‘L'Europe a désormais les yeux rivés sur le parti de gauche radicale Podemos en Espagne, pressenti parmi les premières forces en intention de vote.' ‘Dossier préparé par Kawtar Firdaous et Barbara Cassado' Face aux politiques d'austérité économiques imposées ces dernières années par l'Union Européenne, depuis le début de la crise en 2008, l'Europe ne cesse de se radicaliser. La victoire historique de Syriza en Grèce, le 25 janvier dernier, partage désormais l'Europe entre ceux qui veulent poursuivre les politiques d'austérité menée par Bruxelles et la gauche européenne, qui gagne du terrain dans plusieurs pays, lassés de la dégradation de la situation économique, des politiques antisociales de la droite et du populisme d'extrême droite anti-immigrés et anti-euro du nord du continent; notamment au Portugal, en Irlande (montée de l'Anti-Austerity Alliance, une large alliance anticapitaliste lancée en 2014) et en Espagne secouée par la montée fulgurante de Podemos. Selon les derniers sondages du Centre d'études sociologiques (CIS), le parti de gauche radicale est donné parmi les premières forces en intention de vote, pour les législatives prévues en novembre 2015. Il obtiendrait 23,9% des suffrages, juste après les conservateurs du PP (Parti populaire, au pouvoir) avec 27,3%, devançant le Parti socialiste, PSOE, crédité de 22,2%. Le 31 janvier dernier, le parti a célébré son anniversaire en organisant une manifestation à la Puerta des Sol, l'épicentre des mobilisations sociales. Une marche pour le changement qui a rassemblé quelques 300 000 personnes. à un an des législatives, le parti qui se positionne comme une possible alternative à l'austérité parviendra t-il à changer la donne en Espagne ou serait-il contraint de renoncer à plusieurs de ses propositions radicales -comme l'abandon du non remboursement de la dette espagnole- en optant pour plus de pragmatisme ? Zoom sur Podemos Issu du mouvement des Indignés, né en mai 2011 à Madrid pour dénoncer les dérives de la haute finance, la corruption de l'éstablishment et l'austérité, Podemos (en français, Nous pouvons) a créé la surprise en mai 2014 en obtenant 1,2 million de voix et 5 députés aux élections européennes. Fondé il y a tout juste un an, en janvier 2014, le parti fait trembler l'Europe et son jeune leader, Pablo Iglesias, fait peur à la classe politique espagnole puisqu'il vient basculer l'échiquier politique du pays caractérisé le bipartisme depuis l'instauration de la démocratie. Antilibéral et anticapitaliste, l'homme refuse l'étiquette de l'extrême gauche et considère que la dignité du peuple est plus prioritaire que les marchés financiers : « Le changement en Espagne et en Europe viendra du sud, nous ne voulons pas être une colonie de l'Allemagne et du pouvoir financier ». Ce discours du peuple simple et émotif, contre la caste -en référence aux directions des grands partis-, séduit dans un pays frappé durement pas le chômage (24% des actifs) et scandalisé par la corruption, et ce, malgré le redémarrage de l'économie avec +1,4% de croissance du PIB en 2014. « La relance s'est faite à l'échelle macroéconomique, elle n'est pas encore perceptible par le citoyen lambda puisqu'elle n'a aucune incidence directe sur sa vie de tous les jours », rappelle Hilario Alfaro, Président du Forum entrepreneurial de Madrid. D'ailleurs, la majorité des personnes que nous avons interrogées nous ont affirmé vouloir voter Podemos, non pour des raisons idéologiques mais plutôt par rejet ou sanction face aux autres alternatives, sachant que 40% des sympathisants du parti viendraient du camp du parti socialiste PSOE. « Ce qui rend leur discours attractif, c'est l'indignation et le sentiment que le système ne répond plus aux attentes des gens, c'est pour cela qu'ils s'identifient à leur idéologie. Cela dit, ce sont des démagogues et des opportunistes qui savent exploiter la situation et il y a des chances pour que ça ne soit qu'un phénomène temporaire », analyse Luiz Gonzalo Diez, professeur à l'université Francisco de Vitoria de Madrid. D'ailleurs, les analystes politiques minimisent l'effet Syriza en Espagne en précisant que « les mesures prises par le nouveau parti grec sont absurdes, elles vont faire couler la Grèce et les résultats de leur gouvernement vont finir par décourager les gens, chose qui profitera au PP », note Javier Cervera Gil, professeur à l'Université Francisco de Vitoria de Madrid. « En plus de n'avoir aucune idée claire de ce qu'ils pensent ou ce qu'ils représentent. Ce qui est inquiétant chez Podemos, c'est ce sentiment de supériorité morale qu'ils ont d'être en possession de la vérité, d'une doctrine », précise Luiz Gonzalo. Et ce n'est pas un hasard si le leader du groupe, licencié en droit et enseignant de Sciences politiques à l'université Complutense de Madrid sait manier le verbe avec aisance. Très actif sur les réseaux sociaux, avec un compte twitter fort de 515 000 abonnés, il est devenu en l'espace de quelques mois une vraie star de la télévision grâce à son émission « La Tuerka » diffusée sur internet et la TNT : « Avant d'apparaître à la télévision, Pablo Iglesias était méconnu. Il a toujours contrôlé son image et l'image en politique est fondamentale. Il a même prétendu rompre avec sa petite amie parce qu'elle n'était pas sur la même longueur d'onde que lui sur le plan politique », explique Javier Cervera. Cela dit, s'il est connu pour être un fin stratège en communication, il devrait faire face aux attaques des médias qui ne cessent de le discréditer. D'abord, les importantes sommes d'argent reçues ces dernières années du régime Chavez alors qu'il était consultant des gouvernements vénézuélien et bolivien entre 2005 et 2009, puis le cas de Monedero, le numéro 3 de Podemos, accusé de fraude fiscale risquent de ternir l'image du parti qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Des propositions économiques « irréalistes » Taxé de vouloir calquer le modèle économique du Vénézuela, le parti a récemment modéré ses propositions qui s'inspirent du modèle du nord de l'Europe se référant au réformiste suédois Olof Palme et reprenant pour l'essentiel les recettes keynésiennes de la social-démocratie des années 60-70. Il n'empêche, le redressement de l'économie prévu dans le programme de Podemos est très critiqué par les économistes et les banquiers qui pointent du doigt les failles de plusieurs de ses propositions jugées irréalistes et inapplicables en Espagne. Ainsi, la hausse de la taxation des plus riches pousserait les riches à aller s'installer ailleurs, ce qui entraînera une baisse de la collecte et une augmentation de la fraude fiscale. Le durcissement des impôts sur les sociétés « incitera les entreprises à engager moins de personnel et les cotisations à la sécurité sociale continueront de pénaliser la création d'emplois », constate Hilario Alfaro, président du Forum entreprenarial de Madrid. L'instauration des 35 heures baisserait la production et poussera les entrepreneurs à licencier du personnel, l'augmentation de la retraite à 65 ans affecterait grandement la Sécurité sociale et envenimerait la situation vu le vieillissement de la population et les problèmes liés au paiement des pensions. La nationalisation des banques ne ferait qu'aggraver la corruption car c'est la compétitivité et les produits financiers de qualité qui incitent les gens à consommer plus. Enfin, l'annulation d'une partie de la dette « plongerait le pays dans le chaos car si l'Espagne cesse de payer la dette, dans les mois à venir, elle cessera de payer les fonctionnaires, les prestations sociales, les retraites... ». Politique étrangère Pour ce qui est de la politique étrangère et des relations avec leur voisinage, notamment le Maroc, les responsables du parti estiment pour l'heure, qu'elles ne font pas partie de leurs priorités. Ils déclarent vouloir maintenir des contacts bilatéraux avec le Maroc, pourtant, leur position concernant le Sahara risquent de créer des tensions entre les deux pays. Ceci étant, plusieurs observateurs minimisent l'impact des positions exprimées par Podemos et estiment que ce n'est qu'une surenchère électoraliste en perspective des prochaines législatives, en rappelant qu'en cas d'arrivée au pouvoir, il sera contraint de faire preuve de réalisme et de pragmatisme politique et réajusterait ses positions en fonction des intérêts espagnols au Maroc. « Les thèmes de Podemos sont utilisés plus comme un symbole et font partie de la propagande. Ils visent des électeurs très spécifiques : la gauche radicale et une partie importante de l'électorat espagnol d'origine marocaine », précise Luis Gonzalo. Pour ce qui est de l'impact sur les relations économiques maroco-espagnoles, les entrepreneurs affichent plus de réalisme et d'optimisme : « Je crois que Podemos maintiendrait de bonnes relations avec le Maroc. C'est dans l'intérêt de l'Espagne. Dans l'univers du textile par exemple, l'Espagne a tout à gagner puisque la tendance qui consistait à produire en Chine est révolue et les entreprises s'installent de plus en plus au Maroc », conclut Hilario Alfaro ✱