«Collecte illégale de fonds» et «atteinte à la sûreté de l'Etat». C'est sous ces prétextes, fallacieux selon des avocats algériens, que le journaliste et patron de presse algérien Ihsane El Kadi vient d'être condamné à cinq ans de prison dont trois ans ferme par le tribunal de Sidi M'hamed (Alger). Son entreprise «Interface Médias», englobant les sites «Radio M» et «Maghreb Emergent», a été non seulement condamnée à 10 millions de dinars d'amende (1 dinar algérien = 0,075 DH marocain), mais le verdict édicte aussi sa dissolution et la confiscation de son matériel. Lors du procès qui a eu lieu dimanche dernier, le représentant du parquet avait requis, à l'encontre du journaliste algérien, 5 ans de prison ferme assortis de 700.000 dinars d'amende et de 5 ans d'interdiction d'exercer son activité. Les avocats d'Ihsane El-Kadi avaient décidé de boycotter le procès, dénonçant des atteintes à la présomption d'innocence et soulignant que les conditions d'un procès équitable n'étaient pas réunies, rapporte Le Monde. Le quotidien français souligne que le sort du journaliste est apparu scellé dès le 24 février 2023, lorsque le président algérien, Abdelmajid Tebboune, l'a accusé au cours d'un entretien à la télévision nationale, d'être un « khabardji », un terme infamant signifiant « indic » ou informateur de puissances étrangères. Au cours de cette même émission, ajoute la même source, le président algérien a confirmé qu'il était à l'origine de la fermeture et de la mise sous scellés de Radio M et Maghreb Emergent. Pour rappel, Ihsane el-Kadi a été emprisonné 6 jours après avoir posté ce tweet : Et 12 jours après avoir publié cette analyse explosive : 2e mandat, l'ANP redoute autre chose qu'une Bouteflikisation de la présidence Tebboune Le journaliste montre que l'assentiment de l'armée algérienne pour un deuxième mandat de Tebboune n'est pas encore assuré à ce dernier. Il s'agit d'une "bombe" qui a été lâchée à une année seulement des prochaines échéances électorales prévues en Algérie en 2024. Il ne fait aucun doute pour la défense du condamné et pour des défenseurs algériens des droits de l'Homme que c'est cette «bombe», ajoutée au tweet du 23 décmebre, qui a conduit à l'emprisonnement puis à la lourde condamnation d'Ihsane el-Kadi (63 ans). L'arrestation d'El Kadi et la mise sous scellés du siège d'Interface Médias ont suscité une vague de solidarité parmi ses collègues et les militants des droits humains en Algérie et en Europe. Une pétition lancée par l'organisation Reporters sans frontières (RSF) pour obtenir sa libération a recueilli plus de 15.000 signatures au 4 avril. «Les voix libres ne doivent pas s'éteindre dans les geôles algériennes», s'insurge l'organisation sur son site web. RSF annonce qu'elle a officiellement saisi les Nations unies et initié un appel commun de 16 patrons de médias et de rédactions, dont le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta prix Nobel de la paix 2021, Dmitri Mouratov. Dernièrement, trois rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les questions des droits de l'Homme ont exprimé leur inquiétude quant aux violations du droit à la liberté de la presse et d'expression, ainsi qu'à un procès équitable en Algérie. Dans une correspondance adressée aux autorités algériennes, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d'association et la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste ont alerté la communauté internationale sur le procès du journaliste Ihsane El Kadi, directeur de la station algérienne Radio M et du site d'information Maghreb Emergent. Ils ont exprimé leur inquiétude quant à la violation des normes de procès équitable lors de l'arrestation et de la détention de El Kadi, y compris son droit d'accès à un avocat et son droit d'être informé des charges retenues contre lui et des raisons de son arrestation. «Nous sommes également préoccupés par la base juridique ambiguë des accusations portées contre El Kadi et de la perquisition de police contre les deux médias indépendants, et par le fait que l'action judiciaire semble être liée à leurs activités journalistiques», ont ajouté les rapporteurs. Les experts onusiens se sont également dit «alarmés» par la réduction au silence de facto d'un journaliste critique et par la perquisition de deux médias indépendants qui ont un impact négatif sur la liberté de la presse en Algérie. Selon les organisations de défense des droits de l'Homme, quelque 300 prisonniers d'opinion croupissent, certains depuis plus de trois ans et sans le moindre procès, dans les geôles algériennes.