Sa victoire ne fait guère de doute. Recept Tayyip Erdogan, le despote éclairé turc, a toutes les chances d'être, en août prochain, le premier président de la république de Turquie élu au suffrage universel. Ses partisans – et les sondages – prédisent même qu'il sera élu au premier tour, le 10 août. Face à lui, ses deux rivaux ne font guère le poids. L'un est un intellectuel musulman moderne, professeur d'Histoire de 70 ans, au visage doux, barré de fines lunettes et d'une moustache blanche, Ekmeleddin Ihsanoglu. Il est le candidat des deux principaux partis d'opposition, le CHP, social-démocrate, kémaliste, et le parti de l'action nationaliste, MHP. Il est crédité de 30 à 35% des voix. L'autre, Selahettin Demitros, pro-kurde, remportera probablement moins de 10% des suffrages. Ainsi, Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre inoxydable depuis la victoire renouvelée de son parti, l'A KP (Justice et développement) en 2002, que chacun voyait au tapis après les émeutes qui ont secoué Istanbul puis les principales villes du pays au printemps 2013 dans la foulée des Printemps arabes, pourrait sortir renforcé des présidentielles. En mars dernier, les élections municipales avaient montré que l'électorat de l'AKP ne cessait de gonfler en dépit de la guerre déclarée au sein de la mouvance islamique entre le parti au pouvoir et la Confrérie soufie Gülen. L'AKP avait emporté 45% des voix contre 40% aux municipales de mars 2009. Un fait est notable dans ce début de campagne électorale pour la présidentielle. Dans cette Turquie qui est l'un des rares pays musulmans à posséder une constitution laïque – Erdogan essaie en vain de la détricoter – les deux grands candidats mettent en avant le drapeau de la religion. Rien de plus habituel pour Erdogan, islamiste légaliste qui aime comparer l'AKP aux partis démocrates-chrétiens européens, même si la comparaison est inexacte. Le 1er juillet, il émaillait son discours de candidature de nombreuses références à Dieu et aux grands conquérants de l'islam. Son électorat, la classe moyenne conservatrice et religieuse, est séduit par son côté autoritaire et son discours contre l'Occident et les élites turques. En face, Ekmeleddin Ihsanoglu, le poulain choisi par l'opposition pour renvoyer Recep Tayyip Erdogan cultiver ses roses, est lui aussi un musulman très pratiquant. C'est l'ex-président, peu connu, de l'Organisation de la conférence islamique. Ce choix montre la tendance vers plus de religiosité de la société turque. Il irrite fort les laïcs militants qui rappellent que la famille d'Ihsanoglu a quitté le pays en 1924 pour échapper à la laïcisation autoritaire de Kemal Atatürk et s'était installée au Caire où le père enseignait l'islam à l'université. Mais Ihsanoglu a un atout : c'est un esprit ouvert qui veut réconcilier les Turcs, mettre du baume sur une société à vif, secouée par les méthodes autoritaires d'Erdogan (il a voulu museler YouTube et Twitter et a dû reculer). Sauf que le discours modéré du vieux sage risque de ne pas être très audible à côté de celui du très charismatique Erdogan, personnage dopé par les difficultés, au bilan économique positif, excellent en campagne électorale et qui a fait de Vladimir Poutine, son héros et modèle en politique ❚