Des larmes, des rires, des prières, des cris... La Coupe du Monde qui vient de s'achever au Brésil avait tout pour en attester : le football est la nouvelle religion universelle et les footballeurs ses grands prêtres. On connaît les raisons de l'hystérie planétaire qui a drainé un million de Berlinois dans les rues pour accueillir leur équipe victorieuse : toutes les émotions humaines condensées et vécues en 90 minutes ; l'argent qui coule à flots ; une publicité souveraine où les sponsors prennent tout en main ; une FIFA dictatoriale dont le président doit être reçu comme un chef d'Etat ; une politisation qui reflète tensions et antagonismes et consolide le sentiment national au moment où la globalisation efface les identités nationales. La diffusion télévisée planétaire a fait le reste. Pression inhumaine Seulement voilà : l'effondrement de la cultissime seleçao brésilienne et, à moindre titre, l'échec de l'Argentine ont montré que le football reste un jeu. L'équipe brésilienne a payé son impréparation et les errements de son entraîneur Scolari si décrié que la presse nationale a réclamé son limogeage en titrant : « Le coach ? Quel coach ?». Quant à l'Allemagne, ce n'est pas un hasard si elle a fini par arracher la Coupe du Monde à l'Argentine. À défaut d'être très imaginative, son équipe était la meilleure. Efficace, organisée et rigoureuse. À l'image de l'économie allemande, serait-on tenté de dire. Mais ces considérations « techniques » n'expliquent pas tout. L'équipe fantôme brésilienne comme la très petite forme de Lionel Messi, le héros de son éternelle rivale argentine, témoignent d'un fait majeur : les joueurs ne sont que des hommes et ils peuvent craquer. Pas seulement parce que la star adulée du Brésil Neymar ou son défenseur David Luis, peuvent sangloter après l'humiliation face à l'Allemagne (7-1) ou que l'uruguayen Suarez a pu mordre un adversaire italien. Mais parce que le niveau de pression qui s'est exercé sur la seleçao ou sur Messi est inhumain. Gladiateurs avant leur dernier combat Comment des joueurs traumatisés, sifflés, après le calamiteux 7-1, vilipendés comme si ils étaient soudain responsables du rapport qualité (de la seleçao) -prix du Mondial, pouvaient-ils affronter sereinement la «petite finale» contre les Pays-Bas ? Qui plus est sans un Neymar blessé présenté comme l'homme providentiel portant la seleçao à bout de bras ? Comment, sans les tétaniser, sommer onze hommes de laver « l'honneur national » et de « rendre heureux » 200 millions de Brésiliens qui manquent souvent de raisons de l'être ? Les visages torturés des joueurs brandissant le maillot de Neymar, les yeux fermés de Thiago Silva hurlant plus que chantant l'hymne brésilien annonçaient que les psychologues appelés en renfort avant le match n'empêcheraient pas le désastre. Pas plus que la présence sur le banc de touche d'un Neymar vêtu d'un maillot brésilien signé par tous ses co-équipiers, ultime grigri pour des gladiateurs entrant dans l'arène livrer leur dernier combat. Messi décomposé Le cas Messi n'est pas moins emblématique. Après une prestation peu convaincante, le joueur le plus cher du monde se retrouvait lui aussi sacré homme providentiel devant sauver la patrie. Son anxiété, sa peur de l'échec face à une telle pression crevaient l'écran. Son visage décomposé, fermé en recevant le ballon d'or disait plus que tout l'incongruité de cette récompense, sa conscience de ne pas l'avoir forcément mérité et sa gêne d'être honoré devant ses coéquipiers défaits. Alors, vivent ces moments de vérité qui ramènent à une réalité balayée par l'absurde exaltation patriotique qui a transformé le Mondial en compétition entre nations, les équipes en armée garante de « la victoire ou la honte », variante footballistique de « victoria o muerte » : les joueurs ne sont pas des surhommes chargés de porter et de réaliser tous les rêves de la Nation. N'en déplaise à l'entraîneur allemand qui soufflait à Goetze – le butteur allemand victorieux – avant la finale : « Montre au monde que tu es meilleur que Messi » ❚