Abdellatif Ouahbi, le ministre de la justice affronte les lourdes accusations relayées sur les réseaux sociaux, reprises par les activistes des droits humains et arrivant jusqu'au parlement. Les résultats controversés de l'examen d'aptitude à l'exercice de la profession d'avocat ne passent pas... Conflit d'intérêts A peine dévoilés, ces résultats vont attirer les foudres des candidats éconduis mais aussi de la société civile. « Au Forum démocratique marocain du droit et l'équité ainsi que l'ensemble des étudiants touchés et l'opinion publique, nous étions tous surpris par les résultats de ce concours. La présence d'un grand nombre de membres de familles des responsables du ministère de la justice ainsi que ceux de grands avocats et d'importantes personnalités politiques et partisanes est pour le moins louche. Ceci laisse planer beaucoup de doute quant à l'équité de ces résultats et la transparence de ce concours » s'insurge le Forum démocratique marocain du droit et l'équité (ONG), dans un communiqué rendu public le 2 décembre 2023. L'ONG a d'ailleurs appelé le Ministère public et le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) à ouvrir une enquête à propos des violations légales et les soupçons de corruption entourant ce concours. Même requête du côté de la Ligue marocaine de la défense des droits humains. Cette dernière a adressé une lettre ouverte le 4 décembre 2023, au Ministère public et au Procureur général du roi auprès de la Cour de Cassation à Rabat. Réclamant l'ouverture d'une enquête approfondie, l'association exhorte la justice à «éclairer l'opinion publique en dévoilant les dessous de cette affaire ». « Suite aux dizaines de demandes de soutien que nous avons reçu de la part de candidats « victimes » et aux déclarations du ministre de la justice à propos des « pressions » qu'il a subi, nous estimons qu'on a le droit d'en savoir plus sur les auteurs de «ces pressions», sur le déroulement de l'examen et la manière de le gérer », ajoute la Ligue dans sa lettre ouverte. Cette dernière n'oublie pas de mentionner les doutes planant sur l'impartialité des résultats en fustigeant « le flagrant conflit d'intérêts ». Soupçons et provocations Rappelons que les résultats du concours des avocats dévoilés il y a quelques jours ont aussitôt provoqué la polémique. La présence de plusieurs « noms de famille» qui se répètent dans la liste des admis dont celui du ministre de la justice était la principale cause de cette controverse. Les déclarations « provocantes » de Abdelatif Ouahbi n'ont nullement arrangé les choses. Tout au contraire le responsable va attiser la polémique avec des déclarations jugées par les observateurs comme « mal placées » et « manquant de tact ». « Les noms de familles au Maroc se ressemblent. Il y a 42 Ouahbi dans la profession d'avocats », « Mon fils a deux licences en droit, l'une au Maroc et l'autre au Canada. Son père est riche et il a payé pour lui pour étudier à l'étranger ... », « Je fais confiance au comité qui a supervisé l'examen. Pourquoi devrais-je ouvrir une enquête ? Pourquoi le ferais-je ? Juste pour satisfaire une personne assise dans un café et qui me le demande ?», autant de réponses qui ont été reprises et largement partagées sur les réseaux sociaux en provoquant la colère des internautes et en remontant l'opinion publique encore plus contre Ouahbi. Au parlement Ce dernier a d'ailleurs été interrogé, mardi, au parlement à propos de cette affaire. Fatima Tamni, députée parlementaire de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), a adressé une question écrite au ministre de la Justice l'interrogeant sur les différents dysfonctionnements ayant entachés les résultats de l'examen d'aptitude à l'exercice de la profession d'avocat. La députée cite alors la mauvaise gestion de l'épreuve écrite et la participation de l'association des barreaux du Maroc au processus de correction automatique de l'épreuve écrite alors qu'elle a déjà annoncé son boycott. La députée fait mention également de la triche et de la fuite des épreuves écrites le jour de l'examen. Poussant son argumentaire plus loin, Tamni dénonce la monopolisation de la profession par un groupe spécifique en notant la répétition dans la liste des admis de noms de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, d'avocats et autres bâtonniers. Mohammed Ouzzine, le secrétaire général du Mouvement Populaire a également adressé, mercredi à la Chambre des députés, une question orale à Ouahbi à propos du « respect de l'égalité des chances et du degré de transparence» du dit examen. Riposte Un tas d'interrogations qui restent en suspens en attendant des réponses. Ceci alors que des requêtes populaires se multiplient sur les réseaux sociaux pour l'annulation des résultats controversés. De leurs côtés, les candidats au concours se sont constitués en groupes et ont lancé un appel sur les réseaux sociaux à manifester ce dimanche « pour dénoncer les résultats « corrompus »et réclamer justice ». « Nous estimons que nous sommes des victimes et que le principe d'égalité des chances a été profondément sapé. De ce fait nous nous sommes constitués en une Coordination à travers laquelle nous allons s œuvrer pour restituer nos droits », nous annonce au téléphone Abderrahim Oussi, étudiant en master de droit à l'Université Hassan II de Casablanca et candidat. Pour réparer le préjudice, Oussi et ses amis comptent porter l'affaire en justice devant la Cour administrative. « Mais ça ne sera pas notre seul recours. Nous allons adresser un courrier et une pétition officielle signée par les victimes au Cabinet royal pour annuler ces résultats douteux », ajoute le candidat. « Rien que le changement d'identité du candidat 33615 et l'admission du responsable ministériel Said Chorfi qui est en flagrant conflit d'intérêt (examinateur/ examiné), rien que ces deux cas sont suffisants pour annuler légalement les résultats de ce concours désastreux », explique de son côté Majda El Aroui, doctorante chercheuse en droit à la Faculté des sciences juridiques d'Oujda sur un groupe facebook des candidats. En attendant, les candidats ne baissent pas les bras et appellent à manifester ce dimanche. « La plupart des candidats éconduis vont passer le concours de recrutement des commissaires judiciaires qui aura lieu ce dimanche dans différentes villes du Royaume. On en profitera pour tenir des manifestations de dénonciation », annonce Oussi. Faisant fi de la controverse provoquée par le concours, le ministère de la justice a annoncé hier les dates des épreuves orales prévues les 1, 2,3 et 4 mars à Rabat. Le planning de Ouahbi sera-t-il respecté ? Affaire à suivre !