La prison semble être un milieu purement féminin ! Dès l'entrée de la prison locale d'Oukacha à Casablanca, nulle trace d'hommes. Seules des dizaines de femmes sont venues depuis des heures pour remettre le panier alimentaire aux membres d'un fils, d'un frère ou d'un père ou encore d'un proche en détention. Sous un soleil de plomb, elles subissent les brimades des employés de ce centre pénitencier. Passée l'impressionnante porte d'entrée, cette prison est dominée par les hommes. Dans cet univers carcéral, 300 femmes vivent à l'étroit. En détention provisoire Le jour de notre visite, elles sont soigneusement installées dans la salle des fêtes de la prison. Sous le regard intrusif des gardiennes, une dizaine de femmes de différents âges observent les visiteurs avec un mélange d'appréhension et de curiosité, Plusieurs d'entre d'elles sont marquées à jamais par ce passage par la case prison. Elles hésitent à se livrer. Latifa* a assassiné sa fille. Elle est toujours sonnée par son effroyable acte. Elle préfère se murer dans le silence. À côté d'elle, Hanane est poursuivie dans une affaire de moeurs. Elle non plus ne souhaite pas raconter son histoire. Plus loin, on remarque une étrangère : Emilie. Cette capverdienne ne parle que portugais et pourtant une alchimie s'est créée entre elle et les autres détenues. Non loin de là, d'autres prisonnières sont plus loquaces. Imane a 21 ans, elle est en détention provisoire depuis une année. « Je suis poursuivie dans une affaire de détournement de fonds d'un orphelinat à Casablanca. C'est injuste, je n'étais qu'une simple salariée. Les vrais coupables sont à l'extérieur », accuse-t-elle. Cette jeune étudiante encaisse le coup et essaye de s'adapter à sa « nouvelle vie ». « J'ai passé un nouveau bac cette année et je me suis faite de nouveau amies », se console-t-elle. Plus de la moitié des détenus femmes sont en détention provisoire. Amina est également dans cette situation. « Cela fait 6 mois que je suis en prison et mon procès n'a pas encore été ouvert. Je risque de passer plus de temps en prison que la peine que je pourrais écoper », craint-elle. La population carcérale en attente de l'instruction de son procès pose un sérieux problème de surpopulation. « Les prisons des femmes ne connaissent pas cette situation. Certains quartiers pour femmes sont utilisés à 10% de leur capacité. Et c'est tant mieux », précise Hadda Bekkach, directrice de la prison locale des femmes d'Oukacha. Autonomie Hadda Bekkach dirige, depuis août 2012, le premier centre pénitencier autonome dédié aux femmes. « Avec 36 fonctionnaires, dont 3 hommes, nous arrivons à assurer un programme complet à cette population précaire et fragile psychologiquement », explique cette dame de fer. « Les conditions de vie de ces femmes sont déplorables », constate un acteur associatif travaillant dans les centres pénitenciers. L'association Relais prison-société apporte son soutien aux femmes en situation de détention. « Avec la nouvelle réorganisation de la prison d'Oukacha, on note des améliorations dans la prison des femmes. Le quartier qui leur est réservé ne disposait pas de cabinet médical, aujourd'hui, les détenues peuvent accéder plus facilement aux soins », explique Fatna El Bouih, présidente de Relais prison-société. Pour cette militante de la réinsertion des prisonniers, « la difficulté des femmes en prison est également d'ordre psychologique. La femme subie une double violence. Elle est meurtrie par la privation de sa liberté et par le regard de la société ». Bébés en prison Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) dans son rapport sur la situation dans les prisons et les droits des détenus, paru en 2012, avait fait état de menaces et humiliations lors de leur inspection des femmes à la prison d'Ain Kadous à Fès. À la prison locale d'Al Houceima, les femmes sont privées de promenade quotidienne. « Le quartier réservé aux femmes n'est pas doté d'un espace dédié à la promenade », peut-on lire dans ce rapport accablant. À Oujda, une femme condamnée à mort vit dans un isolement complet. Pour le CNDH, « les femmes pâtissent davantage, pour des considérations d'ordre socioculturel, de traitements cruels et de comportements dégradants (insultes, humiliations), aussi bien dans les postes de police que dans les prisons », observe cette instance. Le conseil que préside Driss El Yazami donne l'exemple des détenues incarcérées pour des affaires de moeurs qui sont particulièrement visées par certaines surveillantes. Le CNDH s'inquiète également du sort des femmes enceintes ou accompagnées d'un bébé. Elles ne bénéficient d'aucun soutien et dépendent de l'aide humanitaire. L'espace qui leur est réservé dans plusieurs prisons est exigu. Les crèches qui pourraient accueillir ces bébés sont inexistantes. Le drame ultime de ces femmes est la séparation avec leurs enfants. « Les détenues sont contraintes d'abandonner leur progéniture à des tiers qui les exploitent dans certains cas dans la mendicité ou les placent dans des orphelinats », regrette le CNDH. Et d'ajouter : « Une problématique majeure se pose, à savoir l'absence d'un dispositif efficace de prise en charge de ces enfants ». *Pour préserver leur anonymat, le prénom des détenues ont été changés ❚