Il aura vécu en célébrant lamour et en se révoltant à tue tête. Si cet amour généraliste -sans être général- lui a fait tutoyer nos curs, cest la révolte dont il sest fait religion qui a marqué une certaine masse, mais certaine. Lauteur de «La Montagne» (1964), sympathisant communiste sans jamais en détenir le moindre maroquin, était, est, et restera lespiègle le mieux compris. Par son auditoire, mais aussi par ses censeurs. Son «il ny a pas de sujets tabous, on peut tout dire dans une chanson» lui a valu quelques interventions chirurgicales au temps où laudiovisuel français faisait son tri avant le déballage. Jean Ferrat, poète, compositeur et interprète, a toujours chanté en militant, milité en chantant. Ses coups de sang, ses revendications, son grand cur, sa nonchalante détermination , faisaient de cet incorrigible amoureux de lapaisement improbable lun des humanistes les plus rigoureux du siècle dernier. Rares sont ceux qui traduisent la dure vérité de leurs débuts en un champ daction pour que cesse linégalité, le mépris et la souffrance. Ferrat était parmi les personnes qui nont jamais oublié. Cest à notre tour de ne pas occulter son combat, mené jusquà son dernier souffle et contre sa propre maladie. Lorsquil décrète prématurément «la femme est lavenir de lhomme», lOccident, machiste récidiviste, opte pour un regard zoologique à lendroit du visionnaire dérangeant et décalé. Cest avec des mots simples et profonds que Ferrat a conquis son/notre monde en bouleversant lordre préétabli. Létudiant en chimie choisit finalement le poids du verbe à la fumée des entonnoirs. Lui dont le père est exterminé à Auschwitz, lui lorphelin à onze printemps. Lui qui grandit aux parfums enivrants de sa mère fleuriste, lui qui se rinçait les yeux devant les joailleries de son papa. Ferrat décide alors de se venger an apprivoisant cette arme redoutable quest la poésie, la chanson, lart. Sa tristesse enfouie le guide vers le jazz dont la version mère est (justement) le blues. Les débuts sont catastrophiques, mais Ferrat découvre Louis Aragon auquel il emprunte «Les Yeux dElsa» quil met en musique en 1956 pour André Claveau. Ferrat trimera encore, jusquen 1960 où il sort «La Môme». Ce qui, finalement, le grandit.