Ce n'est pas un hasard que l'intervention régulière de McKinsey, cabinet international d'origine américaine, suscite moult commentaires. Le dernier rapport réalisé par ce cabinet et portant sur le secteur immobilier au Maroc laisse s'interroger sur l'efficacité et/ou l'utilité de travaux facturés à plusieurs dizaines de millions de dirhams. Ladite étude a révélé des marges importantes des promoteurs immobiliers. Ainsi, cette marge serait de 30 à 50% dans le moyen standing et pourrait aller jusqu'à 40 à 100% pour le haut standing. Les promoteurs immobiliers fustigent le rapport McKinsey et Saïd Sekkat, secrétaire général de la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI), a contesté certaines données de cette étude. D'après lui, ce document devait porter sur un scénario de réponses relatives à la crise immobilière. «Je pense que quand on réalise une étude pareille, on doit s'intéresser plutôt aux principaux acteurs, notamment les investisseurs. Or les auteurs de l'étude n'ont contacté ni la fédération, ni les investisseurs pour demander leur avis sur le scénario. Du coup, on aboutit à cette question de marges. Pire, les auteurs ont révélé des marges sans préciser de quelles marges il s'agit. Ce scénario laisse poser des questions plutôt que de présenter des réponses. A ce titre, il existe une certaine méconnaissance de la situation actuelle du secteur», rétorque-t-il. S. Sekkat va encore plus loin. «Les promoteurs immobiliers ont découvert l'étude de McKinsey dans la presse. Ils n'ont pas eu de présentation officielle. Or les auteurs d'une étude devraient accomplir leur mission de consultation et se focaliser sur les questions les plus critiques et complexes. Leur intervention devrait être objective et claire», rappelle-t-il. Quant à Hammad Kassal, économiste et ex-vice président de la CGEM, il explique que l'équipe opérationnelle d'intervention composée de consultants n'est, en principe, que la partie visible de l'iceberg. Derrière, il doit y avoir une énorme activité de support qui sert à distiller et compiler les informations. S. Sekkat précise que bien avant le cabinet de McKinsey, la FNPI a signalé que la production d'unités de l'habitat social affiche un tassement avoisinant les 30% au premier semestre 2009 comparativement à la même période en 2008. Comme elle a évoqué un risque de ralentissement sur la dynamique de croissance qui se profile à moyen terme. Et ce n'est pas tout. Par rapport aux stratégies proposées par les experts de McKinsey, la FNPI note que certaines recommandations ont déjà été soulignées par la fédération. A savoir la relance soutenable de la croissance focalisée sur l'offre des segments de l'habitat social et intermédiaire, ou la constitution de réserves du foncier public dans les grandes agglomérations tout en ouvrant le foncier périphérique. La réaction de la fédération laisse supposer qu'une partie du rapport n'est qu'une copie des conclusions établies par la fédération. Contacté à ce sujet, Mourad Taoufiki, Partner à Mc Kinsey, signale que «McKinsey est tenu à un devoir de confidentialité absolue concernant ses missions, quels que soient les clients, privés ou publics». «Nous ne pouvons donc pas répondre à des questions concernant des travaux ou études clients», a-t-il lancé. Face à cette réaction, cette question reste posée : pourquoi c'est McKinsey et seulement McKinsey qui réalise la plupart des études pour le compte de l'Etat ? Que fait exactement McKinsey au Maroc ? Des plans dans le tiroir Installé au Maroc depuis 2004, le bureau casablancais de McKinsey, s'est imposé comme le bureau de conseil préféré de l'Etat marocain. Il a multiplié ses missions pour que de gros dossiers lui soient confiés. C'est ce cabinet qui est à l'origine du fameux plan Emergence, par exemple. Un plan qui a marqué le passage de l'équipe gouvernementale précédente. Il s'agit d'un rapport volumineux de 1800 pages. Il a été remis au gouvernement en lui proposant des formules pour accélérer la croissance sur les cinq prochaines années. Ledit plan devrait générer, sur les 10 prochaines années, 90 milliards de DH de PIB supplémentaires, aboutir à la création de 440.000 emplois et réduire de moitié le déficit commercial. Quel est le sort de ce plan émergence? Rappelons que 5 années après l'élaboration dudit plan, le diagnostic de la compétitivité du Maroc réalisé par la Banque mondiale montre que le pays est à la traîne. Ainsi le gouvernement a préparé un autre plan d'émergence. Mais avant la présentation de ce second plan, le gouvernement a-t-il tiré un bilan du premier ? Peut-on parler de l'échec du plan émergence n° 1 ? De toute façon, s'il s'agit d'un échec, les responsables du cabinet McKinsey le considèrent comme étant chose normale. Lors d'un entretien accordé à un confrère, ces responsables ont déclaré que « c'est normal, car le management et la stratégie ne sont pas des sciences exactes. Nous n'avons évidemment pas la boule de cristal dans un monde intrinsèquement incertain». Record Le secteur de l'agriculture est peut-être celui pour lequel le Maroc a réalisé un record d'études, notamment par le biais de la Banque mondiale. Soulami Anouar, responsable au bureau représentant la Banque mondiale à Rabat, déclare que la BM a toujours tenu à garder son statut de «partenaire» de la croissance du Maroc. Il ajoute que la Banque mondiale a toujours cité le Maroc parmi les pays en mutation qui devraient «poursuivre un plan d'action intégré ouvrant différentes voies de sortie de la pauvreté telles que le passage à une agriculture à haute valeur ajoutée, la décentralisation d'activités économiques non agricoles dans les espaces ruraux, et la fourniture d'une aide pour faciliter la sortie de l'agriculture». Tout cela, bien sûr, sur la base d'études d'experts de l'institution. Rappelons que bien avant l'élaboration du plan Maroc vert, la Banque mondiale a réalisé un rapport sur le secteur agricole au Maroc. De ce fait, le ministre de la Communication a déclaré lors d'une sortie médiatique que «les propositions du dernier rapport de la Banque sont conformes au programme du gouvernement qui en fait une référence». Cependant, l'élaboration du plan Maroc vert a été confiée au cabinet McKinsey. Certes, juger les résultats de ce plan serait difficile, mais Ahmed Ouayach, président de la Confédération marocaine de l'agriculture, a déclaré que le Maroc est un pays agricole qu'on le veuille ou non et a toutes les chances de faire valoir cet atout dans la région méditerranéenne. Pour lui, l'important c'est de tenir compte des spécificités et valoriser au mieux les potentialités et les marges de progrès pour faire face aux nouveaux enjeux tout en préservant les équilibres sociaux et économiques existants. Pour lui, le secteur de l'agriculture au Maroc ne doit pas être abordé selon une approche comptable. La mise à niveau de l'agriculture et du monde rural s'impose mais il ne s'agit pas de cloner le système européen ou américain... Il faut des solutions adaptées à la réalité nationale qui est caractérisée par le morcellement des propriétés, une population illettrée, âgée, pas formée... Les secteurs industriels et agricoles ne sont qu'un exemple parmi d'autres. Les études se suivent et... se ressemblent Rappelons que la question de la mise à niveau de l'économie nationale marocaine s'est posée avec acuité en 1996-97. Ce programme, en plus d'une multitude de rencontres, colloques, tables rondes, symposiums et autres, avait fait également l'objet de plusieurs études, évaluations, rapports... Pas plus tard qu'en juillet 2004, un groupe de consultants avait rendu un rapport d'évaluation suite à une étude commanditée par la CGEM dans le cadre du projet Unimed II financé par l'Union méditerranéenne des confédérations d'entreprises (UMCE). Les conclusions tirées alors sont aujourd'hui un vague souvenir. Peut-être a-t-on encore besoin d'une énième évaluation du cabinet McKinsey.