Fatema, 24 ans, mère de deux enfants 6 et 4 ans. Elle a été répudiée par son mari à la naissance de sa fille, après avoir supporté des années durant des abus de tout genre de la part son mari alcoolique. Victime de violence verbale, psychique et physique, elle succombe lorsque son ex mari lui enlève ses enfants et la prive de sa seule raison de vivre. Un soir, sa mère la retrouve dans leur petit jardin, pendue à un cerisier. Elle quitte cette vie comme elle l'a subite... en victime à une injustice insoutenable. Ahmed, 33 ans, il était selon les témoignages des habitants de son douar, un jeune homme sans histoires. Rangé, courtois, serviable et son sourire ne quittait pas ses lèvres... jusqu'au jour où il se transforme en une ombre de lui même. Il sombre dans la dépression, ne mange plus, dormait tout le temps ou pas dutout, ne parlait plus. Malgré une visite chez le guerrisseur du village et une autre chez un psychiatre à Tanger, son mal n'a fait que s'aggraver en le rongeant de l'intérieur comme une gangrène malfaisante. Un jour, sa mère le retrouve à l'aube, noyé dans sa sueur et le corps froid et sans âme. Il a mis fin à sa souffrance en prenant une énorme quantité de ses anti-dépresseurs. Chiffres alarmants Ce sont des récits tristes de vies fauchées dans la Province de Chefchouen et relatés par les auteurs de l'étude sur le suicide réalisée par Dr Mostapha Al Aouzi, Dr Abdourabbeh Al Bakhch et l'association des Amis de la sociologie en collaboration avec l'Agence pour la promotion et le développement du Nord (APDN). Des cas parmi des dizaines d'autres étudiés par les sociologues afin de déterminer les causes et les circonstances des suicides enregistrés dans cette région du Nord. A rappeler qu'au cours des sept dernières années, la région de Chefchaouen a connu une augmentation remarquable des cas de suicide par rapport à d'autres régions du Maroc, avec un total de 270 cas signalés (2021), notent les auteurs de l'étude. " Cependant, ces chiffres restent non officiels et imprécis. Il n'existe pas de statistiques officielles disponibles indiquant le taux précis de suicides au Maroc. Les seules données consultables proviennent de la Banque mondiale, montrant une diminution du taux de suicide de 9,9 en 2000 à 2,7 en 2019 ", précise-t-on dans cette étude. Pourquoi cette étude ? Cette dernière intervient alors dans un contexte marqué par la prise de conscience du danger de ce phénomène " qui reflète une situation critique et alimente une inquiétude croissante "; comme le précisent les auteurs. D'après ces derniers, " cette pathologie sociale urgente nécessite des efforts de recherche substantiels dans divers domaines de connaissances tels que la suicidologie (psychologie, sociologie, économie), pour améliorer notre compréhension de ce phénomène et développer des stratégies efficaces pour le prévenir ". Pour ce faire les auteurs de l'étude ont donc tenté de répondre à quatre questions centrales: Comment les conditions sociales et économiques difficiles conduisent-elles à des pensées ou à des actes suicidaires ? Quelles sont les conditions sociétales qui influent sur le phénomène du suicide ? Comment les facteurs personnels et sociaux se croisent-ils pour aboutir au suicide ? Et pourquoi la société marocaine échoue-t-elle à mettre en place des politiques et des stratégies pour contrôler et prévenir le phénomène du suicide? " Cette étude représente la première analyse approfondie de la corrélation entre les facteurs socio-économiques, psychologiques et les suicides dans la structure sociale spéciale de cette région " note-t-on dans l'étude. Une approche qui s'est par ailleurs basée sur l'étude de cas pour identifier les facteurs sous-jacents du suicide. Quant aux obstacles rencontrés, les auteurs de l'étude désignent la taille limitée de l'échantillon, la réticence de nombreuses familles de victimes à participer à la recherche et surtout la difficulté à définir l'échantillon en l'absence d'institutions officielles traitant le phénomène. Pauvreté et mal-être L'étude nous apprend ainsi que les facteurs psychologiques figurent parmi les principaux déclencheurs du suicide. Ils englobent divers troubles mentaux tels que la dépression sévère, les troubles bipolaires, le trouble post-partum et les complications liées à l'avortement. Au banc des accusés, l'on retrouve également les facteurs sociaux qui représentent des causes majeures du suicide. La violence domestique se présente comme un facteur déclencheur et favorisant qui a des effets psychologiques néfastes, en particulier sur les femmes. Vient ensuite la vulnérabilité socio-économique et la situation critique dans cette région. Les auteurs de l'étude font une mention spéciale de la détérioration de la culture du cannabis ces dernnières années et qui reste l'un des principaux fournisseurs d'emploi et de revenus dans cette province. Le chômage et la pauvreté constituent ainsi une forte pression psychologique pour les individus qu'ils soient hommes ou femmes. L'étude pointe du doigt le manque de sensibilisation à l'importance de la santé mentale. Identifié comme un facteur contribuant à l'émergence et à l'aggravation du phénomène du suicide, le mal être des populations est à prendre au sérieux. " De nombreux individus souffrant de troubles mentaux ne sont pas conscients de leurs problèmes et ne comprennent pas l'importance de l'intervention psychologique et du traitement ", argumentent les auteurs de l'étude. Recommandations En conslusion, l'étude présente quelques recommandations pour cerner le phénomène et limiter sa progression. Approfondir la recherche sur le suicide en impliquant des institutions scientifiques et gouvernementales, la création de cellules de soutien psychologique et social adaptées aux caractéristiques communautaires dans la région de Chefchaouen, mener des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes, des femmes et des enfants dans les écoles et ailleurs ainsi que l'implication active des acteurs de la société civile, des élus locaux et des médias dans ces efforts de sensibilisation. L'étude recommande également d'offrir des alternatives économiques fiables et adaptées à la région pour mieux lutter contre la vulnérabilité socio-économique. Aussi la création de cellules d'écoute pour les femmes victimes de violence conjugale avec à l'appui des mécanismes pour dénoncer les agresseurs et protéger les victimes.