notre pays est passé d'une maîtrise presque totale des transports de passagers à une dépendance totale. Ce changement brutal est dû à la mauvaise politique maritime, depuis 2005, qui a sacrifié le secteur maritime en donnant la priorité absolue au domaine portuaire. Lequel est certes stratégique, mais à quoi servent des ports sans une maîtrise des navires ? Comme le dit un des responsables de Tanger Med : «Cela ne sert à rien de faire une belle infrastructure s'il n'y a pas de bateaux». Comment se fait-il que le Maroc est passé du statut de nation maritime à celui de pays entièrement dépendant des opérateurs étrangers? Le déclin de la flotte marocaine est dû à plusieurs variables : cessation, à partir de 1984, des aides de l'Etat au développement de la flotte sous pavillon national, concurrence acharnée sur les marchés maritimes, émergences des méga –carriers en nombre réduit qui envahissent les marchés traditionnels de la flotte marocaine, adhésion du Maroc aux Zones de Libre échange, etc. Cette situation est aussi due à la mauvaise gestion, au comportement de certains armateurs qui se sont intéressés au secteur maritime pendant la période des aides financières substantielles de l'Etat et du protectionnisme maritime, et qui sont sortis du secteur par la suite. Depuis, la flotte marocaine est entrée dans une crise profonde : diminution de la flotte en nombre et en tonnage, cessions et vente de navires appartenant à des armements, publics et privés, car non rentables, surdimensionnés ou vieux et qu'il fallait liquider dans le cadre de l'assainissement financier et de la restructuration des entreprises de transport maritime en difficulté ou en faillite. Le contrôle de la Comanav par CMA-CGM a marqué la liquidation de la flotte maritime marocaine et l'option pour un pays sans flotte. En gros, le Maroc a perdu la maîtrise de sa flotte à cause d'une politique maritime insuffisante, incohérente et sans vision stratégique ! Le Maroc a-t-il vraiment besoin d'une flotte sous son pavillon ? Cette question a été mise en avant dès 1998. Le Maroc ne devrait pas être considéré comme un pays purement chargeur et pourtant, on se contente de recourir à des transporteurs étrangers à coût de fret compétitif. Or la compétitivité des produits marocains sur les marchés étrangers reste dépendante d'une maîtrise de la chaîne logistique et donc des transports. Notons aussi que l'expérience acquise pendant plus de quarante ans dans le domaine maritime a permis de constituer un noyau de compétences qu'il serait regrettable de réduire à néant par une politique de libéralisation à outrance et de privatisation brutale et non mesurée. Une telle politique est contreproductive si elle se solde par la disparition irrémédiable du secteur maritime. Alors, comment le pays peut-il s'en sortir ? La maîtrise du secteur maritime ne peut être envisagée en dehors d'une politique économique clairvoyante et animée par une volonté de projet maritime consensuel. Pour construire une flotte marocaine sur des bases solides, il faut opter pour une stratégie qui combine les actions des armateurs et de l'Etat afin de les aider à s'adapter et à maîtriser les mécanismes du marché maritime, très complexes et fluctuants. L'Etat doit créer aussi une nouvelle Marine marchande nationale à l'écoute des opérateurs et un nouvel Observatoire national des transports maritimes pour permettre au Maroc de maîtriser la filière maritime dans toutes ses composantes. Le secteur maritime se développe dans des Etats solides et économiquement agressifs. Il ne peut être détaché d'une industrialisation en profondeur dans un univers complexe où plusieurs éléments sont interdépendants. Le Royaume ne peut envisager son avenir que par une maîtrise des industries innovantes parmi lesquelles la filière maritime constitue un segment industriel à maîtriser.