Victoire des Irakiens et défaite dAl Qaïda : sept ans après linvasion américaine de lIrak, le déroulement des deuxièmes élections législatives de laprès Saddam Hussein est de bon augure pour lavenir du pays. Quels que soient les résultats définitifs du scrutin du 7 mars - ils seront connus le 18 mars -, la coalition de gouvernement qui en sortira, le temps que prendra une vraie réconciliation, les soubresauts que connaîtra encore le pays, les Irakiens ont montré quils regardent désormais vers un avenir dont ils veulent être les principaux acteurs et quils veulent bâtir avec des moyens plus politiques que violents. Rien nétait pourtant acquis. «Quiconque ira voter sexposera à la colère de Dieu et aux armes des moudjahiddin», avait menacé Al Qaïda pour dissuader les 19 millions dinscrits de se rendre aux urnes. Un défi dautant plus lourd que, contrairement aux législatives de 2005, la sécurité de cette journée était entièrement aux mains des Irakiens, les Américains restant cette fois cantonnés dans leurs bases. Défi massif à Al Qaïda Dès la veille du scrutin, un avertissement tombait : trois attaques sanglantes lors du vote réservé aux soldats, aux policiers, aux malades hospitalisés et aux détenus. Au jour J, la nébuleuse terroriste multipliait les attaques dès louverture des bureaux de vote. Bilan: 38 morts au moins et plus de cent blessés. Cela na pas empêché les Irakiens de défier Al Qaïda en se rendant massivement aux urnes (62,4% de participation). Un courage salué par Washington, Londres et Paris, tandis que le Conseil de sécurité de l'ONU y voyait un «pas important» vers le renforcement de l'unité du pays. Autre point positif : toutes les communautés se sont mobilisées. A commencer par la minorité sunnite (24% de la population). Après avoir monopolisé le pouvoir sous Saddam, elle avait massivement boycotté le scrutin de 2005 pour contester la «nouvelle domination des chiites». Cette fois, soucieux de participer aux futures institutions, les sunnites ont voté. Dans les quatre provinces à dominante sunnite, la participation varie entre 57 et plus de 65%, alors quen 2005 elle tournait autour de moins de 1%! Au total, ils ont même voté davantage que les chiites (55% de participation moyenne avec des pointes de 64% à Mouthanna)! Quant au record de la mobilisation, il revient sans surprise aux régions kurdes Autre changement majeur : les Irakiens ne veulent visiblement plus de guerre de religion. Un gros effort a ainsi été fait pour «déconfessionnaliser» un minimum les listes. Listes non homogènes Les grandes coalitions semblent avoir compris que les affrontements sectaires faisaient planer une menace mortelle sur le pays : la partition. Un risque dautant plus grand que lIran, lArabie Saoudite et Al Qaïda ont beaucoup soufflé sur les cendres dune guerre civile larvée. Toutes les grandes coalitions ont donc présenté des candidats dautres confessions. A lexception des Kurdes qui entendent maintenir la plus large autonomie possible. De là à croire que le choix des électeurs na pas été déterminé par leur appartenance confessionnelle, il y a un gouffre infranchissable pour linstant. Car les divisions entre chiites et sunnites demeurent. Le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki - dont la liste semble être arrivée en tête - domine dans les régions chiites et son rival Iyad Allaoui chez les sunnites. Pour ne citer que cet exemple, à Sadr-city, faubourg chiite très pauvre de Bagdad, la liste des partis religieux chiites a été plébiscitée Mais on la constaté pendant toute la campagne : les candidats ont insisté avant tout sur lunité du pays, le rétablissement de sa sécurité et des services publics de base, eau et électricité. Tout se passe comme si les Irakiens avaient parfaitement pris la mesure des défis qui attendent les institutions qui sortiront des urnes : économie en ruine, corruption, chômage, paupérisation croissante, exploitation de leur pétrole Assumer la sécurité, défi majeur La stabilisation du pays et de ses institutions constitue un enjeu tout aussi décisif. Certes, la violence a diminué de manière spectaculaire ces dernières années. Mais le nouvel Etat irakien va devoir assumer la gestion de la sécurité alors que sa police et son armée sont soutenues à bout de bras par les Américains. Or dici la fin de lété, le retrait de leurs unités combattantes devrait ramener les effectifs à 50.000 «boys» environ (sur 96.000 aujourdhui). Quant au retrait total et définitif, il est programmé pour la fin 2011. Cela explique la prudence de Barack Obama qui, tout en saluant «la forte participation au scrutin» reconnaissait que «lIrak devra faire face à des jours très difficiles et quil y aura probablement plus de violences». En effet, la question kurde nest pas résolue. La répartition des revenus du pétrole entre les provinces et les différentes factions du pouvoir non plus. Dans limmédiat, il ne sera pas facile au Premier ministre sortant Nouri al-Maliki, arrivé en tête du scrutin du 7 mars, de trouver une majorité pour se maintenir à la tête du futur gouvernement. Les tractations risquent dêtre longues - «des mois», prédit le président américain - pour former une nouvelle coalition, voire pour sentendre sur un éventuel successeur de Nouri al-Maliki. Mais toutes ces difficultés doivent être vues à laune de ce quétait lIrak il y a sept ans - une dictature parmi les plus féroces - et depuis sept ans : un pays ravagé par les violences et les affrontements qui ont accompagné linvasion américaine. Aujourdhui, les élections ont été si populaires et ouvertes que personne nest en mesure de dire qui sera le premier ministre et quelle coalition sera formée ! Un espoir renaît. Il est extraordinairement ténu. Mais il suffit de se souvenir quen 2005 les candidats aux législatives ne se montraient pas par peur des représailles pour évaluer le chemin parcouru: un pas fragile mais réel vers lunité et la réconciliation du pays et vers plus de démocratie.